Verdun

On commémore ces jours-ci la grande bataille de Verdun, qui a commencé en 1916. Le plus effarant (et ça devient automatique) est de faire évoluer des figurants sur le lieu même d'un des plus grands massacres de l'Histoire : la boue, les tranchées, les poilus, les baïonnettes, les gaz asphyxiants, les obus, les mitrailleuses, les cris, les hurlements. Les figurants sont en costumes d'époque. Ils font du théâtre d'effacement. « Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs », a dit Baudelaire. Tous les malheurs de l'Europe commencent en 1914-1918. Il paraît que cette boucherie insensée a été glorieuse, héroïque. On a quand même réhabilité les mutins qui refusaient de monter à l'attaque pour rien. Un journal a publié récemment une photo unique montrant l'exécution d'un réfractaire de cette trempe, honneur au mutin inconnu. Les soldats sont conviés à assister à ce supplice pour l'exemple, un officier lève son sabre, pour commander le peloton des fusilleurs, on voit les fumées des coups, mais le plus curieux, ce sont les impacts blanchâtres situés sur la butte derrière le condamné à mort. Certains soldats, commis d'office à cette brillante démonstration de discipline, ont donc tiré à côté, ou au-dessus. Ils n'ont pas obéi, c'est leur grandeur. On sait que seulement 10 % d'individus, placés dans des conditions où ils doivent tuer leurs semblables, résistent pour des raisons qui n'ont rien à voir les unes avec les autres. L'expérience a été faite, il y a longtemps, aux États-Unis, c'est la fameuse démonstration de Milgram. 90 % suivent les ordres, 10 % sont en état de mutinerie. Dans ces 10 %, on trouve de tout, des croyants, des incroyants, des névrosés, des corps un peu trop sensibles qui ont à ce moment-là des embarras gastriques, et même des individus tout simplement de bon goût. Le chiffre de cette minorité disparate semble rester constant à travers les régimes et les âges. En somme, c'est une loi scientifique, ce qui ne veut pas dire que les 10 % en question pourraient former une église, un parti, ni même un club. Ils peuvent même se détester cordialement. Mais voilà, ils sont comme ça, sceptiques.

26/02/2006