Stendhal

Julien Assange nous renseigne sur ses lectures : le poète latin Horace, Mark Twain, Soljenitsyne. Voilà, en tout cas, un virtuose de l'informatique qui croit encore au livre. Malgré les prophéties sur sa disparition remplacée par le numérique et Google, le livre papier résiste et résistera. Un conseil au pirate : il serait temps, en prison ou pas, qu'il se mette à Stendhal, dont on vient de rééditer le Journal en livre de poche222.

Le voici en juillet 1801 (il a dix-huit ans) : « Hâtons-nous de jouir, nos moments nous sont comptés, l'heure que j'ai passée à m'affliger ne m'en a pas moins rapproché de la mort. Travaillons, car le travail est le père du plaisir, mais ne nous affligeons jamais. Réfléchissons sainement avant de prendre un parti ; une fois décidé, ne changeons jamais. Avec l'opiniâtreté, on vient à bout de tout. Donnons-nous des talents ; un jour je regretterais le temps perdu. »

En 1811, le voilà à Milan, avec Angela, une des femmes qu'il a le plus aimées : « Sans doute la femme la plus belle que j'ai eue, et peut-être que j'ai vue, c'est Angela telle qu'elle me paraissait ce soir en me promenant avec elle dans les rues, à la lueur des lumières des boutiques. […] Elle venait de prendre un café avec moi dans une arrière-boutique solitaire ; ses yeux étaient brillants ; sa figure demi-éclairée avait une harmonie suave, et cependant était terrible de beauté surnaturelle. On eût dit un être supérieur qui avait pris la beauté parce que ce déguisement lui convenait mieux qu'un autre, et qui, avec ses yeux pénétrants, lisait au fond de votre âme. Cette figure aurait fait une sibylle sublime. »

Stendhal, qui était amoureux de l'amour, a écrit ceci : « L'amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires, ou plutôt la seule. » D'où les personnages féminins de ses romans inoubliables, dans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme. Un de ses amis lui dit que le caractère des femmes est « un désir insatiable de plaire, et que, par conséquent, on ne saurait trop les louer ». Cet ami (peut-être Stendhal lui-même) « a vu la louange produire des miracles ». Ainsi « une femme disait d'un homme dont la figure était presque hideuse, “Quel monstre ! Il me fait mal aux yeux.” Le monstre la loua, parvint à lui plaire et enfin à coucher avec elle. »

En juillet 1815, Stendhal est à Venise : « Mon bonheur consiste à être solitaire au milieu d'une grande ville, et à passer toutes les soirées avec une maîtresse. Venise remplit parfaitement les conditions. » C'est précisément, deux siècles après, le sujet de mon nouveau roman qui paraît ces jours-ci223 : je vais l'envoyer au pirate.

02/01/2011