Guantanamo

De la folie provinciale française, on passe à la folie planétaire avec l'histoire de Mohammed, quatorze ans, un Tchadien raflé au Pakistan en septembre 2001, et totalement étranger à toute activité terroriste. Il est défendu, dans la mesure du possible (ou plutôt de l'impossible), par un avocat britannique qui a passé une partie de sa vie avec les condamnés, dans les couloirs de la mort. Mohammed, d'abord torturé par la police pakistanaise, a été livré aux Américains, et est toujours à Guantanamo en train de croupir. Il faut dire que le langage de Guantanamo est spécial. On ne dit pas tentative de suicide, mais « conduite autodestructrice ». On ne dit pas, pour les grévistes de la faim, nourris de force, mais « fortement assistés pour se nourrir ». Les gardiens n'aiment pas avoir des cadavres sur les bras, ça fait désordre. On sait un certain nombre de choses sur l'enfer de Guantanamo, mais rien, en revanche, sur les prisons secrètes de la CIA en Europe de l'Est. Circulez, sans quoi on dira, ici ou là, que vous vous intéressez de trop près aux terroristes. Supposons que vous ayez été plus ou moins catalogué comme gauchiste ou maoïste dans votre inconséquente jeunesse : vous êtes donc, par nature, antiaméricain primaire ou même antidémocratique tout court.

Mohammed n'avait jamais vu de Blancs avant les Américains. Il n'avait jamais entendu parler anglais, et le premier mot qui lui a été adressé dans cette langue est « nigger », nègre, assorti de « bâtard », « terroriste », avant de se retrouver, sous les coups, dans des cages à cinq ou six. « Un policier militaire me tenait le pénis entre des ciseaux et disait qu'il allait le couper. Je le croyais. J'étais incroyablement effrayé. C'était la première fois de ma vie que j'avais affaire à des Blancs. » L'examen médical consiste à enfoncer un doigt dans l'anus du prisonnier. Il est ensuite suspendu à des crochets au-dessus du sol, battu et encore battu, parfois pendant huit heures d'affilée. Il faut qu'il dise la vérité, mais laquelle ? Après quoi, on l'empêche de dormir en le changeant de cellule toutes les vingt minutes, et puis, le jour, il est empêché de s'asseoir. C'est ensuite l'isolement dans des pièces glacées avec des éclairages stroboscopiques, bleu, jaune, rouge, avec une musique fracassante (voilà une belle sortie en boîte). Évidemment, des chiens partout. Les prisonniers ont droit à une sortie par semaine, ou bien toutes les deux semaines. Il est étonnant, dans ces conditions, d'être encore vivant. Qu'en pense la séduisante Condi Rice, maîtresse du monde ?

27/11/2005