Étrange Villepin
Je crois que tout le monde se trompe sur Dominique de Villepin. C'est un romantique, un poète, une âme de feu, un ténébreux, un inconsolé et, au fond, un dangereux gauchiste. Il voit la France affaiblie, traînante, douteuse, oublieuse d'elle-même et de son glorieux passé qui va des cathédrales à l'Empire, de la Commune à de Gaulle, d'Austerlitz à Mai 68. Il s'émeut, il rougit, il a honte. Il veut réveiller les énergies, tenter un électrochoc, provoquer une insurrection salvatrice. Contrairement à un Chirac fatigué qui laisserait le pays glisser vers la décadence irréversible, il a l'audace de vouloir faire une révolution contre lui-même. Il appelle la jeunesse à se révolter, il la défie, la bafoue, la précarise, incarne tout à coup tous les fantasmes de l'Ancien Régime, se réjouit devant les premières voitures brûlées, trouve que les barricades tardent, ressent profondément en lui-même la colère et l'ivresse des manifestants.
Levez-vous, orages désirés, murmure-t-il en faisant son jogging matinal. Les poèmes qu'il écrit fiévreusement la nuit, après une journée épuisante de négociations inutiles, sont des visions hallucinées de désordre, de tourbillons, de charges et de contre-charges incessantes. Il fait feu sur le quartier général et le ministère de l'Intérieur. Il se voit en monarque, en sauveur, en sans-culotte, en gargouille, en requin, en mouette, en mamelouk sous les pyramides d'Égypte. Quarante siècles le contemplent, et il faudrait perdre son temps au milieu des syndicats, des présidents d'université, des députés connards, des petits intérêts sociaux ? Ah non, plutôt la rue, les cris, les slogans, les pancartes, la grande rumeur d'un peuple enfin réveillé. Villepin, ne l'oublions pas, est un voleur de feu, un éternel Rimbaud qui aspire à une malédiction secrète. Qu'ils me haïssent, si ça peut enfin les faire bouger. Libération, son journal complice, a raison de l'appeler le « forcené de Matignon ». Le Canard enchaîné et Les Inrockuptibles, autres supports du complot, ne sont pas en reste. Son copain Giesbert, dans son dernier livre, l'attaque sans ménagement ? C'est parfait, la légende prend corps, elle s'amplifie, elle fonctionne.
26/03/2006