Otages

Ils sont enfin libres, mais que vont-ils dire ? Au moment où j'écris ces lignes, ils sont en train de rentrer, joyeux Noël, joie des familles. Le pays qu'on appelle « France » se détache brusquement de la planète dans sa singularité : pas d'otage français égorgé ou décapité, pas de chantage officiel, à peine une petite histoire de voile. Après quelques cafouillages, les Services français ont agi, la communauté musulmane de France a agi, le gouvernement a agi, le ministre des Affaires étrangères a agi, le Président a agi, le bon M. Raffarin est sincèrement ému, Sarkozy aussi, Hollande de même.

L'union nationale a eu lieu, Allah est grand qui peut réaliser de telles merveilles. L'armée islamique d'Irak est très brutale, soit, mais elle a épargné nos compatriotes, ce dont je suis le premier à me réjouir avec une ferveur dont je ne permets à personne de douter. C'est un grand succès pour la France, son peuple, ses familles, sa République, ses religions, sa laïcité, sa modération, sa sagesse, sa raison, son action inlassable pour la paix et les droits de l'homme. Nos otages ont sauvé leurs têtes, ce sont des héros.

Au passage, cependant, il faut admirer l'art de la communication dont les ravisseurs sont capables. Ils ne sont donc pas aussi fous que l'on dit. On me raconte que Bush, Rumsfeld et Condi ont fait la grimace en apprenant la libération des otages français. Je n'arrive pas à le croire. Une telle inhumanité est impossible au pays du dieu américain en train de sauver le monde. On me raconte aussi que l'Amérique est de plus en plus francophobe, ce qui me semble exagéré, et en tout cas injuste, forcé. Je peux l'avouer maintenant : ma tentative de médiation, à Venise, a échoué, pas de réponse de Condi, pas le moindre geste en direction de la vieille Europe. En revanche, la lettre la plus émouvante que j'ai reçue au sujet de mon Dictionnaire amoureux de Venise126 m'a été adressée, au nom du pape, par le Vatican. La voici :

« Monsieur, vous venez d'offrir au Saint-Père un exemplaire de votre livre intitulé Dictionnaire amoureux de Venise, dont les nombreuses références aux auteurs d'œuvres littéraires et artistiques entraînent le lecteur à la découverte de la cité des Doges. Le Pape m'a chargé de vous transmettre ses remerciements pour cet hommage qui a été apprécié. En vous confiant à l'intercession de Marie, Mère de Dieu, il invoque sur vous les Bénédictions du Seigneur. »

Plus aucun doute : le seul vrai dieu d'amour est à Rome. J'espère que le gouvernement français en est conscient, et qu'il a déjà prévu, pour nos otages, un luxueux voyage de repos à Venise. Ils pourront oublier Bagdad.

26/12/2004