La NRF

La Nouvelle Revue française a cent ans, les éditions Gallimard auront cent ans dans deux ans. Sous ces titres, que de figures de premier plan, combien de morts plus vivants que la plupart des vivants ! En arrivant à Paris, l'armée allemande avait des ordres stricts : prendre la Banque de France et La NRF. Après la Seconde Guerre mondiale, à la fin des années 1950, La NRF avait encore une grande influence, je la lisais de près dans ma jeunesse, et puis il y avait les rendez-vous avec le subtil et sinueux Jean Paulhan, qui m'invitait chez lui, rue des Arènes. Il me prêtait des livres introuvables, chinois la plupart du temps. C'est dans son bureau que j'ai lu Orthodoxie, de Chesterton. Il me reprochait de préférer Ezra Pound à Saint-John Perse, je maintiens mon jugement. Amusant Paulhan, doux, brusque, auréolé par Histoire d'O et Sade, démonteur d'illusions, ironie en action, courtois, un peu fou, en alerte, jamais de clichés, jamais de bons sentiments. Ah La NRF ! Je relis cette lettre de Jacques Rivière à Marcel Proust : « N'oubliez pas la force dont votre œuvre est pleine. Vous aurez beau faire, vous êtes trop dru, trop positif, trop vrai pour ces gens-là. Dans l'ensemble, ils ne peuvent pas vous comprendre, leur sommeil est trop profond. »

On sait que Baudelaire (peu aimé de la mère de Proust, et pour cause) a multiplié en son temps les fanfaronnades et les rodomontades, les postures avantageuses et exaspérantes, dans un climat mystico-religieux. Il l'a payé cher. Il en rajoute d'ailleurs dans un projet de préface aux Fleurs du mal : « J'ai un de ces heureux caractères qui tirent une jouissance de la haine, et qui se glorifient dans le mépris. Mon goût diaboliquement passionné de la bêtise me fait trouver des plaisirs particuliers dans les travestissements de la calomnie. »

N'oublions quand même pas les deux erreurs initiales et sensationnelles de La NRF au temps de sa gloire : le refus de Proust, et, plus tard, celui de Céline. Ça s'est arrangé. La NRF s'arrange toujours.

22/02/2009