Femmes
La publication d'une photo de Simone de Beauvoir, nue, de dos, en train de se recoiffer dans une salle de bains, en 1952, à Chicago, a ému l'opinion. C'est simple à comprendre : Beauvoir s'y révèle très belle, très désirable, et quand on pense à ce qu'elle était en train de vivre et d'écrire (après l'événement du Deuxième Sexe), l'effet est encore plus vif. On vient de fêter le centenaire de sa naissance, mais c'est l'occasion de vérifier à quel point on sous-estime ses qualités d'écrivain. Qui sait exactement ce qu'elle dit dans le surprenant Faut-il brûler Sade ? Un texte contre Sade ? Pas du tout, un grand éloge, au contraire (peut-être pour embêter Sartre et Genet – « Genet, dit-elle dans une lettre à Nelson Algren, est un ange pur » à côté de Sade). C'est pendant et après sa passion transatlantique que Beauvoir écrit Le Deuxième Sexe, Faut-il brûler Sade ? et Les Mandarins, excellent roman qu'il est très actuel de relire. La publication de la correspondance de Beauvoir la révèle et change son image. Les lettres à Nelson Algren ont paru il y a dix ans, et c'est un chef-d'œuvre193. Beauvoir est très amoureuse de lui, mais le trouve aussi un peu « provincial ». Il devrait apprendre le français, lire Stendhal, ça le dégourdirait : « Connaissez-vous Casanova ? Voilà un type qui savait baiser, du moins l'affirme-t-il dans ses Mémoires, mais il ne méprisait pas les femmes pour autant. » Et aussi : « Connaissez-vous Sade, chéri ? » Et aussi : « Chéri, vous devenez trop vertueux, ça me fait honte. Faites simplement ce qui vous chante, quand ça vous chante. Vous n'avez pas à vivre comme un moine, puisque vous n'êtes pas moine, ce dont je vous félicite. » Et aussi : « Mon cœur vous bénira dans le vice comme dans la vertu. » Plus étonnant : « J'abomine la politicaillerie, je la rayerais volontiers du monde. » Tout aussi étonnant : « Tout ce que nous écrivons, tout ce que nous faisons prend une signification politique ; les amitiés impliquent toutes un arrière-plan politique, c'en devient fastidieux. » Et ceci, à propos de certaines critiques : « Ça fout en rage de toucher du doigt à quel point ces salauds ne connaissent ni ne comprennent rien à rien, et encore moins à l'amitié et à l'amour. » Charmant Castor : « La vie est froide et courte, oui, c'est pourquoi vous auriez eu tort de mépriser des sentiments comme les nôtres, chauds, intenses. »
Et charmante Sagan, comme le montre le beau livre de Marie-Dominique Lelièvre, Sagan à toute allure194. Là, c'est l'énigme du talent se vouant physiquement à l'autodestruction. Je vois que certains lui reprochent d'avoir été conventionnelle pour ne pas avoir affiché publiquement son homosexualité. Mais, en réalité, la « sexualité » ne l'intéressait pas, d'où le reste, voitures, alcool, amitiés fiévreuses, dépenses, jeu, coke. Sagan a été une savante lectrice de Proust, qui a été pour elle « un coup de foudre fracassant, précis et définitif ». Avec mon meilleur souvenir et Derrière l'épaule sont de grands livres. L'épitaphe qu'elle s'était choisie n'est pas mal non plus : « Ci-gît, et ne s'en console pas, Françoise Sagan. » Élégance et intelligence. Tristesse en repensant à de trop rares rencontres d'autrefois.
27/01/2008