18 juin

Qui a entendu le discours d'un obscur général transmis, le 18 juin 1940, à travers les ondes de la BBC ? Presque personne. Pourquoi, soixante-dix ans après, vrai retour du refoulé, n'est-il question que de De Gaulle ?

Voyons les dates : si de Gaulle meurt en 1940, il passe à la trappe ; en 1950, il est placardisé ; en 1960, la guerre d'Algérie risque de lui coûter la vie ; en 1970, on l'enterre ; en 1980, Mitterrand est bien décidé à le rayer de la carte ; en 1990, même topo ; en 2000, il est trop lourd à porter pour Chirac ; en 2010, le revoilà, mais comme un spectre, puisqu'on n'interroge que de vieux revenants, d'ailleurs sympathiques.

Personne ne m'a demandé mon avis sur mon expérience d'écouteur de Radio Londres, à six ans, dans des greniers calfeutrés de Bordeaux. C'est pourtant, pour moi, une expérience inoubliable, surtout à cause de l'intense poésie surréaliste qui se dégageait des messages codés sur fond de brouillage. En voici quelques-uns, parmi les plus énigmatiques et les plus beaux : « Je cherche des trèfles à quatre feuilles », « Les colimaçons cabriolent », « Nous nous roulerons sur le gazon », « Les grandes banques ont des succursales partout », « Le cardinal a bon appétit », « J'aime les femmes en bleu », « Elle fait de l'œil avec le pied », « La brigade du déluge fera son travail », « Ne vous laissez pas tenter par Vénus », « Saint Pierre en a marre ».

Que déclenchaient ces messages « personnels » ? Des attentats ? Une destruction de ponts ? Une fuite précipitée ? Un assassinat ciblé ? Je n'ai jamais été gaulliste, on s'en doute. Mais ce général réfractaire m'a ému, et j'aimerais l'entendre aujourd'hui, sur une radio clandestine, dire ce qu'il pense des marchés financiers. Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup rêvé, dans mon enfance, de me rouler un jour sur le gazon avec des femmes en bleu. Je l'ai d'ailleurs fait, mais ne le dites à personne.

27/06/2010