Auschwitz
Il faut lire ce livre : Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau132. Dans le risque de saturation lié à toute commémoration (je vois des atrocités abominables, j'entends des cours de morale, je tourne la page et j'assiste au confort radieux de notre civilisation), les mots des témoins directs du crime sont plus forts que toutes les photos.
Ainsi Zalmen Gradowski : « Nous contemplons ces femmes avec compassion, car nous voyons déjà devant nos yeux une nouvelle scène, une scène d'horreur. Toutes ces vies palpitantes, ces mondes effervescents, tout ce bruit, ce tapage qui s'en dégage, dans quelques heures tout cela sera mort et figé. Je me tiens ici près d'un groupe de femmes, au nombre de dix à quinze, et dans une brouette se retrouveront bientôt tous ces corps, toutes ces vies, dans une brouette de cendres. Il ne restera plus aucune trace de toutes celles qui sont ici, toutes celles-ci, qui occupaient des villes entières, qui tenaient tant de place dans le monde, seront bientôt effacées, extirpées avec leur racine – comme si elles n'étaient jamais nées. Nos cœurs sont déchirés de douleur. Nous éprouvons, nous souffrons avec elles les tourments du passage de la vie à la mort. »
Et Lejb Langfus, parlant d'une jeune Polonaise de la Résistance, prenant la parole dans le bunker de gazage : « Elle s'est adressée aux Juifs du Sonderkommando en disant : “Rappelez-vous que votre devoir sacré est de venger notre sang innocent. Rapportez à nos frères de Pologne que nous allons au-devant de notre mort avec une grande fierté et en pleine conscience.” » Langfus continue : « Les Polonais se sont alors agenouillés à terre et ont récité avec ferveur une prière dans une pose impressionnante. Puis ils se sont relevés et ont chanté en chœur l'hymne national polonais. Les Juifs ont chanté la Hatikva. L'horrible destin commun a fondu ensemble dans ce petit coin maudit les accents lyriques de ces deux hymnes différents. »
On lit ces lignes la gorge serrée, comme je me souviens de ma gorge serrée en voyant pour la première fois, très jeune, Nuit et Brouillard, d'Alain Resnais, avec un texte bouleversant de Jean Cayrol, dont le livre Lazare parmi nous est trop peu connu. Revenant de Mauthausen, son père, à Bordeaux, lui ouvre la porte et lui dit : « Monsieur, vous désirez ? » Il ne l'avait pas reconnu.
Et puis, dans le déferlement commémoratif qui risque de léser la mémoire, il y a eu au moins ce héros de notre temps, un héros du vrai silence : Claude Lanzmann et son prodigieux Shoah. C'est un film et, comme toute grande œuvre d'art, c'est beaucoup plus qu'un film : on l'écoute, on l'entend, on le comprend.
30/01/2005