Russie
Poutine a été très bien reçu à Paris, on lui passe tout à ce brave homme, notamment ses massacres en Tchétchénie. Il est raide, compassé, somnambulique, il n'a pas l'air du tout polonais. Et puis le Salon du livre était consacré à la littérature russe, ni meilleure ni pire que celle des autres pays. Un absent, cependant : Viktor Pelevine, qui vient de publier en français Critique macédonienne de la pensée française138.
Une journaliste des Inrockuptibles, Nelly Kaprièlian, lui pose la très bonne question suivante : « Dans Homo Zapiens, vous démontrez l'irréalité de la classe politique et la dématérialisation du monde à travers un mélange de pensée orientale et de nouvelles technologies manipulées par la mafia. Comme dans Shakespeare, il est difficile de dire en vous lisant si le chaos du monde est une tragédie historique ou une blague métaphysique. »
Il répond ceci, avec quoi je suis plus que d'accord : « Hélas la classe politique est douloureusement réelle – c'est un vaste groupe de gens organisés qui dépensent un maximum de ressources. Ce qui est irréel, c'est plutôt “la politique” qu'ils produisent. C'est comme un arc-en-ciel créé par un hypnotiseur pervers – vous vous réveillez, l'arc-en-ciel s'est envolé et votre portefeuille avec. Le vrai problème cependant n'est pas votre portefeuille. C'est que ce ballet de travestis, en occupant tout l'espace public d'information, rend la représentation des problèmes humains impossible. Le boulot de la classe politique actuelle est la protection du pouvoir oligarque et son maintien. La seule source et la seule justification de ce pouvoir résident dans une escroquerie linguistique permanente. Communistes, libéraux, patriotes, nationalistes, même fascistes – tous jouent leur petit rôle… Mais savoir si c'est une tragédie ou une blague dépend entièrement de votre perception. Je crois plutôt que c'est une mauvaise blague. Ce qui est tragique, c'est que la blague est déjà très vieille, pas très drôle, et que pourtant on vous la ressert, encore et encore. »
J'aime bien, ici, « ballet de travestis » et « escroquerie linguistique ». Quant à la « blague métaphysique », c'est ce qui, depuis longtemps, m'inspire.
27/03/2005