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Écrire est, du moins pour moi, une joie constante, publier est une autre affaire. On va sur le terrain, on s'agite, on est réduit à quelques phrases, presque toujours les mêmes, on passe d'un plateau à l'autre, d'un studio à l'autre, d'un journal à l'autre, d'une indifférence plus ou moins bien dissimulée à l'autre, beaucoup de taxis, d'embouteillages, de courses dans les couloirs, c'est amusant, crevant, consternant. Pas de quoi se plaindre, c'est le jeu, il a ses bons moments de rire intérieur. Pour équilibrer la déperdition d'énergie qui s'ensuit, j'ai ma méthode. Avant de plonger dans le spectacle, lecture de livres les plus difficiles possibles, par exemple un peu de Hegel, La Phénoménologie de l'esprit : « La mort est ce qu'il y a de plus terrible, et maintenir l'œuvre de la mort est ce qui demande la plus grande force. » Voilà de quoi tenir le coup, lorsqu'à une heure très tardive il faut expliquer en une minute, devant les caméras, ce que Nietzsche entendait par « Éternel Retour ».

L'animateur s'en fout éperdument, il a fait parler, juste avant, une pseudo-critique littéraire débraillée pour stigmatiser, de façon confuse, ma « misogynie », mais la seule chose qui compte est de savoir si la couverture du livre est bien passée à l'antenne. Oui ? Alors tout va bien. À part quelques injures rituelles, les articles sont plutôt très bons, avec, parfois, une couleur un peu paternaliste qui me plaît et me rajeunit. Quand j'étais au lycée, mon professeur de français, un bon vieux gros communiste qui me reprochait de préférer La Fontaine à Paul Éluard, me donnait une bonne note en dissertation, non sans me dire chaque fois : « Ne soyez pas trop content de vous. » Je retrouve avec délices cette tonalité de dérision et de tendresse jalouse sous la plume de Patrick Besson : « Sollers explose de contentement de soi. Chacune de ses pensées le ravit et tous ses raisonnements l'enchantent. Quant à ses phrases, il est tellement content de les avoir écrites qu'il doit se faire, la nuit, plein de bisous sur les mains. »

Ici, question : comment Patrick Besson a-t-il eu connaissance de ce détail intime ? Ai-je été trahi par une de mes anciennes amies, surprise de me voir soudain, à trois heures du matin, m'embrasser les mains avec effusion ? Non, Besson est seulement un bon écrivain, donc il a un don de voyance. C'est vrai, je l'avoue, je me fais souvent des bisous sur les mains la nuit. Elles le méritent, ces pauvres mains de forçat de la littérature. C'est ma petite prière dans les ténèbres, ma pilule de philosophie.

29/01/2006