Sartre

Il y a trente ans, lors de l'élection de Mitterrand à la présidence de la République, on pouvait lire, à la une du Monde, un article sensationnel, une vraie fanfaronnade, pour ne pas dire une rodomontade, du critique Bertrand Poirot-Delpech, devenu, par la suite, membre de l'Académie française. Le titre ? Un écrivain-né. Je cite : « Un peu comme le Sartre des Mots la chose écrite a pris, chez le nouveau président, la place laissée vacante par la transcendance chrétienne. C'est en quelque sorte sa dimension mystique. » « La littérature est toujours pour moi un paradis privilégié », a-t-il redit aux Nouvelles littéraires à la veille du second tour. Il pourrait écrire, comme Hugo dans ses Cahiers : « Je suis un homme qui pense à tout autre chose. »

Sartre est mort en 1980, il n'a donc pas pu lire ces lignes extravagantes, mais on peut, sans effort, imaginer sa nausée. Voir Mitterrand mis sur le même plan que lui et Hugo, lui aurait paru d'une singulière folie. On aimerait savoir aujourd'hui ce qu'il écrirait sur DSK, le FMI, la gauche, Sarkozy, le Printemps arabe, le puritanisme américain, l'incroyable misère espagnole. On peut, en tout cas, relire Les Mots, ce chef-d'œuvre, alors que la prose de « l'écrivain-né » Mitterrand a, depuis longtemps, rejoint la platitude générale. Écoutons-le donc : « Plutôt que le fils d'un mort, on m'a fait entendre que j'étais l'enfant du miracle. De là vient, sans doute, mon incroyable légèreté. Je ne suis pas un chef, ni n'aspire à le devenir. Commander, obéir, c'est tout un. […] De ma vie, je n'ai donné d'ordre sans rire, sans faire rire ; c'est que je ne suis pas rongé par le chancre du pouvoir : on ne m'a pas appris l'obéissance. »

Dans ses Carnets, Sartre écrit aussi : « Je hais le sérieux. » Et aussi : « Il n'est pas possible de se saisir soi-même comme conscience sans penser que la vie est un jeu. » Vous avez bien lu : la vie est un jeu, le pouvoir est un chancre. Il serait temps que la France retrouve un peu de ses esprits. Seule la bonne littérature y aide. Sinon, comme on peut le constater, le chancre sévit partout.

29/05/2011