Debord

On imagine le sourire de Guy Debord, suicidé il y a onze ans, et cinéphobe intransigeant, devant la publicité qui lui est faite pour la sortie de ses films anti-cinéma en coffret de trois DVD. Sont présents dans la promotion : Gaumont DVD, Le Monde, Les Inrockuptibles, Radio Nova, TSF 89.9 et Carlotta Films. On se demande combien d'amateurs de DVD iront au texte même de In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni, lu, dans le film, par Debord lui-même. Exemple : « Le cinéma dont je parle ici est cette imitation insensée d'une vie insensée, une représentation ingénieuse à ne rien dire, habile à tromper une heure d'ennui par le reflet du même ennui ; cette lâche imitation qui est la dupe du présent et le faux témoin de l'avenir ; qui, par beaucoup de fictions et de grands spectacles, ne fait que se consumer inutilement en amassant des images que le temps emporte. Quel respect d'enfants pour des images ! Il va bien à cette plèbe des vanités, toujours enthousiaste et toujours déçue, sans goût parce qu'elle n'a eu de rien une expérience heureuse, et qui ne reconnaît rien de ses expériences malheureuses parce qu'elle est sans goût et sans courage : au point qu'aucune sorte d'imposture, générale ou particulière, n'a jamais pu lasser sa crédulité intéressée. » Le style emprunté ici par Debord n'est autre que celui, splendidement rythmé, de Bossuet dans Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre. Bossuet est, comme on sait, l'écrivain préféré des Inrocks. Et aussi : « Ainsi donc, au lieu d'ajouter un film à des milliers de films quelconques, je préfère exposer ici pourquoi je ne ferai rien de tel. Ceci revient à remplacer les aventures futiles que conte le cinéma par l'examen d'un sujet important : moi-même. »

Je remplace maintenant, dans la citation qui suit, le mot film par celui de roman, et voici : « On m'a parfois reproché, mais à tort je crois, d'écrire des romans difficiles : je vais pour finir en publier un. À qui se fâche de ne pas comprendre toutes les allusions, ou qui même s'avoue incapable de distinguer nettement mes intentions, je répondrai seulement qu'il doit se désoler de son inculture et de sa stérilité, et non de mes façons ; il a perdu son temps à l'Université, où se revendent à la sauvette des petits stocks de connaissances avariées. »

Ailleurs, dans son livre Panégyrique, Debord justifie admirablement son usage nouveau et révolutionnaire des citations : « Les citations sont utiles dans les périodes d'ignorance ou de croyances obscurantistes… La lourdeur ancienne du procédé des citations exactes sera compensée, je l'espère, par la qualité de leur choix. Elles viendront à propos dans ce discours. Aucun ordinateur n'aurait pu m'en fournir cette pertinente variété. » Il ajoute, avec sa désinvolture coutumière, qu'il sera ainsi, au-delà de l'ignorance et de l'obscurantisme actuels, plus facile à traduire, le français étant devenu, dans l'avenir, une langue morte, comme le latin ou le grec.

27/11/2005