Ingrid I

Elle était exténuée, malade, presque morte. On n'attendait plus que la restitution éventuelle de son pauvre corps supplicié par près de sept ans d'enfer dans la jungle, sans cesse humiliée, torturée, enchaînée, transbahutée pieds nus dans des marches forcées, au milieu de brutes absurdes. C'était Justine, de Sade, dans Les Infortunes de la vertu. Tout avait échoué pour la faire libérer, la diplomatie ouverte ou secrète, les expéditions en avion, l'argent, les manifestations émues et de grande ampleur. On ne reverrait jamais Ingrid Betancourt, cette belle image de femme affichée partout sur les murs. Sa mère priait, ses enfants suppliaient, ses admirateurs se désolaient, le malheur triomphait.

Et la voici soudain libérée par l'armée colombienne, radieuse, en pleine forme, comme sortie d'une villégiature dans un hôtel cinq étoiles au fond des forêts. Elle est en treillis militaire, elle sourit (ah, ce grain de beauté sur la joue droite !), elle débarque à Bogota, embrasse longuement et très tendrement sa mère, et les voilà toutes les deux en train de prier à genoux sur le tarmac. On croit à une sorte de raptus émotif, mais pas du tout : Ingrid se met à parler de miracle, de Dieu, de la Vierge Marie et de tout le bazar catholique. À Paris, rebelote : ses enfants l'ont rejointe, ils débarquent enlacés, c'est la famille hyperchrétienne au complet (pas d'homme, évidemment, ça ferait léger), reçue par un Président sur un nuage et dont on se demande même, à un moment, s'il ne va pas partir avec cette superbe star, plantant là son épouse, pourtant très amoureuse, avec son album.

Et Ingrid insiste : elle prend rendez-vous avec le pape (on devrait les revoir ensemble bientôt à Lourdes), elle visite la chapelle de la Médaille miraculeuse, rue du Bac, elle est à la messe à Saint-Sulpice puis au Sacré-Cœur, au point que ses enfants et son premier mari, conscients de l'énormité de sa conduite, lui demandent d'arrêter de parler de religion parce qu'on va la prendre pour une grenouille de bénitier. Rien à faire, elle continue, elle lévite, elle est aux anges, et le Spectacle, qui a horreur d'être dérangé, commence à faire la tête et à murmurer en coulisses. Lazare, ressuscité aujourd'hui, ferait bien trois semaines de magazines et de télé, serait décoré de la Légion d'honneur, après quoi on lui demanderait de rentrer tranquillement dans sa tombe. Un miracle ? D'accord, mais pas trop.

27/07/2008