Libertinage

En 1988, Mitterrand, déjà alerté par mon roman Femmes160, me dit qu'il est en train de découvrir Casanova. Bienvenue au club, lui dis-je. Il était vraiment passionné, et Octavio Paz, qui se trouvait là, ne voyait pas ça d'un bon œil. Je suis sûr qu'aujourd'hui il se précipiterait à la librairie Gallimard du boulevard Raspail pour se procurer le deuxième tome récent, en Pléiade, des Libertins du XVIIIe siècle. Voici une note de ce volume éclatant qu'il aurait lu avec délices. Il s'agit du roman anonyme Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise, paru en 1672 ou en 1682, et réédité en 1746. Une jeune fille se fait expliquer ce qu'est le baiser à la florentine : « Voilà la façon dont les personnes qui s'aiment véritablement se baisent, enlaçant amoureusement la langue entre les lèvres de l'objet qu'on chérit. Pour moi, je trouve qu'il n'y a rien de plus doux et de plus délicieux quand on s'en acquitte comme il faut, et jamais je ne le mets en usage que je ne sois ravie en extase et que je ne ressente par tout mon corps un chatouillement extraordinaire et un certain je-ne-sais-quoi que je ne te puis exprimer qu'en te disant que c'est un plaisir qui se répand universellement dans toutes les plus secrètes parties de moi-même, qui pénètre le plus profond de mon cœur, et que j'ai droit de le nommer un abrégé de la souveraine volupté. »

Dans ses entretiens plutôt barbants et pénibles avec Marguerite Duras161, Mitterrand n'aborde pas le sujet qui, sans aucun doute, lui tenait le plus à cœur. J'aurais dû, à l'époque (bicentenaire de la Révolution), lui proposer un programme de revalorisation des études licencieuses du XVIIIe. La mémoire française en aurait été rafraîchie, la République serait enfin devenue attrayante. Est-il désormais trop tard ? Je le crains. Ségolène Royal lit-elle ce genre de romans ? J'en doute.

25/12/2005