Ne trompez pas mes espérances ; faites-moi toujours la grâce de vous servir et après disposez de moi comme il vous plaira
Sainte Thérèse d’Avila
Marilyn Chambers lui avait donné rendez-vous chez elle. Lorsqu’elle ouvrit la porte, il eut du mal à retrouver ses esprits. Elle avait l’habitude de se promener en petite tenue, il en avait déjà fait l’expérience, mais là, ça frisait carrément l’indécence. Marilyn ne portait qu’une courte nuisette transparente qui la rendait encore plus attirante que si elle avait été tout simplement nue.
Jack se racla la gorge.
« Excusez-moi… Vous étiez… peut-être… en train de… vous habiller…
— Je ne m’habille que lorsque je dois sortir. Et encore… le moins possible si le temps le permet. L’excès de pudibonderie m’exaspère.
— Je comprends… Mais tout de même…Vous ne voudriez pas passer un petit quelque chose avant de me laisser entrer… Un peignoir, par exemple…
— Mon dieu quelle horreur ! Pourquoi pas une robe de chambre ? »
Marilyn mit ses mains sur ses hanches et redressa légèrement la tête.
« Je ne te plais pas comme ça ?
— Si, bien sûr ! Vous êtes splendide, mais… un peu trop séduisante, peut-être…
— À la bonne heure. Allez entre. Ray est très occupé et il ne reviendra pas de sitôt. »
Marilyn avait servi deux verres de whisky.
Il en prit un et avala une rasade. Il allait en avoir besoin. Il avait tout de suite compris que Marilyn n’attendait qu’une chose de lui. Il pourrait bien sûr la satisfaire pour obtenir ce qu’il voulait ensuite, mais quelque chose l’en empêchait. Elle était pourtant plus désirable que la serveuse de l’Amazon Jungle Palace. À cause de Véra, peut-être…
« Écoutez, vous me plaisez beaucoup, mais je ne suis pas venu pour vous faire des avances.
— Les avances sont inutiles, Jack. »
Elle s’approcha, lui enleva le verre des mains et l’embrassa sur la bouche.
Il s’écarta délicatement.
« J’aimerais d’abord vous poser quelques questions…
Marilyn haussa les sourcils.
— Pourquoi ? Tu crains d’attraper une maladie ?
— Non… Non… Je ne sais pas comment vous présenter ça, mais, je serais ravi d’en savoir plus sur l’époque où vous étiez au couvent…
Marilyn esquissa un sourire.
— Pourquoi ? Tu penses que ça peut t’exciter ?
Jack avait compris qu’il devait jouer le jeu.
— Je ne sais pas. Peut-être… En tout cas, ça m’intrigue…
Marilyn fit la moue, puis avala une gorgée de whisky.
— Ok. D’une certaine manière, ça m’excite aussi… Assieds-toi là. »
Elle lui indiquait une place sur le canapé, à côté d’elle. Jack s’exécuta.
« Pour bien comprendre, il faut remonter un peu plus loin dans le temps… En fait, ma mère était quelqu’un de très libéré. Elle sortait avec tout un tas de garçons. Avec des filles aussi. Et le jour où elle a voulu avoir un enfant, elle a tout simplement cessé de prendre la pilule. À ma naissance, il aurait été miraculeux de découvrir qui était mon père. De toute façon, ma mère ne le souhaitait pas. Ça ne l’intéressait pas. Elle voulait un enfant, pas un mari. Elle savait qu’il ne la lâcherait plus, ne serait-ce que pour voir sa fille. J’ai donc grandi sans père, mais avec de nombreux hommes, et le jour où j’ai été moi même en âge de faire l’amour, je n’ai eu que l’embarras du choix. Tu vois ce que je veux dire ? »
Jack acquiesça.
« Ce que je ne savais pas encore – Ray me l’a fait découvrir plus tard – c’est que je collectionnais les hommes parce qu’il m’en manquait un. Je cherchais un substitut à mon père. Et c’est finalement dans une église que je l’ai trouvé. Le Christ m’a souri, est descendu de sa croix, et m’a enlacé. Une douce tiédeur rayonnait de son corps. Je me suis alors senti littéralement fondre. J’ai même failli tourner de l’œil. On a parlé d’extase mystique. En fait, c’était mon premier véritable orgasme. Ce jour-là, je me suis dit que je ne pourrais plus jamais aimer quelqu’un d’autre, et je suis entrée au couvent de l’Incarnation d’Arkham. »
Marilyn prit les mains de Jack.
« Tu crois en Dieu ?
— Je vous le dirai le jour où je l’aurai rencontré.
— Marrant…Tu ne veux pas me masser un peu la poitrine ?
Jack passa une main sous la nuisette et caressa un sein. Il déglutit.
— Oui, continue…
Elle gémit un peu, puis reprit le cours de son récit.
— Au couvent, mes crises n’ont fait qu’empirer, mais je ne me suis pas inquiétée. J’avais lu sainte Thérèse D’Avila. Elle manifestait à peu près les mêmes élans mystiques que moi et elle avait été canonisée. Alors ? Ne disait-elle pas “parce que la grâce de Dieu agira en toi si puissamment, et te rendra participante de sa divine nature dans un tel degré de perfection, que tu ne pourras plus cesser de jouir de lui dans les transports de son éternel amour” ? Elle voyait des anges avec dans les mains un long dard en or, et au bout de la lance, un peu de feu. Elle sentait que l’un d’eux l’enfonçait dans son cœur à plusieurs reprises, l’atteignait jusqu’aux entrailles, comme s’il les lui arrachait en le retirant, la laissant tout embrasée d’un grand amour de Dieu… Ce que je voyais et ressentais était du même registre. Les autorités ecclésiastiques parlaient de transverbération, mais il s’agissait simplement de masturbation et d’orgasme sur fond de délire hallucinatoire mystique, comme Ray me le révéla plus tard… Tu peux me masser également l’autre sein… Oui… comme ça… c’est bien…
— J’ai l’impression que le Christ vous stimule encore…
— Tu as raison. Mais je peux maintenant m’en passer. Alors qu’à l’époque, avec quelques anges, il partageait ma couche tous les soirs. Jusqu’à l’arrivée du crapaud.
— Le crapaud ?
— Oui, une créature énorme et verruqueuse. Je la vis traverser l’église. Elle m’a regardée, a hoché plusieurs fois la tête, comme si elle humait l’air, puis a disparu dans l’obscurité, derrière la sacristie. J’ai tout de suite pensé qu’il s’agissait d’un démon et que la nature de ce qui m’arrivait pouvait être d’essence plus satanique que divine.
— Je crois plutôt qu’il s’agissait d’un métamorphe…
— Un quoi ?
— Rien. Rien… Continuez…
— Toi aussi. Plus bas, maintenant, s’il te plait… Voilà, là… Oh oui… Oui… Tu es un très vilain garçon… Tu sais, au couvent les filles se masturbaient souvent entre elles, surtout sous la douche. C’était interdit, bien sûr, mais il suffisait de ne pas se faire attraper par une surveillante. Et même parmi ces dernières, certaines étaient prêtes à fermer les yeux en échange d’une partie de broute-minou… Tu vois ce que je veux dire ? Oh oui… Je vois que tu vois… Un jour, les filles profitaient du retard de la surveillante pour se masturber dans les vestiaires. Moi, j’étais déjà sous la douche, car mon corps n’appartenait qu’au fils de Dieu.
— Je crois que vous n’avez pas vraiment idée de ce que vous êtes en train de dire…
— Tu as raison, je ne le savais pas avant de rencontrer Ray… Je vis alors quelque chose d’extraordinaire. Je n’avais jamais eu d’hallucination aussi délirante… Ne t’arrête pas, Jack ! Ah voilà… Le vilain garçon est de retour… Qu’est-ce que je disais… Ah oui… J’ai vu de petites billes sortir de la bonde des douches, en rafales. Elles s’amalgamèrent et prirent l’apparence d’un homme, que j’identifiais immédiatement comme le Christ. »
Marilyn était en transe. Elle parlait et gémissait en même temps.
“Miracle ! Miracle !” criais-je. Les autres religieuses cessèrent immédiatement leurs ébats et accoururent pour voir ce qui m’arrivait. Elles s’étaient déjà masturbées et elles étaient très excitées. Elles le virent aussi. Toutes… Tu t’imagines ! Un homme nu dans les douches… Le sexe dressé. L’hystérie les gagna immédiatement. Une des religieuses s’agenouilla et voulut embrasser son pénis. L’homme l’écarta d’une gifle. Une autre enfouit son visage entre ses fesses. Il lui donna une ruade. Et toutes celles qui espéraient le toucher ou le lécher étaient ainsi écartées. Car c’était moi qu’il voulait ! »
Marilyn était secouée de spasmes.
Elle est en train de jouir, se dit Jack, son histoire doit l’exciter plus que mes attouchements…
« Il s’est approché de moi, m’a prise violemment dans ses bras et m’a empalée sur son membre dressé. Les autres religieuses se masturbaient, se léchaient, se pétrissaient les seins, les fesses, se giflaient, se roulaient par terre, hurlaient, et moi… moi… »
Marilyn fut secouée par un violent orgasme. Elle prit la main de Jack et la tint serrée contre son sexe.
« Oh, oui… Oui… Mon vilain petit Jésus… Oui… Une des sœurs s’est alors amusée à ouvrir tous les robinets, poursuivit-elle d’une voix pâteuse. L’hystérie est encore montée d’un cran. L’homme a éjaculé et j’ai eu l’impression que son sperme me brûlait le ventre… Oh oui… Oui… »
Elle eut une dernière contraction.
« À travers la vapeur qui commençait à envahir la salle de douche, je vis la Révérende Mère arriver et sortir son sifflet. L’homme trembla, ses bras se métamorphosèrent, s’allongèrent, se recouvrirent de griffes et de ventouses, puis il explosa en une multitude de sphérules, je tombais lourdement sur le sol et me cognais la tête contre le carrelage. Les billes, emportées par l’eau, furent avalées par la bonde. C’est la dernière chose que je vis avant de m’évanouir… On m’a accusé ensuite d’avoir provoqué un phénomène d’hystérie collective…
— Ce n’était pas tout à fait faux, non ?
— Elles l’ont toutes vu, Jack. Alors je ne sais pas moi même de quoi il en retourne. Ray maintient que tout ça n’a pas de sens, et qu’il ne peut donc s’agir que d’une hallucination… Les hautes instances religieuses se sont demandées un instant s’il n’y avait pas là matière à canonisation, puis elles ont jugé le pari risqué et ont préféré me transférer à Castlewood… »
Marilyn lui donna un baiser sur la bouche.
« J’ai eu mon compte. À toi, maintenant…
— Non, ça ira comme ça… »
Marilyn le regarda de travers.
« Je suis amoureux de Véra Tourmaline et je ne souhaite pas la tromper à la première occasion.
— Tu trouves que je suis une simple “occasion” ?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire…
Marilyn lui frotta le crâne.
— Je sais… Je te taquine… Tu es un garçon bien, Jack. J’aurais aimé te rencontrer lorsque j’avais ton âge.
— Le problème, c’est que je n’étais pas né.
Ils échangèrent un sourire, puis Marilyn posa la question que Jack redoutait entre toutes.
— Si tu n’es pas là pour le plaisir, pourquoi me poser toutes ces questions ? Tu te destines à des études de théologie ?
Ma mère disait toujours qu’entre deux maux, il fallait choisir le moindre, et pour une fois, je suis d’accord avec elle, se dit Jack.
— Je m’intéresse à vous car nous sommes… plus proches que vous ne le pensez… »
Il souleva la nuisette de Marilyn, puis posa un doigt sur l’oiseau de mer qui volait sous son nombril. Marilyn frissonna.
« Ma mère avait le même. Et son père en avait un semblable. Alors je pense que nous sommes un peu… »
Les mots s’étranglèrent dans sa gorge.
Marilyn était pétrifiée.
Puis elle fondit en larmes et le prit dans ses bras.
Il ressentit alors probablement la même chose que Judas lorsqu’il trahit Jésus.