Accélération
En un mois, cent petits romans très complexes. Comment rendre compte, à la fois, de la santé hautement stratégique du pape, de la poignée de main entre Sharon et Abbas, de la visite de charme de Condi à Paris, de la réconciliation apparente de Bush et Chirac, de la victoire électorale des chiites en Irak, du mariage annoncé de Charles et de Camilla, de la victoire marine d'Ellen Mac Arthur, de l'explosion de Hariri en plein Beyrouth (et, du même coup, dans la cour de l'Élysée), de la mort d'Arthur Miller (photo de Marilyn Monroe blottie dans ses bras), de la commémoration de la libération des camps de concentration et d'extermination, de la Shoah, des dérapages de plus en plus sordides de Dieudonné, du référendum en approche sur l'Europe, du conflit Hollande-Fabius sur fond de caoutchouc, du déménagement de Gaymard, du vrai-faux conflit Le Pen-Marine, de l'insolente popularité de Sarkozy, du retour de Mitterrand au cinéma (avec cette extraordinaire déclaration du metteur en scène : « Que Mitterrand n'ait pas reconnu Vichy comme continuation de la République, qu'il ait dit que Vichy ce n'était pas la France, prouve simplement qu'il était moins vichyssois que Chirac »), de la brusque conversion de Douste-Blazy au lacanisme sous la houlette du subtil Jacques-Alain Miller, de la disparition d'Alfred Sirven emportant avec lui, dans la tombe, les secrets d'Elf, du procès géant d'Executive Life, des otages toujours détenus dont nous voyons chaque jour les photos s'éloignant avec leurs sourires – bref (si j'ose dire), de la rotation du spectacle sur lui-même irréalisant chaque événement ?
Mon énumération est sûrement incomplète. Il s'est passé bien d'autres choses, il est en train de s'en passer beaucoup d'autres, la question étant de savoir si tout cela a encore un sens, et lequel. Prudemment, je décide que oui : le Bien lutte contre le Mal, la démocratie est le Bien suprême, je n'en vois pas d'autre et d'ailleurs on me l'aurait dit. Nous avançons vers le Bien, aucun doute. Et voici la neige qui vient ralentir la circulation pour un temps. Les passagers de mon autobus, très tôt, ce matin, ont l'air plus humains, plus enfantins, plus rêveurs. La neige les inspire. On sent passer, sur leurs visages, des souvenirs d'autrefois. Ils font une pause dans leur rumination soucieuse. Ils se taisent mieux. Ils vont éviter de glisser. Ils sont en retard.
27/02/2005