Gallimard

Les éditions Gallimard fêtent leur centenaire, c'est-à-dire leur insolente jeunesse. Depuis mon petit bureau de la revue trimestrielle L'Infini (le numéro 114 vient de paraître), j'observe ce lieu, unique au monde, où des grands écrivains morts sont plus vivants que jamais. Avec un peu d'imagination, on les rencontre ici tous les jours. Ce matin, par exemple, Gide est concentré, Claudel furieux, Malraux et Aragon agités, Sartre grognon, Camus soucieux, Paulhan évasif, mais Queneau rit de son rire chevalin célèbre. Majestueux, Gaston passe en dandy jardinier. Valéry virevolte, Cioran s'amuse, Bataille essaie de se débarrasser de Blanchot, Artaud murmure des exorcismes, Genet vient chercher de l'argent liquide. Le duc de Saint-Simon est très surpris de ses huit volumes en Pléiade impeccablement présentés, et d'être, en même temps que Retz ou Sévigné, considéré comme un « écrivain français ». Sade apprécie ses élégantes gravures pornographiques du XVIIIsiècle, Voltaire sourit en caressant les treize volumes de sa correspondance. Montaigne, Pascal, Bossuet, Molière, La Fontaine, Diderot, Rousseau, Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Baudelaire, Flaubert, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé, Proust, Breton, Céline, passent en coup de vent dans les arbres. Peu importe qu'ils se détestent ou s'ignorent les uns les autres, ils volent, c'est l'essentiel. Avec la nuit, la Banque centrale de la Littérature, paquebot romanesque géant, largue ses amarres et flotte à travers les siècles, sur des heures liquides. À son poste de commandement amiral, Antoine, l'heureux propriétaire des lieux, a d'ailleurs, sur sa cheminée, une maquette de bateau à voiles.

27/03/2011