Rimbaud

C'est une photo extraordinaire. Nous sommes à Aden, vers 1886, sur le perron de l'hôtel de l'Univers. Sept personnages posent : six hommes et une jeune femme. Les hommes se présentent de façon avantageuse, coloniale, très XIXsiècle. La jeune femme, plutôt jolie, a l'air détendue. Assis et accoudé à sa droite, un homme plus jeune et très différent des autres, cheveux courts, vêtu très simplement, penché en avant et fixant l'objectif de façon à la fois concentrée et froide, très moderne. C'est Arthur Rimbaud à trente-deux ans. Il est là, oui, et il est ailleurs. L'univers est son hôtel.

On doit beaucoup à l'étrange Jean-Jacques Lefrère, qui publie cette photo, trouvée par des libraires au fond d'une caisse216. Lefrère est un découvreur, le contraire d'un assis universitaire, un enquêteur précis et inspiré, notamment sur les existences fulgurantes et secrètes de Lautréamont et de Rimbaud. Avec lui, pas d'idéalisation romantique : les faits qui font vivre ces œuvres dans un temps vivant. Vous regardez cette image inconnue de Rimbaud, devenu commerçant et trafiquant d'armes, loin de l'Europe, « continent où la folie rôde » (n'est-ce pas ?) et vous vous souvenez que c'est lui qui écrit, au commencement d'Une saison en enfer : « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. » Ou bien, dans Illuminations : « Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour. » Il ne pense plus à ces phrases. Les a-t-il oubliées ? Sûrement pas, mais il s'agit maintenant d'une tout autre et dure aventure. Tenez, le voici, ces jours-ci, poursuivant sa vie fantomatique, assis dans un coin du Café de Flore, à Paris. Il est en train de lire, avec un imperceptible sourire un peu égaré, le journal Le Monde. Il passe complètement inaperçu.

25/04/2010