Europe

Chirac s'en aperçoit : il n'aurait pas dû déclencher un référendum sur la Constitution européenne. Certes, la manœuvre politique était tentante : un nouveau plébiscite, après celui de 2002, les socialistes coincés, la population unifiée dans le meilleur des mondes possible (puisqu'on vous le dit). Les experts et moi, nous savons où nous allons, dites-nous oui.

Un référendum suppose des citoyens parvenus à une maturité historique. Mais justement, l'histoire a disparu des programmes, la jeune génération n'en a pratiquement aucune idée, le temps où se situent les Français est devenu un présent de proximité, ils sont préoccupés, ils ont peur et ils vous le disent. Mon chauffeur de taxi n'a aucune envie de se voir brusquement remplacé par un chauffeur polonais, et s'il faut désormais téléphoner en Lituanie pour réserver une chambre dans un hôtel Hilton, que voulez-vous, c'est bizarre. Vous avez peur ? Je vous trouve bien local. Je vais vous délocaliser en douceur.

Les Français n'ont jamais été de bons Européens, ils ont encore, à l'égard de l'Italie et de l'Espagne, des préjugés touristiques, ils ne se sentent guère en phase avec les autres habitants de cet ensemble, et s'ils sont catholiques par habitude molle, ils se sentent d'abord catholiques français, ce qui est en complète contradiction avec le fonctionnement de la grande multinationale romaine. On leur a beaucoup dit, non sans raison, de se méfier des papes. On leur a vanté des totalitarismes divers. En général, la France commence pour eux en 1789, et encore. Plus loin que Mitterrand et de Gaulle, du flou.

Si on leur disait : « Vous êtes le merveilleux peuple français qui régnait sur l'Europe au XVIIIe siècle, et qui va donc rerégner sur elle après deux siècles de convulsions », on pourrait espérer un frémissement du oui. Hélas, le citoyen observe surtout des querelles de préséance et de place. Il voit X ou Y soucieux de conserver son emploi gouvernemental, sans parler de Z et de V ne pensant qu'à l'Élysée en 2007, ou même en 2012. D'où l'ennui. « La France s'ennuie », a dit quelqu'un, avant une explosion mémorable. L'implosion, cette fois, se profile, et elle n'a rien d'excitant. Allez, Français, un petit oui quand même.

30/04/2005