Inquisition

À quoi pense Roman Polanski, dans sa cellule de prison en Suisse ? Au ciel, par-dessus le toit, si bleu, si calme. Il a soixante-seize ans, il est très fatigué, il doit faire effort chaque matin, pour se souvenir des raisons de son enfermement, cette sombre histoire d'il y a plus de trente ans avec une jeune fille de treize ans qui, aujourd'hui, à quarante-cinq ans et mère de famille, prie qu'on la laisse tranquille et qu'on abandonne les poursuites contre son séducteur.

Lui, Polanski, a du mal à évoquer la confusion de ce vieil épisode de dérèglement. Avait-il bu ? Était-il drogué ? Sans doute, mais enfin il a commis un crime abominable pour lequel ni les États-Unis ni la Suisse ne connaissent de prescription. Était-il le jouet de pulsions démoniaques ? C'est possible, comme le prouve son chef-d'œuvre diabolique Rosemary's Baby. Il s'est moqué du Diable, la vengeance de toutes les sectes sataniques le poursuit.

Ce qui l'étonne le plus (ou pas vraiment), ce sont les flots de condamnations qui l'accablent, sur le Net ou à travers les blogs. Des légions de procureurs indignés ou de mères de famille de province lui font savoir l'horreur qu'il inspire à l'humanité. La Suisse, surtout, se démène au nom de sa pureté sexuelle et bancaire. Va-t-il être extradé ? Être encore en prison jusqu'à soixante-dix-huit ans, ou plus ? Un juge américain l'exige, soulignant que la loi doit être la même pour tous.

Pourtant, ce juge vertueux (comme Ernest Pinard faisant condamner, autrefois, Les Fleurs du mal de Baudelaire) ne peut pas s'empêcher de penser sans cesse au forfait monstrueux de Polanski. Il en rêve, il veut avoir sous la main, pour mieux l'observer, ce pervers européen, genre Nabokov avec sa Lolita légendaire. Qu'on boucle enfin ce juif polonais qui a échappé aux nazis ! Il a osé réaliser ce dont tout magistrat voudrait, en douce, être capable de faire.

À quoi pense le gentil Frédéric Mitterrand dans la nuit de son ministère de la Culture ? Probablement à l'abîme qui sépare les religieux pèlerinages de son oncle à la roche de Solutré et ses propres embardées dans les bordels de Thaïlande. Il s'est ému que l'on fasse soudain payer sa mauvaise vie à un grand cinéaste, il a été imprudent, il n'a pas évalué que l'époque, de droite à gauche, était devenue rigoureusement morale et inquisitoriale. Mais quoi, le président Sarkozy le sauve, pendant que François Mitterrand, dans l'au-delà, fait la moue.

01/11/2009