Turquie
Le poète Mallarmé, en bon prophète, voyait venir vers nous « un tourbillon d'hilarité et d'horreur ». Nous y sommes, et c'est tantôt le fou rire, tantôt la frayeur. La Turquie ne veut pas reconnaître le génocide arménien ? Glace. Le ministère turc de l'Éducation censure les manuels scolaires comportant une reproduction de La Liberté guidant le peuple de Delacroix ? On s'esclaffe, mais sur fond d'abîme. C'est bien une Parisienne à la belle poitrine dénudée qui se dresse, avec un drapeau français, sur une barricade révolutionnaire ? Cachez-moi ce sein que nous ne saurions voir. Ce tableau de Delacroix fait tache dans le paysage, et il faudrait sans doute le retirer du Louvre, ou même le brûler, pour cesser d'offenser Dieu et l'islam (il faut quand même noter que le Vatican n'a fait aucune demande dans ce sens). Que dire, d'ailleurs, de tous ces nus féminins partout exposés et qui nous offensent ? L'Olympia, par exemple, du bourgeois libertin Manet, sans parler de son insolent Déjeuner sur l'herbe ? Et cette scandaleuse Origine du monde de l'anarchiste Courbet ? Qu'on les peigne donc en noir, ces obscénités d'un ancien temps trop libre. Si encore elles étaient laides, on pourrait s'arranger. Mais c'est très beau, donc pernicieux en diable. Enfin, vive la Turquie libre, et le prix Nobel à Pamuk.
29/10/2006