Tsunami
Ce qu'il faudrait, face à une catastrophe de cette envergure, c'est inventer une minute de vrai silence. Pas cette minute rapide, trouée de rumeurs, qu'on entend parfois sur les stades pour saluer telle ou telle disparition. Non, une minute de silence qui pèserait un siècle. On annonce d'abord trois mille morts, puis cent mille, puis cent cinquante mille, puis deux cent cinquante mille. Tout le mois a été ponctué de cette montée numérique de charnier.
Là-dessus, pendant qu'on trie les cadavres à grand-peine, arrive le formidable raz-de-marée de l'argent, c'est-à-dire la solidarité mondiale. Il faut s'en réjouir, bien entendu, mais le bruit est énorme. Les photos, plus l'argent, recouvrent le paysage dévasté, et, pendant que les corps « jonchent les plages » (style de journaliste), pendant que les images de la souffrance fondent dans la couleur, la générosité se déchaîne et se célèbre elle-même.
Un philosophe académicien, comparant ce désastre au tremblement de terre de Lisbonne, ose dire que Voltaire a eu tort, autrefois, de se moquer de l'optimisme théologique du « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». La nature a ses colères, soit, mais l'élan solidaire nous permet de retrouver l'espoir. La nature est indifférente et cruelle, mais nous sommes bons, c'est l'essentiel. Là-dessus, Condi Rice parle de la « merveilleuse opportunité » du tsunami, qui a permis aux États-Unis de montrer au monde musulman leur sollicitude. Condi sait-elle ce que pourrait être une minute de vrai silence ? C'est peu probable, tout doit être immédiatement exploité.
Certes, il est inévitable et même nécessaire que les journalistes et les télévisions fassent leur travail, que la mise en image soit constante et frappante, mais qui pensera encore à tous ces cris dans quelque temps ? Le spectacle continue, et que voulez-vous faire d'autre ? Se demander peut-être, sérieusement et philosophiquement, pourquoi la mort devient à ce point irréelle. Ou, plus concrètement, pourquoi l'information n'a pas été donnée plus tôt comme alerte. Courir pendant cent mètres aurait permis de sauver des milliers et des milliers de vies. Que s'est-il donc passé ? On n'ose pas imaginer des responsables, pensant au tourisme, mis au courant et faisant comme si de rien n'était. « Pas de vagues ! » a peut-être dit quelqu'un dans un bureau climatisé en Indonésie ou ailleurs. De même, on n'ose pas penser qu'un des tireurs embusqués à Bagdad pour faire exploser la tête d'un électeur courageux se murmurera à lui-même, après avoir tiré : « A voté ! »
30/01/2005