Deuxième étude

Le déclin de la rhétorique : la tropologie


La ligne directrice de cette étude est tracée par le mouvement qui porte de la rhétorique à la sémantique et de celle-ci à l’herméneutique. C’est le passage de la première à la seconde qui nous occupera ici. Nous mettrons à l’épreuve l’hypothèse avancée dans l’introduction selon laquelle un traitement purement rhétorique de la métaphore résulte du privilège abusif accordé initialement au mot et, plus précisément, au nom, à la dénomination, dans la théorie de la signification, tandis qu’un traitement proprement sémantique procède de la reconnaissance de la phrase comme première unité de signification. Dans le premier cas la métaphore est un trope, c’est-à-dire un écart affectant la signification du mot — dans le second, elle est un fait de prédication, une attribution insolite au niveau même du discours-phrase (on verra si — et jusqu’à quel point — on peut encore parler d’écart à ce niveau d’analyse).

Ce changement de front pourrait être opéré directement par une analyse qui ferait l’économie de la rhétorique des tropes et qui se situerait d’emblée au plan de la logique propositionnelle comme le font la plupart des auteurs anglo-saxons depuis I. A. Richards. Nous avons choisi la voie plus longue d’une démonstration indirecte qui tire essentiellement argument de l’échec de la rhétorique finissante ; celle-ci fournit en effet la preuve a contrario de la nécessité d’appuyer la théorie de la métaphore à celle du discours-phrase. L’examen de l’un des derniers traités de rhétorique, les Figures du discours, de Pierre Fontanier, servira de fil conducteur.

1. Le « modèle » rhétorique de la tropologie

Notre hypothèse amène à donner une explication du déclin de la rhétorique, sensiblement différente de celle que certains néo-rhétoriciens de tendance structuraliste en donnent. Ceux-ci1 en attribuent la cause à la réduction progressive de son champ, tel que nous l’avons décrit plus haut2 ; depuis les Grecs, la rhétorique s’est en effet peu à peu réduite à la théorie de l’élocution par amputation de ses deux parties maîtresses, la théorie de l’argumentation et la théorie de la composition ; à son tour, la théorie de l’élocution, ou du style, s’est réduite à une classification des figures, et celle-ci à une théorie des tropes ; la tropologie elle-même n’a plus prêté attention qu’au couple constitué par la métaphore et la métonymie au prix de la réduction de la seconde à la contiguïté et de la première à la ressemblance.

Cette explication, qui est en même temps une critique, veut frayer la voie au projet d’une nouvelle rhétorique qui d’abord rouvrirait l’espace rhétorique qui a été progressivement fermé ; par là, le projet est tourné contre la dictature de la métaphore. Mais l’entreprise ne serait pas moins fidèle à l’idéal taxinomique de la rhétorique classique ; elle serait seulement plus attentive à la multiplicité des figures : « les figures, mais toutes les figures », telle serait sa devise.

A mon sens, la réduction du champ rhétorique n’est pas le fait décisif ; non qu’il ne s’agisse là d’un phénomène culturel de grande signification et qu’on ne puisse en tirer quelque mise en garde contre toute inflation de la métaphore. Mais cet avertissement même ne peut être mis à profit si l’on n’a pas mis à nu une racine plus profonde que les néo-rhétoriciens ne sont peut-être pas préparés à reconnaître. Le problème n’est pas de restaurer l’espace rhétorique primitif — ce qui est peut-être hors de notre portée pour des raisons culturelles inéluctables —, mais de comprendre d’une nouvelle manière le fonctionnement même des tropes et, à partir de là, de reposer éventuellement dans des termes nouveaux la question de la visée de la rhétorique.

Le déclin de la rhétorique résulte d’une erreur initiale qui affecte la théorie même des tropes, indépendamment de la place accordée à la tropologie dans le champ rhétorique. Cette erreur initiale tient à la dictature du mot dans la théorie de la signification. De cette erreur on n’aperçoit que l’effet le plus lointain : la réduction de la métaphore à un simple ornement. Entre le point de départ — le primat du mot — et le point d’arrivée — la métaphore comme ornement —, se déploie toute une série de postulats qui, de proche en proche, rendent solidaires la théorie initiale de la signification, axée sur la dénomination, et une théorie purement ornementale du trope qui avère finalement la futilité d’une discipline que Platon avait déjà rangée du même côté que le « cosmétique ».

On peut restituer de la manière suivante cette série de postulats dont l’ensemble constitue le modèle implicite de la tropologie.

a) Certains noms appartiennent en propre à certaines sortes (genres et espèces) de choses ; on peut appeler sens propre le sens de ces termes. Par contraste, la métaphore et les autres tropes sont des sens impropres ou figurés : postulat du propre et de l’impropre ou du figuré ;

b) Certaines sortes de choses sont appelées d’un terme impropre, faute d’employer le mot propre qui convient ; cette absence du mot propre dans le discours actuel résulte soit d’un choix de caractère stylistique, soit d’un réel manque ; dans les deux cas, le recours à un terme impropre vise à combler une lacune sémantique, ou mieux, lexicale, dans le message actuel ou dans le code : postulat de la lacune sémantique ;

c) La lacune lexicale est comblée par l’emprunt d’un terme étranger : postulat de l’emprunt ;

d) Le terme d’emprunt est appliqué à la sorte de chose considérée au prix d’un écart entre le sens impropre ou figuré du mot d’emprunt et son sens propre : postulat de l’écart ;

e) Le terme d’emprunt, pris en son sens figuré, est substitué à un mot absent (qu’il manque ou qu’on ne désire pas l’employer) qui aurait pu être employé à la même place en son sens propre ; cette substitution se fait par préférence et non par contrainte lorsque le mot propre existe ; on parle alors de trope au sens strict ; lorsque la substitution correspond à une véritable lacune du vocabulaire et qu’elle est contrainte, on parle de catachrèse : axiome de la substitution ;

f) Entre le sens figuré du mot d’emprunt et le sens propre du mot absent auquel le premier est substitué, il existe une relation qu’on peut appeler la raison de la transposition ; cette raison constitue un paradigme pour la substitution des termes ; dans le cas de la métaphore, la structure paradigmatique est celle de la ressemblance : postulat du caractère paradigmatique du trope3 ;

g) Expliquer (ou comprendre) un trope, c’est, guidé par la raison du trope, c’est-à-dire le paradigme de la substitution, trouver le mot propre absent ; c’est donc restituer le terme propre auquel un terme impropre a été substitué ; la paraphrase en quoi consiste cette restitution est en principe exhaustive, la somme algébrique de la substitution et de la restitution étant nulle : postulat de la paraphrase exhaustive.

C’est de cette chaîne de présuppositions que résultent les deux derniers postulats qui caractérisent le traitement proprement rhétorique de la métaphore et, en général, des tropes :

h) L’emploi figuré des mots ne comporte aucune information nouvelle. Ce postulat est solidaire du précédent ; si la restitution annule la substitution, si donc il peut être donné une paraphrase exhaustive de la métaphore et en général du trope, la métaphore n’enseigne rien : postulat de l’information nulle ;

i) Le trope, n’enseignant rien, a une simple fonction décorative ; il est destiné à plaire en ornant le langage, en donnant de la « couleur » au discours, un « vêtement » à l’expression nue de la pensée.

Telle est la chaîne des présuppositions impliquées dans un traitement purement rhétorique de la métaphore. Depuis le point de départ qui fait de la métaphore un accident de la dénomination jusqu’à la conclusion qui lui confère une simple fonction ornementale et confine la rhétorique tout entière dans l’art de plaire, la chaîne est continue. Que la métaphore n’enseigne rien et ne serve qu’à orner le discours, ces deux assertions procèdent de proche en proche de la décision initiale de traiter la métaphore comme une manière insolite d’appeler les choses.

Considérée après coup à la lumière de ce modèle, l’analyse d’Aristote en apparaît comme l’anticipation. Or Aristote ne peut être accusé d’avoir réduit l’amplitude de la rhétorique à une théorie de l’élocution, encore moins à une théorie des figures ; il n’a pas non plus perdu son élan dans les exercices de pure taxinomie : les quatre espèces qu’il distingue sont encore des espèces de la métaphore, laquelle n’est opposée à aucune autre figure ; quant à la distinction entre métaphore et comparaison, l’analyse s’emploie précisément à la réduire, au bénéfice d’ailleurs de la métaphore. Si donc Aristote est l’initiateur du modèle, ce n’est pour aucune raison qui tienne à la définition qu’il donne du champ de la rhétorique, donc à la place de la lexis dans ce champ, mais uniquement en raison de la place centrale donnée au nom dans l’énumération des constituants de la lexis, et de la référence au nom de la définition de la métaphore. C’est pourquoi la théorie aristotélicienne de la métaphore abonde en allusions plus ou moins appuyées à tel ou tel des postulats que nous venons de mettre en ordre : opposition entre mot « ordinaire » et mot « étrange » ; écart du second par rapport au premier ; transfert de sens du mot « emprunté » à la chose à dénommer ; « substitution » de ce mot à celui qu’on aurait employé à la même place ; possibilité de « restituer » ce dernier ; caractère orné du style métaphorique ; plaisir pris à ce style.

Il est vrai que d’autres traits de la description d’Aristote résistent à sa réduction au modèle considéré ; mais ces traits ne rappellent aucunement, au cœur de la théorie de la lexis, l’amplitude initiale de la rhétorique ; ils pointent plutôt vers une théorie discursive et non plus nominale de la métaphore. Rappelons quelques-uns de ces traits : d’abord, le rapprochement entre métaphore et comparaison ; celui-ci se fait au bénéfice de la métaphore parce que la première contient en raccourci l’attribution (Achille est un lion) que la comparaison surcharge d’un argument (Achille est comme un lion). La différence entre métaphore et comparaison est alors entre deux formes de prédication : être et être comme. C’est pourquoi la métaphore est plus puissante : l’attribution directe fait jaillir la surprise que la comparaison dissipe. Du même coup, l’opération qui consiste à donner à une chose le nom d’une autre révèle sa parenté à l’opération prédicative. Ce n’est pas seulement la métaphore proportionnelle qui présente cette parenté avec la comparaison, mais toute espèce de métaphore, en vertu de la polarité entre deux termes que présupposent aussi les trois espèces de métaphore ; comment, en effet, donner au genre le nom de l’espèce, si la métaphore n’est pas un « dire deux », la chose qui prête son nom et celle qui le reçoit ? Ainsi l’épiphore de la métaphore ne semble pas épuiser son sens dans les notions d’emprunt, d’écart, de substitution. Lorsqu’elle ressemble le plus à une énigme, la métaphore appelle plutôt une théorie de la tension qu’une théorie de la substitution. C’est pourquoi sans doute Aristote professe aussi que la métaphore « enseigne par le genre » : cette déclaration déroge aux deux derniers postulats qui complètent le modèle rhétorique.

Ainsi, tout en étant l’initiateur du modèle qui triomphera dans la rhétorique finissante, Aristote fournit aussi quelques-uns des arguments qui mettront en échec ce modèle. Mais ce n’est pas parce que sa rhétorique est plus vaste qu’une théorie de l’élocution, mais parce que la lexis, explicitement centrée sur le nom, repose implicitement sur une opération prédicative.

2. Fontanier4, le primat de l’idée et du mot

Le traité de Pierre Fontanier, les Figures du discours (1830), constitue l’effectuation la plus rapprochée du modèle rhétorique que nous avons construit systématiquement.

La prééminence du mot y est affirmée sans ambiguïté. Ce primat est assuré par la méthode analytique (parente de celle de l’idéologie, si elle ne lui est pas empruntée) qui, avant d’être appliquée aux figures, l’est aux « éléments mêmes de la pensée et de l’expression : les idées et les mots » (Notions préliminaires, 39). Il faut bien commencer ainsi, puisque la définition du trope s’édifie sur celle du couple idée-mot : « Les tropes sont certains sens plus ou moins différents du sens primitif qu’offrent dans l’expression de la pensée les mots appliqués à de nouvelles idées » (ibid.). A l’intérieur même du couple idée-mot, l’idée est dans la position du principe : « La pensée se compose d’idées et l’expression de la pensée par la parole se compose de mots. Voyons donc ce que sont les idées en elles-mêmes… » (41). C’est donc le primat de l’idée qui assure celui du mot. La rhétorique est ainsi suspendue à une théorie extra-linguistique, à une « idéologie », au sens propre du mot, qui cautionne le mouvement de l’idée au mot5.

Rappelons les éléments d’idéologie ainsi placés au fondement de la théorie du mot et, ultérieurement, de la théorie des tropes. Les idées sont « les objets que voit notre esprit » (41). Sur cette vue directe se règlent toutes les distinctions entre idées : idées complexes, simples (« il n’y a de véritablement simples que celles qui se refusent à l’analyse » (42), concrètes, individuelles, générales ; il en est de même de la manière dont elles « se lient et s’enchaînent les unes aux autres dans notre esprit pour y former des multitudes d’associations, d’assemblages ou de groupes divers » (43). Sur ces enchaînements se fonde la distinction des idées principales et des idées secondaires ou accessoires. Le principe d’une grammaire est ici contenu : avant d’introduire le substantif, on peut définir en elle-même l’idée substantive, c’est-à-dire « l’idée individuelle elle-même en tant qu’elle se rapporte immédiatement à tel objet particulier et individuel existant à titre de substance » (42) ; avant de parler d’adjectif, on peut également définir l’idée concrète, c’est-à-dire l’idée qui « indique dans l’idée de l’objet complexe une qualité, une action ou une passion » (ibid.). Enfin, c’est parmi les idées accessoires qu’il faut chercher les idées de rapport ou de circonstance que « nous ferons connaître avec les mots qui en sont les signes » (ibid.).

Dès lors, tout ce qui peut être dit des mots résulte de leur « correspondance avec les idées » (44). Parler des idées et des mots, c’est parler deux fois des idées : une première fois des « idées en elles-mêmes », une deuxième fois des idées en tant que « représentées par les mots » (41).

Le tableau des espèces de mots reflétera donc celui des espèces d’idées ; deux grandes classes sont distinguées : les signes des idées d’objet et les signes des idées de rapport. A la première classe appartiennent le nom, l’adjectif, le participe, l’article, le pronom. Le nom correspond à l’idée substantive ; parmi les noms, le nom propre correspond aux idées individuelles, le nom commun aux idées générales. Les adjectifs correspondent aux idées concrètes de qualité ; les participes, aux idées concrètes d’action, de passion ou d’état. L’article désigne l’étendue des noms et les pronoms suppléent aux noms. A la deuxième classe appartiennent le verbe, la préposition, l’adverbe, la conjonction. Par verbe, il faut entendre ici le seul verbe être ; les verbes concrets étant formés par la combinaison du verbe être avec un participe (je lis, je suis lisant) ; le verbe être marque un rapport de coexistence entre une idée substantive quelconque et une idée concrète ou adjective. En traitant ainsi du verbe sous le titre des idées de relation, Fontanier non seulement assujettit le verbe à la théorie de l’idée-mot, c’est-à-dire à une théorie des éléments de pensée et d’expression, mais l’assujettit au primat de la première espèce de mots : le nom. Considérant les six espèces sujettes aux variations du genre, du nombre, de la personne, du temps et des modes, il note : « Mais il est aisé de voir que c’est l’idée substantive à laquelle elles concourent toutes plus ou moins directement qui les y assujettit ou par elle-même ou par les idées accessoires qu’elle entraîne avec elle » (46). Concourir, assujettir, entraîner : autant de manières insistantes de renforcer la position de prééminence du nom, déjà assurée par celle de l’idée substantive.

Il est vrai que ce règne n’est pas sans partage ; un second point de départ est proposé qui n’est plus l’idée, mais la pensée elle-même. Celle-ci était nommée dès le début en même temps que le mot : « La pensée se compose d’idées et l’expression de la pensée par la parole se compose de mots » (41). La définition du trope l’impliquait aussi : « Les tropes sont certains sens plus ou moins différents du sens primitif qu’offrent dans l’expression de la pensée les mots appliqués à de nouvelles idées » (39). Pensée et mots semblent donc être des fondements égaux. Une théorie propre de la pensée et de son expression est en outre préparée par la distinction entre idée d’objet et idée de rapport. Si le verbe est le signe de la coexistence d’une idée substantive et d’une idée concrète, cette coexistence peut être affirmée ou niée ; or la pensée n’est pas autre chose que « la réunion de ces deux idées par l’acte intérieur de notre esprit qui en met l’une dans l’autre ou hors de l’autre » (49). Voilà donc la rhétorique établie sur une analyse à deux foyers : l’idée et le jugement ; à quoi correspond, du côté de l’expression, la dualité du mot et de la proposition, celle-ci n’étant pas autre chose que le « jugement produit hors de notre esprit et comme posé en avant, comme posé devant l’esprit des autres » (49).

Il est alors possible de retranscrire toutes les distinctions entre espèces de mots en fonction de leur rôle dans la proposition : l’idée substantive, considérée dans le jugement, devient le sujet de la proposition, l’idée concrète est ce qu’on appelle l’attribut et le rapport de coexistence, exprimé par le verbe être, est ce qu’on appelle la copule.

Que le mot et la proposition constituent deux pôles distincts de l’expression de la pensée, la définition des notions de sens et de signification le confirme : c’est d’abord par rapport au mot que le sens est défini : « Le sens est, relativement à un mot, ce que ce mot nous fait entendre, penser, sentir par sa signification ; et sa signification est ce qu’il signifie, c’est-à-dire ce dont il est signe, dont il fait signe » (55). Mais « le mot de sens se dit aussi de toute une phrase, quelquefois même de tout un discours » (ibid.). D’ailleurs, « la proposition n’est une phrase que lorsque, sous une certaine construction, elle présente un sens complet et fini » (53). C’est relativement à la proposition dans son ensemble que peuvent être distingués le sens objectif, le sens littéral et le sens spirituel ou intellectuel. Le sens objectif n’est pas opposé aux deux autres ; il est le sens même de la proposition : « celui qu’elle a relativement à l’objet sur lequel elle porte » (56). Les grandes catégories qui sont subsumées sous le sens objectif sont celles mêmes que fournit la théorie des idées : sens substantif ou adjectif ; actif ou passif, etc. Plus importante pour nous est la distinction entre sens littéral et sens spirituel qui, à la différence du sens objectif, forment couple. L’un et l’autre se disent de la proposition, mais se distinguent par un caractère qui tient aux mots : « Le sens littéral est celui qui tient aux mots pris à la lettre, aux mots entendus selon leur acception dans l’usage ordinaire : c’est par conséquent celui qui se présente immédiatement à l’esprit de ceux qui entendent la langue » (57). « Le sens spirituel, sens détourné ou figuré d’un assemblage de mots, est celui que le sens littéral fait naître dans l’esprit par les circonstances du discours, par le ton de la voix ou par la liaison des idées exprimées avec celles qui ne le sont pas » (58-59).

Que la théorie du mot l’emporte finalement sur la théorie de la proposition est pour nous de la plus grande importance. En effet, la théorie des tropes se réglera finalement sur le mot et non sur la proposition ; la notion de sens tropologique est immédiatement apposée à celle de sens littéral, mais sous la restriction expresse qu’il s’agit du sens littéral d’un mot pris isolément : « Le sens littéral qui ne tient qu’à un seul mot est ou primitif, naturel et propre, ou dérivé, s’il faut le dire, et tropologique » (57). La notion de figure est elle-même introduite dans le même sillage, non d’abord comme le genre dont le trope serait l’espèce, mais comme l’une des deux manières dont les tropes ont lieu : « par choix et par figure » s’oppose à « par nécessité et par extension » (ibid.). Dans ce second cas, celui du sens tropologique extensif, il s’agit de « suppléer au mot qui manque à la langue pour certaine idée » (ibid.) ; dans le premier, celui du sens tropologique figuré, il s’agit de « présenter les idées sous des images plus vives et plus frappantes que leurs signes propres » (ibid.).

Ainsi le règne du mot, qu’une théorie de la proposition aurait pu équilibrer, est-il réaffirmé jusque dans la distinction du sens littéral et du sens spirituel, au moment même où la notion de sens paraissait être assumée par la phrase dans son ensemble plutôt que par le mot.

La distinction des tropes en un seul mot, ou tropes proprement dits, et des tropes en plusieurs mots, se fera sur la même base. Et pourtant la distinction même de la lettre et de l’esprit semblait devoir appeler l’accent sur l’autre pôle : le sens spirituel n’est-il pas toujours à quelque degré sens « d’un assemblage de mots », et par conséquent lié à des tropes en plusieurs mots ? Et n’est-ce pas « par les circonstances du discours, par le ton de la voix ou par la liaison des idées exprimées avec celles qui ne le sont pas » — c’est-à-dire par des traits qui affectent la pensée au niveau de la proposition — que le sens littéral fait naître le sens spirituel dans notre esprit ? Et l’expression même de sens spirituel ne rappelle-t-elle pas que c’est « l’esprit qui le forme » ? Or l’acte intérieur, dans notre esprit, n’est-il pas le jugement ?

On le voit, le primat du mot n’abolit pas entièrement l’organisation bipolaire de la pensée et de son expression. Mais l’idée rétablit le règne du mot chaque fois que les exemples semblent mettre le discours au-dessus du mot.

3. Trope et figure

La théorie entière des tropes et des figures s’établit sur ce primat du mot, tout en appelant de place en place un retour à la polarité de l’idée et du jugement reflétée dans celle du mot et de la phrase, qui seule présente un « sens complet et fini » (53).

Il pourrait sembler, pourtant, que l’entité placée au fondement de l’entreprise taxinomique ne soit pas le trope, dont on a commencé d’apercevoir la dépendance au mot, mais la figure qui fait indifféremment référence au mot, à l’énoncé, au discours. Pour Gérard Genette, dans sa remarquable Introduction au traité de Fontanier, l’intérêt principal de l’œuvre réside dans la réunion des tropes et des non-tropes sous la notion de figure. Le choix de cette unité pertinente, qui n’est ni le mot, ni l’énoncé, exprimerait un parti intermédiaire entre celui d’Aristote, qui embrassait encore la totalité du champ rhétorique (invention, disposition, élocution) et celui de Dumarsais qui ramenait la rhétorique à la grammaire dont la fonction est de « faire entendre la véritable signification des mots et en quel sens ils sont employés dans le discours » (cité par Genette, 8). L’unité typique pour Fontanier ne serait ni le discours, ni le mot, « unité plus grammaticale que rhétorique », remarque Genette (ibid.). Le parti intermédiaire de Fontanier serait bien exprimé par la maxime : « Seulement les figures, mais toutes les figures » (ibid.). L’avantage de ce tiers parti est d’établir la rhétorique sur une entité susceptible de soutenir l’ambition d’énumération complète et de classement systématique qui fait de l’ouvrage de Fontanier un « chef-d’œuvre d’intelligence taxinomique » (ibid., 13)6. La figure peut tenir ce rôle architectonique parce qu’elle a même amplitude que le discours en général : « Qu’est-ce que les figures du discours en général ? Ce sont les formes, les traits ou les tours plus ou moins remarquables et d’un effet plus ou moins heureux par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l’expression simple et commune » (Fontanier, 64, 179). La figure peut donc être indifféremment référée au mot, à la phrase, ou aux traits du discours qui expriment le mouvement du sentiment et de la passion.

Mais que dire de la figure comme telle ? Il faut avouer que la figure, comme l’épiphore chez Aristote, ne se dit elle-même que par métaphore ; les figures sont au discours ce que les contours, les traits, la forme extérieure sont au corps ; « le discours, bien que n’étant pas un corps, mais un acte de l’esprit, a pourtant, dans ses différentes manières de signifier et d’exprimer, quelque chose d’analogue aux différences de formes et de traits qui se trouvent dans les vrais corps » (63).

On songe encore à Aristote, distinguant le « comment » du « quoi » du discours et assimilant le « comment » à un « apparaître » du discours7. (Peut-être la notion d’expression tient-elle en germe la même métaphore.)

Fontanier ne paraît pas embarrassé par cette amorce de cercle (la métaphore est une figure et le mot figure est un mot métaphorique8). Il préfère s’adresser directement à deux traits de la figure : le premier est celui que la néo-rhétorique appellera « écart » et que Fontanier utilise en disant que « le discours dans l’expression des idées, des pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l’expression simple et commune » (64, 279). Il est vrai que s’éloigner ou s’écarter, ou se détourner, sont encore des métaphores du mouvement, comme l’épiphore d’Aristote. Du moins la notion d’écart est-elle indifférente à l’extension de l’expression, que celle-ci soit mot, phrase, discours. C’est là le point essentiel. Ainsi se trouve mis en relief un des postulats fondamentaux de notre modèle, le postulat de l’écart.

Le second trait introduit une restriction, non quant à l’extension, mais quant au procès : l’usage de la figure doit demeurer un usage libre, même s’il devient habituel ; un écart imposé par la langue, un usage forcé, ne mérite plus le nom de figure. Ainsi la catachrèse, ou extension forcée du sens des mots, est-elle exclue du champ des figures (213-219). Avec ce deuxième trait, reviennent deux autres postulats de notre modèle : l’usage libre et non forcé implique, d’une part, que des expressions soient détournées de leur sens propre, c’est-à-dire prises « dans une signification qu’on leur prête pour le moment et qui n’est que pur emprunt » (66) ; l’usage libre suppose, d’autre part, que l’expression propre est disponible et qu’on lui en a substitué une autre par libre choix : « écrire flamme pour amour, c’est faire figure » ; « la figure, commente Genette, n’existe qu’autant qu’on peut lui opposer une expression littérale… le critère de la figure, c’est la substitution d’une expression (mot, groupe de mots, phrase, voire groupe de phrases) à une autre que le rhétoricien doit pouvoir restituer mentalement pour être en droit de parler de figure… On voit donc s’affirmer chez Fontanier, de la façon la plus nette, l’essence substitutive de la figure » (Genette, Introduction, 11-12). Le commentateur ne manque pas de lier en outre à « l’obsession substitutive » (12) la « conscience aiguë et très précieuse de la dimension paradigmatique des unités (petites ou grandes) du discours » (12). Ce caractère paradigmatique est étendu de proche en proche du mot à la phrase et au discours, c’est-à-dire à des unités syntagmatiques de plus en plus vastes9.

L’essentiel du modèle rhétorique mis en place au début de ce chapitre se retrouve donc chez Fontanier, du moins au niveau du programme d’ensemble, à l’exception pourtant de ce que nous avions cru tenir pour son postulat de base, à savoir le primat même du mot. Fontanier aurait-il donc tenté de fonder une rhétorique des figures qui ne se réduise pas à une tropologie, c’est-à-dire à une théorie des écarts dans la signification des mots ?

Il n’est pas douteux que ce fut bien là l’ambition de Fontanier.

On est même en droit de dire que son traité des Figures du discours en réalise quelque chose. La « division » des figures10 — qui fait de Fontanier, selon l’expression de Genette, le « Linné de la rhétorique » (13) — est fort imposante. L’ancienne tropologie n’y constitue plus qu’une classe de figures parmi d’autres : les figures de signification ou tropes proprement dits, c’est-à-dire en un seul mot. Cinq autres classes se partagent le reste du champ : les figures d’expression, les figures de construction, les figures d’élocution, les figures de style, les figures de pensée.

On ne saurait en dire autant de l’exécution de détail. Un point doit nous alerter : la théorie de la métaphore n’est aucunement touchée par l’adoption de la figure comme unité typique de la rhétorique. La métaphore reste classée parmi les tropes en un seul mot ou tropes proprement dits. A son tour, la théorie des tropes constitue un bloc autonome à quoi la notion de figure est purement et simplement superposée. C’est ainsi que le modèle rhétorique dont nous avons recomposé le réseau des postulats continue de fonctionner au niveau du trope sans être aucunement affecté par l’addition des autres classes de figures et par la superposition du concept plus général de figure à celui de trope. Quant aux autres figures, elles sont simplement adjointes aux figures tropes ; bien plus, le trope reste le terme « marqué » parmi toutes les classes de figures ; la composition part des « tropes proprement dits » que sont les figures de signification en un seul mot, puis ajoute les « tropes improprement dits » que sont les figures d’expression consistant en un assemblage de mots, pour déployer enfin toutes les autres figures qui sont constamment appelées « figures non-tropes11 ». L’unité de compte reste le trope parce que le fondement reste le mot. De là le caractère étrange de ce traité où le trope est à la fois une classe parmi les autres et le paradigme de toute figure12.

Le traité de Fontanier paraît ainsi partagé entre deux desseins : l’un porte la figure au rang d’unité typique, l’autre assure une position clé à l’idée, donc au mot, donc au trope. S’il est vrai que le premier dessein règle la taxinomie du traité des figures du discours, c’est le deuxième qui impose la répartition des figures en tropes et non-tropes. Le premier dessein l’aurait emporté sur le second si le discours avait pu supplanter le mot dans la théorie des « premiers fondements » (39). Mais celle-ci reste, selon l’esprit de l’idéologie, une théorie des « éléments » (ibid.). C’est pourquoi l’unité de compte reste l’idée simple qui, seule, mérite d’être appelée « un simple élément de pensée » (453). C’est donc en dépit de la théorie des figures que la théorie des tropes, et singulièrement celle de la métaphore, vérifie le module élaboré ci-dessus ; de la notion de figure, il ne sera retenu que la seconde signification — l’opposition à la catachrèse — qui permet de la traiter non plus comme le genre supérieur, mais comme la différence spécifique : « Le sens tropologique est, ou figuré, ou purement extensif, selon que la nouvelle signification à laquelle il est dû a été donnée librement au mot et comme par jeu, ou qu’elle en est devenue une signification forcée, habituelle, et à peu près aussi propre que la signification primitive » (75). D’où la conséquence paradoxale que la théorie des tropes englobe la distinction entre figure et catachrèse : « mais, figures ou catachrèses, de combien de manières différentes les tropes ont-ils lieu ? » (77).

Il est vrai que Fontanier réserve la possibilité que les propositions offrent, comme les mots, « une sorte de sens tropologique » (75) ; cette possibilité est inscrite dans la définition même du sens primitif et du sens tropologique qui, on s’en souvient, a d’abord été appliquée aux divers sens dont la proposition est susceptible. Mais, précisément, ce n’est qu’« une sorte » de sens tropologique, celui que présentent les « figures d’expression », qui ne sont que des tropes « improprement dits » (109).

4. Métonymie, synecdoque, métaphore

Dans les limites ainsi tracées, Fontanier construit, de manière systématique et exhaustive, la liste des espèces possibles de tropes sur la base du rapport par lequel les tropes « ont lieu » (77)13.

Cette dernière expression est remarquable ; les tropes sont en effet des événements puisque « c’est par une nouvelle signification du mot qu’elles [les figures de signification] ont lieu » (ibid.). L’opposition entre usage libre et usage forcé, essentielle au caractère figuré du trope, fait de celui-ci une novation sémantique qui n’a d’existence que « pour le moment » (66). Le trope n’est donc pas le rapport lui-même : le rapport est ce par quoi le trope arrive. Nous reconnaissons ici ce que nous avons appelé la « raison » de la substitution (postulat n° 5 du modèle). Mais rapport entre quoi et quoi ? Le rapport par quoi les tropes ont lieu est un rapport entre idées, entre deux idées, d’une part « la première idée attachée au mot », c’est-à-dire la signification primitive du mot d’emprunt, d’autre part « l’idée nouvelle qu’on y attache » (77), c’est-à-dire le sens tropologique substitué à un autre mot propre que l’on n’a pas voulu employer à la même place. Ce rapport entre une première idée et une idée nouvelle correspond, à quelques différences près, à l’épiphore aristotélicienne. Ces différences, les voici. D’une part la définition de Fontanier ne paraît pas désigner le mouvement de transport ; cela est vrai ; mais la statique des rapports ne fait que sous-tendre la dynamique des transports, comme l’énumération des espèces de tropes le montrera. Chez Aristote, d’autre part, la métaphore est traitée comme genre et non comme espèce ; la métaphore d’Aristote, c’est le trope de Fontanier ; et la métaphore de Fontanier, c’est plus ou moins la quatrième espèce de métaphore d’Aristote. Cette différence paraît plus importante que la précédente ; mais elle peut être traitée, jusqu’à un certain point, comme une simple différence de glossaire. Autre différence apparente : le rapport chez Fontanier affecte des « idées » avant de relier des mots ou des noms ; mais nous avons vu que l’idée est l’élément de pensée sous-jacent au mot (au nom dans le cas de l’idée substantive). A ces réserves près, le trope de Fontanier et l’épiphore d’Aristote se superposent assez bien.

Et déjà nous pouvons dire du rapport par quoi le trope a lieu ce que nous avons dit de l’épiphore : c’est bien en un seul mot que le trope consiste, mais, si l’on peut dire, c’est entre deux idées qu’il a lieu, par transport de l’une à l’autre. En un sens donc qu’il faudra préciser, le trope, comme l’épiphore d’Aristote, a lieu « à partir de deux » (voir ci-dessus, p. 36.)

Si épiphore et trope se superposent assez bien, on ne peut en dire autant des quatre espèces de métaphores d’Aristote et des trois espèces de rapports de Fontanier. Là est l’originalité profonde de ce dernier par rapport à tous ses prédécesseurs et aussi, nous le verrons, par rapport à ses successeurs. Fontanier se flatte d’avoir donné une théorie exhaustive des rapports entre idées en distinguant les rapports de corrélation ou de correspondance, les rapports de connexion et les rapports de ressemblance ; les trois espèces de tropes — les métonymies, les synecdoques et les métaphores — « ont lieu » par ces trois sortes de rapports respectivement.

Ce qui est remarquable, dans ce système de paradigmes, c’est l’ampleur que Fontanier conserve à chacun de ces trois rapports : par correspondance il entend bien autre chose que la contiguïté à quoi ses successeurs ont réduit le fonctionnement de la métonymie ; par correspondance, il entend la relation qui rapproche deux objets dont chacun fait « un tout absolument à part » (79). C’est pourquoi la métonymie se diversifie à son tour selon la variété des rapports satisfaisant à la condition générale de la correspondance : rapport de cause à effet, d’instrument à fin, de contenant à contenu, de la chose à son lieu, de signe à signification, du physique au moral, du modèle à la chose.

Dans la relation de connexion, deux objets forment « un ensemble, un tout, ou physique ou métaphysique, l’existence ou l’idée de l’un se trouvant comprise dans l’existence ou dans l’idée de l’autre » (87). Le rapport de connexion comportera donc, lui aussi, de nombreuses espèces : de partie à tout, de matière à chose, de singularité à pluralité, d’espèce à genre, d’abstrait à concret, d’espèce à individu. Dans tous ces rapports, la compréhension varie en plus ou en moins, mais selon une plus grande diversité de rapports que la simple relation numérique ou même que la simple extension générique.

Correspondance et connexion désignent donc deux rapports qui se distinguent comme l’exclusion (« tout absolument à part ») et l’inclusion (« comprise dans… »). Il est en outre remarquable que ces deux premiers rapports relient des objets avant de relier des idées et que le déplacement des désignations de noms se règle sur le rapport objectif (une nuance toutefois : dans le rapport de connexion l’appartenance des objets au même tout résulte de ce que l’existence ou l’idée de l’un se trouve contenue dans l’existence ou dans l’idée de l’autre). D’où la symétrie à peu près complète entre la définition de la métonymie et celle de la synecdoque : dans les deux cas, un objet est désigné par le nom d’un autre objet ; dans les deux cas, ce sont les objets (et pour une part les idées) qui entrent dans un rapport d’exclusion ou d’inclusion.

Le jeu de la ressemblance rompt cette symétrie et place la métaphore quelque peu à part.

D’abord, la définition ne fait pas référence directe au changement de désignation par le nom et ne mentionne que le rapport entre les idées. Cette omission n’est pas fortuite ; car la métaphore, à défaut de comporter des espèces comme les deux autres tropes, « s’étend beaucoup plus loin » que ceux-ci ; « car non seulement le nom, mais encore l’adjectif, le participe, le verbe, et enfin toutes les espèces de mots sont de son domaine » (99). Pourquoi la métaphore joue-t-elle ainsi sur toutes les sortes de mots, alors que la métonymie et la synecdoque n’affectent que la désignation par les noms ? On peut se demander si cette extension ne préfigure pas un déplacement plus important qui ne sera reconnu que dans une théorie proprement prédicative de la métaphore. Considérons en effet les exemples. Qu’est-ce que l’emploi métaphorique d’un nom ? « Faire d’un homme féroce un tigre », « d’un grand écrivain un cygne », n’est-ce pas déjà autre chose que les désigner d’un nom nouveau ? N’est-ce pas « appeler », au sens de caractériser, de qualifier ? Et cette opération, qui consiste dans « le transport du nom hors de l’espèce », n’est-elle pas une sorte d’attribution, qui requiert la phrase entière ? Et si l’adjectif, le participe (qui en est proche par sa fonction d’épithète), le verbe (qui s’analyse en participe et en copule) et l’adverbe (qui modifie le verbe) se prêtent si aisément à un emploi métaphorique, n’est-ce pas parce qu’ils ne fonctionnent que dans une phrase qui met en rapport non seulement deux idées, mais deux mots, à savoir un terme pris non métaphoriquement et qui sert de support, et le terme pris métaphoriquement qui exerce la fonction de caractérisation ? Cette remarque nous porte dans le voisinage de la distinction de 1. A. Richards entre « tenor » et « vehicle »14. Les exemples de Fontanier vont déjà en ce sens. Que l’on dise le Cygne de Cambrai, le remords dévorant, le courage affamé de périls et de gloire, sa tête fermente, etc., la métaphore ne nomme pas, mais caractérise ce qui est déjà nommé.

Ce caractère quasi prédicatif de la métaphore est confirmé par un autre trait ; non seulement la définition de la métaphore ne fait pas directement référence au nom, mais elle ne fait pas non plus référence aux objets. Elle consiste « à présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue » (99). C’est entre les idées que l’analogie opère ; l’idée, elle-même, est prise, non « relativement aux objets vus par l’esprit » (41), mais « relativement à l’esprit qui voit » (ibid.). Car c’est en ce sens seulement qu’elle peut être dite « plus frappante ou plus connue » ; même si l’on retrouve des rapports objectifs à la base de l’analogie (quand on appelle un homme un tigre), « le transport du nom a lieu hors de l’espèce, a lieu d’une espèce à une autre espèce » (100). Mais l’important est que la ressemblance opère au niveau « de l’opinion reçue » (ibid.). Alors que les connexions et les correspondances sont principalement des rapports entre objets, les ressemblances sont principalement des rapports entre des idées dans l’opinion. Ce second trait confirme le précédent ; la caractérisation, distincte de la dénomination, procède par des rapprochements dans l’opinion, c’est-à-dire dans le jugement.

Fontanier a sans doute été empêché d’apercevoir ces conséquences par la préoccupation qui domine la fin de son analyse de la métaphore ; pour rétablir peut-être la symétrie entre la métaphore et les deux autres figures, il cherche — en dépit de sa déclaration initiale (« on ne distingue pas ordinairement la métaphore en espèces comme la métonymie et la synecdoque », 99) — à diviser la métaphore en espèces ; il trouve le principe de classement dans la nature des choses qui, soit définissent le domaine d’emprunt, soit définissent le domaine d’application. N’a-t-il pas dit pourtant que la métaphore a lieu d’une idée à une idée ? Mais les idées, même traitées relativement à l’esprit qui voit, restent les images des objets vus par l’esprit (41). Il est donc toujours possible d’en appeler des mots aux idées et des idées aux choses. En outre, la ressemblance portant sur le caractère des choses dans l’opinion, il est possible de remonter de ce caractère au domaine des choses qui le possèdent ; on en vient à dire que c’est entre les choses caractérisées que le « transport » (101) a lieu. Mais comment classer les domaines d’emprunt et d’application ? Après avoir remarqué que la métaphore peut être tirée de tout ce qui nous environne, de tout le réel et de tout l’imaginaire, des êtres intellectuels ou moraux aussi bien que physiques, et qu’elle peut être appliquée à tous les objets quelconques de la pensée, Fontanier choisit avec quelque arbitraire l’axe de la différence entre l’animé et l’inanimé. C’est ainsi qu’il en vient à cautionner une vieille classification qui le tire de l’embarras des divisions infinies. Ses cinq espèces (« transport à une chose animée de ce qui est le propre d’une autre chose animée », — « d’une chose inanimée, mais physique, à une chose inanimée, souvent purement morale ou abstraite », — « d’une chose inanimée à une chose animée », — « métaphore physique d’une chose animée à une chose inanimée », — « métaphore morale d’une chose animée à une chose inanimée ») se laissent finalement réduire au couple de « la métaphore physique, c’est-à-dire celle où deux objets physiques, animés ou inanimés, sont comparés entre eux », et de « la métaphore morale, c’est-à-dire celle où quelque chose d’abstrait et de métaphysique, quelque chose de l’ordre moral, se trouve comparé avec quelque chose de physique et qui affecte les sens, soit que le transport ait lieu du second au premier ou du premier au second » (103).

On aura beau jeu de dénoncer la complicité entre ce principe de classification et la distinction toute « métaphysique » du physique et du moral15.

Il me semble qu’on peut accorder que cette classification est plutôt une concession au passé qu’une implication nécessaire de la définition de la métaphore par la ressemblance. La distinction en espèces ne procède aucunement de la diversification du rapport de ressemblance comme dans le cas de la métonymie et de la synecdoque, et reste parfaitement extrinsèque à la définition. C’est à elle qu’il faut revenir : « Présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue » (99) n’implique aucunement la distinction de l’animé et de l’inanimé. Loin de devoir reconstruire le jeu de la ressemblance à partir des domaines réels d’emprunt et d’application, il faudrait dériver les domaines des caractères de vivacité et de familiarité et ceux-ci des idées dans l’opinion ; c’est ce que fera Nelson Goodman, traitant le « domaine » comme un ensemble d’« étiquettes » et définissant la métaphore comme une redescription par émigration d’étiquettes16. Quelque chose de cette théorie est préfiguré dans la formule initiale de Fontanier : « Présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue. » Mais la notion de trope en un seul mot ne permettait pas d’apercevoir tout ce qui est impliqué dans cette notion de signification de second degré.

5. La famille de la métaphore

La notion de trope en un seul mot n’étouffe pas seulement le potentiel de sens contenu dans l’admirable définition initiale de la métaphore, elle brise en outre l’unité de la problématique de l’analogie entre idées qui se trouve ainsi dispersée dans toutes les classes de figures.

Parmi les « tropes improprement dits » — c’est-à-dire les « figures d’expression » qui « tiennent à la manière particulière dont la proposition exprime » (109) —, la fiction présente une grande parenté avec la métaphore : prêter à une pensée, « pour la rendre plus sensible ou plus riante », les « traits, les couleurs d’une autre pensée » (ibid.), n’est-ce pas la même chose que présenter une idée sous le signe d’une autre plus frappante et plus connue ? La personnification (première sous-espèce de la fiction) qui fait d’un être inanimé, insensible, abstrait ou idéal, un être vivant et sentant, bref une personne, ne rappelle-t-elle pas le transfert métaphorique de l’inanimé à l’animé ? Il est vrai que la personnification ne se fait pas seulement par métaphore, mais aussi par métonymie et par synecdoque. Mais qu’est-ce qui distingue la personnification par métaphore de la métaphore proprement dite, sinon l’extension de l’entité verbale ?

On serait tenté d’en dire autant de l’allégorie qui, elle aussi, « présente une pensée sous l’image d’une autre pensée, plus propre à la rendre plus sensible ou plus frappante que si elle était présentée directement et sans aucune espèce de voile » (114). Mais l’allégorie se distingue de la métaphore par un autre trait que son lien à la proposition ; selon Fontanier, la métaphore, même continuée (qu’il appelle allégorisme), n’offre qu’un seul vrai sens, le sens figuré, tandis que l’allégorie « consiste dans une proposition à double sens, à sens littéral et à sens spirituel tout ensemble » (114)17. Est-ce à dire que le double sens soit seulement l’œuvre des figures d’expression et ne puisse paraître dans les figures de signification ? Il le semble, bien que la raison ne soit pas claire. Peut-être faut-il, pour maintenir ensemble les deux sens, un acte de l’esprit, donc de jugement, donc une proposition ? Est-ce en prévision de cette analyse de l’allégorie que les notions de sens littéral et de sens spirituel avaient été définies dans le cadre de la proposition et non du mot ?

Mais la fiction présente un autre intérêt pour notre discussion ; elle révèle, par récurrence, un trait de la notion de figure qui était peut-être déjà marqué dans la définition de la métaphore qu’on a plusieurs fois rappelée. Présenter une idée sous le signe d’une autre implique que les deux idées ne diffèrent pas seulement quant à l’espèce des objets, mais quant au degré de vivacité et de familiarité. Or cette différence n’est pas étudiée comme telle par Fontanier ; elle implique pourtant une nuance de sens de la notion de figure que la fiction et l’allégorie permettent d’isoler : à savoir la présentation d’une pensée sous une forme sensible ; c’est ce trait qui sera bien souvent appelé image ; chez Fontanier lui-même, il est dit de l’allégorie « qu’elle présente une pensée sous l’image d’une autre pensée propre à la rendre plus sensible et plus frappante » (114). Ainsi, on dira que Marmontel « figurant son esprit par un arbrisseau, peint ainsi les avantages qu’il a retirés du commerce de Voltaire et de Vauvenargues, présentés sous l’image de deux fleuves… » (116). Figure, peinture, image vont donc de pair. Un peu plus loin, d’ailleurs, parlant de l’imagination en tant que « l’une des causes génératrices des tropes » (161-162), Fontanier la voit à l’œuvre « dans tous les tropes qui offrent à l’esprit quelque image ou quelque peinture » (162). Et si le langage de la poésie a « quelque chose d’enchanteur, de magique » (173, 179), n’est-ce pas parce qu’un poète comme Racine est « si figuré et que tout en lui est pour ainsi dire en images, toutes les fois que c’est là ce qui convient au sujet et au genre » (173). N’est-ce pas l’effet de tous les tropes, non contents de transmettre les idées et les pensées, « qu’ils les peignent plus ou moins vivement, qu’ils les habillent de couleurs plus ou moins riches ; c’est que, comme autant de miroirs, ils réfléchissent des objets sous différentes faces, et les montrent sous le jour le plus avantageux : c’est qu’ils servent de parure à ceux-ci et donnent à ceux-là du relief ou une nouvelle grâce : c’est qu’ils font passer comme sous nos yeux une suite d’images, de tableaux, où nous aimons à reconnaître la nature, et où même elle se montre avec des charmes nouveaux » (174). Ainsi, la figure est bien ce qui fait paraître le discours en lui donnant, comme dans les corps, contour, traits, forme extérieure (63). De tous les tropes il faut dire qu’ils sont, « comme la poésie, enfants de la fiction » (180) ; car la poésie, moins soucieuse de vérité que de ressemblance, s’attache à « figurer, à colorier son langage, à le mettre en images, en tableaux, à en faire une peinture animée et parlante » (181). Non que les tropes qui tiennent de la métaphore offrent tous « une image sensible et une image qui puisse être figurée par l’œil et par la main d’un peintre » (185) ; ce serait, proteste Fontanier, trop donner à la vue. Par cette réserve, il anticipe une distinction que Wittgenstein et Hester exploiteront : entre « voir » et « voir comme »18. Figurer, dirons-nous alors, c’est toujours voir comme, mais ce n’est pas toujours voir ou faire voir.

Il faudrait encore pousser l’investigation au-delà des tropes improprement dits et apercevoir le jeu de l’analogie dans les « figures de construction », dans les « figures d’élocution », dans les « figures de style ». Ainsi est-il traité de l’imitation dans les « figures de construction » (288), puis dans les « figures de style » (390). Les « figures de pensée » elles-mêmes, qui pourtant « ne tiennent qu’à la pensée seule », côtoient la métaphore et l’analogie ; ainsi les « figures de pensée », par imagination (prosopopée), par développement, mettent en œuvre le caractère général de la figure que nous venons d’expliciter, à savoir la mise en scène de la pensée. On peut dire, en effet, de la « description », « qu’elle consiste à exposer un objet aux yeux et à le faire connaître par le détail de toutes les circonstances les plus intéressantes… Qu’elle donne lieu à l’hypotypose quand l’exposition de l’objet est si vive, si énergique, qu’il résulte dans le style une image, un tableau » (420). Cette notion de description est particulièrement intéressante ; elle couvre la topographie, la chronographie, la prosopographie, l’éthopée, le portrait, le parallèle, le tableau.

Ce vaste domaine de l’analogie ne pourrait être remembré que si l’on renonçait à confiner la métaphore dans les tropes en un seul mot et si l’on suivait jusqu’à son terme le mouvement qui la détache du jeu de langage de la dénomination pour la rattacher à l’acte central du discours, la prédication.

6. Métaphore forcée et métaphore d’invention

Je terminerai cette analyse par un trait qui, plus que tous les autres, incline dans ce sens : il concerne la distinction entre le caractère de figure et le caractère de catachrèse de chacun des tropes. Fontanier attache une importance telle à cette distinction qu’il en vient à déclarer que ces « principes sur la catachrèse servent de fondement à tout [son] système tropologique » (213).

La différence tient d’abord à un fait de langue, à savoir que certaines idées manquent de signes : « La catachrèse, en général, consiste en ce qu’un signe déjà affecté à une première idée, le soit aussi à une idée nouvelle qui elle-même n’en avait point ou n’en a plus d’autre en propre dans la langue. Elle est, par conséquent, tout trope d’un usage forcé et nécessaire, tout trope d’où résulte un sens purement extensif ; ce sens propre de seconde origine, intermédiaire entre le sens propre primitif et le sens figuré, mais qui par sa nature se rapproche plus du premier que du second, bien qu’il ait pu lui-même être figuré dans le principe » (ibid.). On ne peut donc appeler figures les métaphores forcées, qu’elles soient des noms (lumière pour clarté d’esprit, aveuglement pour trouble et obscurcissement de la raison), des adjectifs (une voix éclatante), des verbes (comprendre), des prépositions (à), etc. Le trope purement extensif, parce qu’il engendre un sens propre au deuxième degré, ne présente (ou ne vise à présenter) qu’une seule idée, et il la présente « toute nue et sans déguisement, tout au contraire des tropes-figures qui toujours en présentent deux, les présentent à dessein, et l’une sous l’image de l’autre, ou à côté de l’autre » (219).

C’est donc le caractère libre du trope-figure qui doit nous arrêter : n’atteste-t-il pas que, bien qu’il ait lieu en un seul mot, le trope proprement dit, du seul fait qu’il présente sans contrainte une idée sous l’image d’une autre, a les traits de ce que Benveniste appelle l’instance de discours19 ?

Ce qui est dit des métaphores d’invention (504) confirme la parenté du trope avec l’événement de parole. La distinction libre-forcé affectant l’usage, tout usage tend à devenir habituel et la métaphore tend à rejoindre la catachrèse ; elle reste une figure, parce qu’elle ne sert pas à combler un manque de signes, mais elle a cours forcé et, en ce sens, peut être dite tenir « au fond de la langue » (104). C’est pourquoi les conditions nécessaires pour une bonne métaphore — justesse, clarté, noblesse, caractère naturel, cohérence — « ne regardent que les métaphores d’invention que l’on emploie par figure, et qui n’ont pas encore reçu la sanction de l’usage » (ibid.).

Il faut donc redoubler la distinction figure-catachrèse par une distinction interne à la figure, celle du premier emploi et celle de l’usage ultérieur qui peut devenir « actuellement forcé » (213).

A vrai dire, c’est cet usage ordinaire que la rhétorique réfléchit ; si l’on observe, avec Boileau et Dumarsais, « qu’il s’en fait plus aux halles en un jour de marché qu’il n’y en a dans toute l’Énéide, ou qu’il ne s’en fait à l’Académie dans plusieurs séances consécutives » (157), il faut avouer que la plupart des exemples de tropes sont des exemples de tropes au cours forcé ; c’est de ceux-ci qu’on peut dire qu’« on les sait par usage, comme la langue maternelle, sans qu’on puisse dire quand et comment on les a appris » (ibid.) ; c’est pourquoi aussi, tour à tour, on dit d’eux qu’ils « font une partie essentielle du langage de la parole » (ibid.) et qu’ils « tiennent au fond même de la langue » (164). Autrement dit, les tropes usuels sont à mi-chemin des tropes d’invention et des catachrèses. La frontière entre trope-forcé et catachrèse tend d’autant plus à s’effacer que le phénomène d’usure paraît remonter, comme les tropes eux-mêmes, jusqu’à la première origine de la langue ; la condition de la catachrèse se retrouve dans l’origine des tropes eux-mêmes, à savoir « le défaut de mots propres, et le besoin, la nécessité de suppléer à cette pauvreté et à ce défaut » (158) ; pauvreté et défaut, dont nous devons du reste nous louer, car si nous disposions d’autant de mots que d’idées, « quelle mémoire suffirait à apprendre tant de mots et à les retenir, à les reproduire ? » (ibid.). De la même manière que von Humboldt définissait le discours un usage infini de moyens finis, c’est à la mémoire que Fontanier accorde, « avec un nombre de mots assez borné, [de] fournir de quoi exprimer un nombre infini d’idées » (ibid.). Ainsi le trope-figure a-t-il, à l’origine du moins, la même fonction extensive que le trope-catachrèse. C’est pour cette raison qu’il tend par l’usage à le rejoindre.

Mais le trope-figure a une autre cause occasionnelle que la nécessité : l’agrément ; « les tropes de choix et de goût, les tropes-figures, ont une tout autre cause occasionnelle : c’est le plaisir, l’agrément qu’une sorte d’instinct, d’abord, nous y a fait pressentir, et puis l’expérience, trouver » (160). Ainsi l’agrément joue-t-il en sens contraire de la nécessité, comme un appel à l’invention.

C’est cette invention qui demande qu’on distingue les causes occasionnelles — nécessité et même agrément — des causes proprement génératrices des tropes : imagination, esprit, passion. Donner de la couleur, exciter l’étonnement, la surprise par des combinaisons nouvelles, inattendues, insuffler force, énergie au discours — autant d’impulsions qui ne s’impriment que dans les tropes-figures qu’on doit appeler « tropes de l’écrivain » parce qu’ils sont « de l’invention particulière du poète » (165). Si la métaphore : chargée d’âge est évidemment de la langue, « qui, avant Corneille, avait dit dévorer un règne ? » (ibid.)

Mais alors ce n’est pas par une considération annexe que les tropes sont traités « relativement à leur emploi dans le discours » (155). Cet emploi (que Fontanier étudie dans la IIIe section de la Théorie des tropes) est constitutif, sinon du trope, en tant que fondé sur une relation spécifique, du moins de son caractère de figure. Si le sens détourné est celui qu’on « prête pour le moment » (66) aux mots, les tropes les plus authentiques sont les seuls tropes d’invention. Il faut alors en appeler du mot au discours, car seules des conditions propres au discours peuvent distinguer le trope-figure du trope-catachrèse et, dans le trope-figure, le cours libre du cours forcé.


1.

Gérard Genette, « La rhétorique restreinte », Communications, 16, éd. du Seuil, 1970, p. 158-171.

2.

Cf. Ire Étude, § 1.

3.

Certains néo-rhétoriciens opposent la rhétorique de l’élocution à la rhétorique de l’invention des arguments et à celle de la composition (selon le plan tripartite de la Rhétorique d’Aristote), comme le paradigmatique au syntagmatique (Roland Barthes, « L’ancienne rhétorique » (Aide-mémoire), Communications, 16, éd. du Seuil, 1970, p. 175-176). Une théorie proprement discursive de la métaphore, comme celle de l’interaction ou de la controversion, ôtera beaucoup de sa force à cette distinction.

4.

Pierre Fontanier, Les Figures du discours. Introduction par Gérard Genette, Flammarion, 1968.

5.

La rhétorique implique même une théologie : « Mais il n’est donné qu’à Dieu seul d’embrasser d’une seule vue tout individu quelconque, et de les voir en même temps tous ensemble et tous un à un », Les Figures du discours, p. 42.

6.

Les Avertissements, Préfaces et Préambules (21-30, 271-281) sont à cet égard d’un grand intérêt : Fontanier y vante son « système », « incontestablement le plus raisonné et le plus philosophique comme le plus complet qui ait encore paru en notre langue, et peut-être en aucune autre » (23), « un système raisonné et philosophique, dont tous les détails fussent assortis et liés entre eux de manière à ne former, par leur ensemble, qu’un même tout » (28).

7.

Aristote, Rhétorique, III, 1, 2 ; cf. ci-dessus Ire Étude, p. 46 et 53.

8.

Fontanier se borne à remarquer que « cette métaphore ne saurait être regardée comme une vraie figure, parce que nous n’avons pas dans la langue d’autre mot pour la même idée » (63).

9.

Je ne résiste pas au plaisir de citer ces lignes remarquables de Gérard Genette : « Identifier une unité de discours, c’est bien nécessairement la comparer et l’opposer, implicitement, à ce qui pourrait être, en ses lieu et place, une autre unité “équivalente”, c’est-à-dire à la fois semblable et différente… Percevoir un langage, c’est bien nécessairement imaginer, dans le même espace ou dans le même instant, un silence ou un autre langage… Sans le pouvoir de se taire ou de dire autre chose, il n’est pas de parole qui vaille : voilà ce que symbolise et manifeste la grande querelle de Fontanier contre la catachrèse… La parole obligée n’oblige pas, la parole qui n’a pas été élue parmi d’autres paroles possibles, cette parole ne dit rien, ce n’est pas une parole. S’il n’y avait pas de figure, y aurait-il seulement un langage ? » Introduction, p. 12-13.

10.

Op. cit., 66-67 ; 221-231 ; 279-281 ; 451-459.

11.

281, 451 et s. ; 461 et s. ; passim. L’emprise du mot reste sensible jusque dans la définition de ces figures (283, 323) ; seules les figures de style et de pensée sont moins assujetties au mot : les premières, parce qu’elles sont franchement des faits de discours ; les secondes, parce qu’elles sont « indépendantes des mots, de l’expression et du style » (403), au risque de n’être plus du tout des figures (« ces figures peut-être mal à propos ainsi dénommées qui ne tiennent qu’à la pensée seule, qu’à la pensée considérée abstraitement, sans égard à la forme qu’elle peut emprunter du langage, qui ne consistent, dis-je, que dans un certain tour d’esprit et d’imagination… ») (403).

12.

Combien, s’exclame Fontanier, les figures de signification diffèrent de toutes les autres, « puisqu’elles ne consistent pas, comme ces dernières, dans plusieurs mots, mais dans un seul, et que ce qu’elles présentent sous une image étrangère, n’est pas une pensée tout entière, une assemblée d’idées, mais une idée seule et unique, un simple élément de pensée ! » (453).

13.

Pour se familiariser avec la nomenclature, on consultera Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1961.

14.

I. A. Richards, The Philosophy of Rhetoric, Oxford, UP, 1936, 19502 ; cf. ci-dessous IIIe Étude, § 2.

15.

Jacques Derrida, « La mythologie blanche », Poétique, V, éd. du Seuil, 1971, p. 1-52.

16.

Nelson Goodman, The Languages of Art, The Bobbs-Merrill Co., 1968.

17.

Il semble que pour Fontanier le pouvoir du double sens donne l’avantage à l’allégorie : « Les allégories, au lieu de transformer l’objet et le modifier plus ou moins, comme les métaphores, le laissent dans son état naturel et ne font que le réfléchir comme des espèces de miroirs transparents » (205).

18.

M. B. Hester, The Meaning of Pœtic Metaphor, Mouton, 1967.

19.

É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard, 1967.