Aron
On a souvent vanté, avec raison, la raison de Raymond Aron. En voici deux exemples pointus, datés de 1956, après les polémiques suscitées par L'Opium des intellectuels : « Beaucoup de lecteurs sont irrités par ce qu'un de mes contradicteurs, au Centre des intellectuels catholiques, a appelé ma dramatique sécheresse. Il me faut confesser une répugnance extrême à répondre à ce genre d'arguments. Ceux qui laissent entendre que leurs sentiments sont nobles et leurs adversaires égoïstes ou bas me font l'effet d'exhibitionnistes. Je n'ai jamais jugé qu'il y eût mérite ou difficulté à souffrir, ni que la sympathie pour la douleur des autres fût le privilège des rédacteurs du Monde ou des Temps modernes, d'Esprit ou de La Vie intellectuelle. L'analyse politique gagne à se dépouiller de toute sentimentalité. La lucidité ne va pas sans peine, la passion reviendra d'elle-même au galop. »
Et aussi : « L'accroissement de la richesse globale ou même la réduction des inégalités économiques n'impliquent ni la sauvegarde de la liberté personnelle ou intellectuelle, ni le maintien des institutions représentatives. Bien plus, comme Tocqueville ou Burckhardt l'avaient vu clairement il y a un siècle, les sociétés sans aristocratie, animées par l'esprit de négoce et le désir illimité de richesse, sont guettées par la tyrannie conformiste des majorités et par la concentration du pouvoir dans un État gigantesque. Quelles que soient les tensions que crée le retard économique en France, la tâche la plus malaisée, en une perspective historique à long terme, n'est pas d'assurer l'accroissement des ressources collectives, mais d'éviter le glissement à la tyrannie des sociétés de masses139. »
Cela a été écrit il y a cinquante ans. Où en sommes-nous maintenant avec la tyrannie conformiste des sociétés de masses ? Regardez autour de vous, et dites-moi.
30/04/2005