Littell

Le gros roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes178, est extraordinaire. Il faut le lire lentement, en entier, passer par des massacres et des horreurs sans nom, suivre le narrateur nazi dans sa descente aux enfers à Stalingrad puis à Berlin, exterminations de masse, ruines, rêves concentrationnaires, débris humains, vomissements, merde. Documentation fabuleuse, précision des descriptions, férocité mécanique, portraits et dialogues percutants. Mais le secret du roman, dont personne ne semble vouloir parler, n'est pas là. Il s'agit en réalité d'un matricide commis en état d'hypnose, et d'une identification de plus en plus violente et incestueuse entre le narrateur homosexuel et sa sœur. Question : comment être une femme lorsqu'on est un homme ? La sodomie y suffit-elle ? Le héros jouit rarement, mais parfois de façon très claire. Ainsi à Paris, en 1943, ce SS cultivé, qui lit Maurice Blanchot et fréquente Brasillach et Rebatet, raconte son expérience : « Je descendis vers Pigalle et retrouvai un petit bar que je connaissais bien : assis au comptoir, je commandai un cognac et attendis. Ce ne fut pas long, et je ramenai le garçon à mon hôtel. Sous sa casquette, il avait les cheveux bouclés, désordonnés ; un duvet léger lui couvrait le ventre et brunissait en boucles sur sa poitrine ; sa peau mate éveillait en moi une envie furieuse de bouche et de cul. Il était comme je les aimais, taciturne et disponible. Pour lui, mon cul s'ouvrit comme une fleur, et lorsqu'enfin il m'enfila, une boule de lumière blanche se mit à grandir à la base de mon épine dorsale, remonta lentement mon dos, et annula ma tête. Et ce soir-là, plus que jamais, il me semblait que je répondais directement à ma sœur, me l'incorporant, qu'elle l'acceptât ou non. Ce qui se passait dans mon corps, sous les mains et la verge de ce garçon inconnu, me bouleversait. Lorsque ce fut fini, je le renvoyai mais je ne m'endormis pas, je restai couché là sur les draps froissés, nu et étalé comme un gosse anéanti de bonheur. »

Comme quoi, malgré la défaite et l'humiliation de l'Occupation, la verge française gardait encore sa vigueur.

29/10/2006