Céline
Je ne comprends pas ce cliché répété sans cesse à propos de Céline : « Très grand écrivain, mais parfait salaud ». J'attends que ceux qui emploient ce genre de formule m'expliquent ce qu'est pour eux un « très grand écrivain ». En général, comme ils n'ont pas lu grand-chose, ils bafouillent. Je préfère m'abstenir de rentrer dans cette polémique interminable, truquée et vaseuse. Parler d'un écrivain sans le citer est, de toute façon, une imposture. Je choisis donc de laisser la parole à l'accusé.
Céline, en 1948, en exil au Danemark où il vient de passer dix-huit mois en prison dans le quartier des condamnés à mort, a la vision d'une « planète de fous homicides ». Il est allé chercher le Diable, il l'a trouvé, il est en enfer, et l'enfer est beaucoup plus médiocre que prévu : « On voudrait un peu de véritable luciférisme, on ne rencontre que de prudents rentiers de l'horreur. » Il écrit des choses comme ça : « Le temps ne s'efface pas chez moi, il grave. » Ou bien : « Si je cesse de danser une seconde, la mort m'emporte. » Il danse donc, avec son « moulin à prières » interne, dans le couloir de la mort.
Et aussi : « Pauvre destinée que la nôtre sur la route des étoiles ! Embûches, mirages, gouffres, néant ! C'est trop pour nous. » Ou bien : « Il faudrait écrire des romans du matin au soir. » L'embêtant, c'est la terrible jalousie des autres (écrivains, critiques, journalistes) : « Une méchanceté envieuse, lâche, imbécile, féroce, implacable, naturelle, banale, fastidieuse, c'est ça l'opinion. » Autrement dit la « médiocrité vexée », la pire. Et enfin : « Priez le Diable pour moi, il va plus vite que le Bon Dieu ! Tout le prouve. » Vous entendez enfin la voix de Céline ? Non ? Tant pis.
30/01/2011