« C’est le délabrement de mon esprit qui me tourmente, disait-il en se lamentant. Vous qui avez étudié ces questions, vous devriez être en mesure d’y remédier. »
C’est dans son bain que l’homme prépare ses écrits, les annote ou, lorsqu’il s’agit de discours, les répète. Les habitués le savent. « Avez-vous besoin de moi ? », l’interroge son nouveau valet. « Je ne vous parlais pas, Norman, je parlais à la Chambre des communes2 », lui répond Churchill.
Lorsqu’il ne travaille pas allongé sur son lit recouvert de documents, il aime être dans une eau très chaude. Rien de tel pour se délasser. Il prend deux longs bains par jour, aussi essentiels que ses repas. Son valet, Mr. Inces, les prépare soigneusement à l’aide d’un thermomètre. L’homme n’y entre que lorsqu’ils sont aux trois quarts pleins. Ce lieu est propice aux lectures et aux grandes idées. On dit que le bain stimule le système nerveux, atténue les douleurs et les angoisses. De fausses rumeurs racontent même que Winston serait né dans une salle de bains !
« Sir, il est souhaitable d’éviter les bains à plus de 37 °C ! », lui conseille Lord Moran, son médecin personnel, qui tente de le dissuader d’en prendre si souvent, d’aussi chauds et longs. Mais peu importe, à moitié nu, tel un enfant, Churchill lui propose d’en vérifier la température, afin d’admettre que ce jour-là il est moins chaud que d’habitude3. Moran est incapable de faire face aux caprices de son patient, il a trop peur des risques encourus et protège ses ambitions personnelles. Il est heureux de la place de choix qu’il occupe et de sa qualité de témoin privilégié de l’Histoire.
Winston aime plonger dans cette eau à température précise, d’où il dicte à ses secrétaires-sténos un nombre incalculable de lettres, notes, rapports et ouvrages. Alors qu’elles couinent et rougissent, il se déshabille et glisse sa corpulente masse rose dans sa vieille baignoire Shanks cabossée, pérorant sans fin devant cette assemblée qui tapote en silence sur des claviers, assise à même le sol4. Impensable de lui faire répéter quoi que ce soit sans s’attirer les foudres de ce tyran domestique. Il disserte, en zézayant et en mâchant son cigare, et n’a cure de la difficulté de la tâche. « Manger mes mots ne m’a jamais donné d’indigestion », aime-t-il à dire. Il lui arrive de dicter jusqu’à dix-huit heures d’affilée, selon son secrétaire particulier, sir John Colville. Une équipe composée de six secrétaires, un universitaire, un officier de l’armée du corps des marines ou de la Royal Air Force l’aide dans ses recherches. Même dans sa salle de bains, sa femme Clémentine a parfois du mal à lui parler seul à seul, hors de la présence des conseillers et secrétaires, cachés dans une vapeur suffocante. Churchill les épuise à la rédaction des quatre volumes de A History of English-speaking People ou des six volumes de ses Mémoires de guerre qui lui vaudront, en 1953, le prix Nobel de littérature.
Lorsqu’il est irrité, l’homme s’impatiente. Il jette son savon en direction de ses petites mains, qui le lui renvoient sans lever les yeux. Il aime aussi chanter et jouer en faisant déborder sa baignoire, au grand désastre des plafonds. La bonde anti-débordement a été supprimée à sa demande. À son médecin personnel, sa femme dit : « Winston est un pacha5. » Son éducation aristocratique y a contribué. Son médecin n’échappe pas à ses exigences, il se doit d’être à disposition.
Pourvu d’un don inné pour l’écriture et l’art du récit politique et militaire, correspondant de guerre prolifique dans ses jeunes années, il est l’homme aux 31 ouvrages, dont 14 encore inédits, et aux 8 700 pages de discours6. Une œuvre riche de quinze millions de mots. Cet aristocrate – son père Randolph Churchill est le fils cadet du septième duc de Marlborough – à la vive intelligence et au caractère trempé retrouve dans l’eau la légèreté de ses envolées lyriques. Le bain apaise son âme. Durant ces instants, il échappe à son « black dog », le nom qu’il aime donner à ses sautes d’humeur, un mal familial. Il y passe des heures et, s’il le pouvait, réunirait tout son cabinet dans ce lieu sacré. Même le président américain Franklin Delano Roosevelt aurait eu à s’entretenir avec lui alors qu’il barbotait. Dans l’élément liquide, il peut prendre de la distance avec cette vie qui lui vaut d’être considéré comme l’un des plus grands politiciens du XXe siècle.
Churchill est un être complexe que nul n’a jamais pu cerner. Pour l’historien François Delpla : « Peut-être est-ce impossible. Il était, en tout cas, fort déroutant : anglais et américain, travailleur et dilettante, accommodant et autoritaire, démocrate et aristocrate, intempérant et capable d’ascèse, fantasque et persévérant, individualiste et tribal, globe-trotter et casanier, intellectuel et manuel, urbain et rural. Politicien, certes, mais à ses heures, car il était aussi écrivain et lorsqu’il n’était pas ministre mais simple député, il n’était pas, et de loin, le plus assidu aux débats des Communes7. »
Lorsqu’il est élu Premier Ministre à l’âge de soixante-six ans, le 10 mai 1940, certains membres du Cabinet de guerre, qui le considèrent indispensable, décident qu’il doit être surveillé quotidiennement. L’Angleterre est alors le seul pays d’Europe à ne pas avoir cédé à l’Allemagne nazie, sa position est délicate. La santé de celui qui la portera sur ses épaules ne peut flancher, et toute pathologie, aussi bénigne soit-elle, devient une affaire d’État.
Winston accepte sans enthousiasme le médecin qu’on lui impose, Charles Moran. Né Charles McMoran Wilson, il est fils de docteur et petit-fils de révérend presbytérien du côté de sa mère. Il compte parmi ses patients des personnalités puissantes, telles que Lord Beaverbrook et Brendan Bracken, qui le tiennent en haute estime. Amis de Winston, ils ont eu un rôle central dans sa prise de pouvoir et Moran n’oublie pas de les féliciter lorsqu’ils sont nommés ministre ou « Privy Council », conseiller particulier. Ils sauront se rappeler de lui et convaincre la femme de Churchill, Clémentine, de ses qualités.
Rien ne prédestine Moran à devenir le médecin personnel du Premier Ministre en temps de guerre. Et en ce mois de mai 1940, il sait que rien ne sera plus comme avant. Jeune, il avait souhaité se démarquer des autres : cette nomination lui en donne l’occasion. Il est âgé de cinquante-huit ans et pour l’heure, outre son cabinet personnel sur Harley Street, dans le nord de Londres, et son poste de principal de l’école de médecine de l’hôpital de St. Mary’s, son rêve de grandeur est inachevé. À la veille de son entrée en fonction, il est inquiet, il sait que Winston Churchill n’est pas un homme facile. « C’est dans ces circonstances assez ambiguës que je me suis rendu ce matin à l’Amirauté, en me demandant comment il allait m’accueillir. Bien qu’il fût déjà midi, je le trouvai au lit, en train de lire un document. Sans me prêter la moindre attention, il poursuivit sa lecture pendant que je restais debout à son chevet. Après un temps qui me parut assez long, il déposa ses papiers et grommela d’un ton impatient : je ne sais vraiment pas pourquoi ils font toutes ces histoires. Je vais très bien… Je souffre de dyspepsie8 et voici le traitement », indique Lord Moran lorsqu’il décrit sa courte visite le 24 mai 1940 au nouveau Premier Ministre9.
Moran a le sentiment qu’il fera long feu, le patient est rude. Winston n’a pas de temps à lui consacrer et tente systématiquement d’écourter ses visites. Durant les années qui précèdent l’entrée en fonction de Moran, Churchill n’a pas eu de problèmes de santé majeurs. À l’exception d’une crise aiguë d’appendicite à l’âge de quarante-huit ans, dont il dit : « Me voici sans ministère, sans siège de député… et sans appendicite10 », d’une forte grippe et d’une fièvre typhoïde, dix ans plus tard. Sans oublier un accident survenu à New York sur la Fifth Avenue en 1931, dont la principale conséquence est de le plonger dans un état dépressif. « La nuit dernière, il était vraiment très triste, et m’a confié qu’il avait connu trois coups durs au cours de ces deux dernières années. D’abord, la perte de tout cet argent dans le crash, ensuite celle de sa position politique au sein du parti conservateur, et, maintenant, cette épouvantable blessure physique. Il m’a dit qu’il n’était pas certain de pouvoir totalement se remettre de ces trois événements11 », confie sa femme à leur fils, dénommé Randolph.
Lorsque Moran devient le médecin de cet illustre patient, fort de cette qualité, il se lance dans la politique et devient à compter du mois d’avril 1941 président du « Royal College of Physicians », une organisation de professionnels de la médecine très active, et participe aux négociations relatives à la mise en place de l’assurance santé nationale.
Moran est un solitaire que ses détracteurs qualifient de rusé. Dans le milieu médical, Moran porte un drôle de surnom, qu’il ignore durant de longues années : « Charlie le tire-bouchon ». Un être retors, habile et intelligent à l’égard de ses amis en politique, et manipulateur avec ses ennemis12. Il est également connu pour la controverse.
Comme Churchill, il a un penchant pour l’écriture. Sur la base de son expérience dans l’armée, il rédige des essais sur la résilience des troupes durant les combats de la Première Guerre mondiale alors qu’il était médecin dans les tranchées et publie en 1944 son œuvre majeure, Anatomie du courage. Churchill l’a encouragé mais n’a pas souhaité en écrire la préface, préférant ne pas influer sur le recrutement des troupes et ne s’intéressant guère à la psychologie.
Fasciné par la capacité d’écriture de son patient, Moran aime à raconter combien tous deux apprécient les mots. Jeune, il avait répondu à son père qui l’interrogeait sur son futur métier : « Je veux écrire des livres13. » Toute sa vie, comme Churchill, il sera un écrivain compulsif, point commun qui contribue à sceller leur relation.
Winston Spencer-Churchill, fils de Randolph Churchill et de Jennie Churchill née Jerome, est né le 30 novembre 1874 au Palais de Blenheim, dans l’Oxfordshire. Un monument baroque, surplombé par d’imposantes tours, que le premier duc de Marlborough reçut en récompense lorsqu’il écrasa les troupes de Louis XIV. La mère de Winston est américaine, sa famille a émigré au début du XVIIIe siècle, elle est la fille d’un financier, Leonard Jerome, qui incarne le rêve américain. Pour ses trois filles, il souhaite un mariage avec des Français bien nés, mais il aura pour gendre un lord anglais, Randolph Spencer-Churchill. Le père de Winston n’est pas l’héritier de ce palais et, comme dans sa belle-famille, l’argent lui brûle les doigts. « Il est déjà triste d’être pauvre, si en plus il fallait se priver14 », souligne Jerome, le beau-père de Winston.
Les parents de Churchill sont de grands mondains. Défile chez eux tout le gratin londonien. Lors de ces soirées, on boit beaucoup et on multiplie les liaisons extra-conjugales. Pour reprendre la formule de Muriel Spark, ils sont « connus pour le sexe15 ». Quelques mois avant son mariage, Lord Randolph Churchill contracte la syphilis.
Après une chute lors d’une partie de chasse ou d’un bal trop enfiévré, la belle Jennie accouche : « Le garçon est merveilleusement beau, avec des cheveux et des yeux sombres, et il est en très bonne santé compte tenu de sa naissance avant terme », indique le faire-part. En réalité, le poupon roux a été conçu deux mois avant mariage.
Dès son plus jeune âge, les parents de Winston s’évertuent à le délaisser. Il est remis aux bons soins de Mrs Everest, sa nurse et deuxième mère, dont la silhouette ressemble à une pyramide. L’enfant la surnomme « Woom » ou « Woomany ». Toute sa vie il aura pour cette mère de substitution une grande affection et veillera à ce qu’elle ne manque de rien. C’est à elle qu’il emprunte le terme de « black dog », un terme de la mythologie classique employé par les nurses de l’époque victorienne pour les enfants de mauvaise humeur, qu’il utilise comme métaphore de ses états dépressifs.
Après un différend avec le prince de Galles, lié à une affaire extra-conjugale, Randolph, sa femme Jennie et le petit Churchill, âgé de deux ans, sont contraints de s’exiler en Irlande. Le père de Winston se doit d’accepter la charge de vice-roi d’Irlande qu’il a refusée deux ans plus tôt. Comme en Angleterre, les époux Churchill sont assoiffés de mondanités et délaissent leur fils. L’enfant, de santé fragile mais très actif, a une passion : les soldats de plomb. Un entraînement de choix.
L’Irlande est un tremplin politique pour le père de Churchill. Alors que son fils n’a que sept ans, il décide qu’il est temps pour lui de quitter la maison et l’envoie à l’internat St. George’s d’Ascot, une école privée coûteuse et très sévère, censée préparer à la prestigieuse pension d’Eton. S’ensuivent une séparation douloureuse et une scolarité chaotique. Winston a des résultats, dans certaines matières, lamentables. Allergique aux examens et à l’autorité, il aime les bagarres et reçoit de nombreux coups de fouet par le révérend, directeur de l’école. Trois ans après, en 1884, Winston quitte St. George’s pour un internat à Brighton où l’air marin est censé améliorer sa santé fragile. Même dans cette école plus clémente, Winston reste toujours dans les derniers de la classe. Malgré ses aptitudes pour l’écriture et la lecture, ses professeurs sont désespérés par cet énergumène incontrôlable. « Tu deviendras un bon à rien, une des centaines de déchets d’écoles privées, un dégénéré, et tu finiras dans la misère, le malheur et la frivolité17 », lui écrit son père. « Lorsque je n’ai rien à faire (pendant les vacances), ça ne me gêne pas de travailler un peu, mais lorsque j’ai le sentiment qu’on me force la main, c’est contraire à mes principes16 », explique Winston.
Finalement, il n’ira pas à Eton mais à Harrow, situé à une vingtaine de kilomètres de Londres. Winston étant sujet à des bronchites et des infections, l’air y est meilleur pour ses poumons, car moins humide qu’à Eton. Son admission résulte davantage de la position de son père que de ses résultats aux examens : « Il est si régulier dans son irrégularité que je ne sais vraiment que faire », écrit à son père le maître de l’internat18.
Si certains membres de sa famille qualifient Winston de petit bouledogue méchant aux poils roux, en réalité c’est avant tout un enfant profondément malheureux. Isolé, perpétuellement malade, il se sent abandonné par des parents auxquels il quémande affection ou visites. Mais que ce soit son père ou sa mère, ils sont distants. « Je ne comprends pas pourquoi tu n’es pas venu me voir », écrit-il sans cesse. Il les attend des journées entières, sans succès. À Harrow, ils n’assisteront même pas à sa remise de prix de fin d’année. Cet abandon le marque à jamais et sera un terreau fertile pour ses états d’âme.
Son père et modèle se plonge corps et âme dans la politique dès son retour d’Irlande. Son élégance et son éloquence en font un politicien très prisé. Son ascension est fulgurante : à trente-six ans il est nommé chancelier de l’Échiquier19, un ministère essentiel. Winston suit sa carrière avec fascination et admiration. Lorsqu’il propose sa démission à la reine Victoria, suite au rejet de son programme de réduction d’impôts et de dépenses militaires, son entêtement et sa fougue le conduisent à la ruine. L’effondrement de sa carrière politique commence, il n’est plus que député. Abandonné par ses amis politiques, Lord Randolph n’a plus que des ennemis et une santé défaillante.
Winston n’a qu’un rêve : le voir revenir au premier plan de la scène politique. Féru d’écriture, de journalisme, de politique, et doté d’une mémoire phénoménale, le jeune Spencer-Churchill commence à se démarquer. Après Harrow et trois échecs successifs aux tests d’admission, Churchill parvient à entrer à l’Académie militaire de Sandhurst. Il n’a qu’une chose en tête, convaincre son père de sa qualité. Malheureusement, comme le souligne William Manchester dans sa biographie sur les premières années de la vie de Winston Spencer-Churchill : « On vit rarement homme investir en un fils aussi peu d’affection et en recueillir pareils dividendes de loyauté posthume20. » Mais c’est grâce à ce père qu’il baigne dans la politique dès son plus jeune âge. Winston assiste aux débats de la Chambre des communes avant d’y faire son entrée comme député en 1900, à l’âge de vingt-six ans, sans hésiter à passer du camp des conservateurs à celui des libéraux, s’attirant très tôt les foudres de certains qui le considèrent comme un opportuniste.
Durant les années qui précèdent la Première Guerre mondiale, il occupera successivement les postes suivants : ministre du Commerce, secrétaire du Home Office21 avant d’être nommé premier Lord de l’Amirauté, jusqu’à la bataille des Dardanelles, dont on lui impute la responsabilité, ce qui l’écarte temporairement du pouvoir. Pendant l’entre-deux-guerres il assure les prérogatives suivantes : ministre de l’Armement, secrétaire d’État à la guerre et de l’air, secrétaire d’État aux colonies et surtout, comme son père, chancelier de l’Échiquier (1924-1929), avant de connaître dans les années 1930 une traversée du désert. La carrière militaire de Churchill est si riche qu’elle ne peut se résumer en quelques lignes. Rappelons ses échecs, les Dardanelles (1915-1916), l’Inde ou certaines de ses erreurs de jugement. Mais saluons ses victoires et notons qu’il sera l’homme des grandes réformes sociales du pays. Que ce soit sur les champs de bataille ou dans les institutions royales, sa fougue et son assurance révèlent son caractère hors du commun.
C’est dans une Angleterre divisée, effrayée par la menace soviétique et menée par un Neville Chamberlain incapable de mesurer et de faire face à la menace nazie, que Churchill fait son retour au pouvoir, évince son prédécesseur et prononce à la Chambre son célèbre discours : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, de la sueur et des larmes. » Dès le début de la décennie précédente, Churchill a compris la barbarie nazie. « Hitler arrive à vous persuader qu’il peut tout accomplir, quand Churchill, lui, arrive à vous convaincre que c’est vous qui pouvez tout accomplir22. »
Winston n’est pas seulement une force de la nature, il est également bon vivant. Ses penchants pour l’alcool et les cigares sont connus de tous. La facture annuelle de son marchand de vin atteint une somme trois fois supérieure au salaire annuel d’un travailleur manuel de son époque23. Il boit à peu près un demi-litre de champagne Pol Roger par jour, mais aussi du vin blanc au déjeuner, du rouge au dîner et du porto ou du brandy en fin de soirée, fume entre 8 et 10 gros cigares cubains par jour, 3 000 par an environ, soit près de 250 000 à l’heure de sa mort24. Son médecin, qui a une vie saine et ne consomme pas d’alcool, assiste résigné à cette consommation excessive. Avec un tel régime, lorsque Churchill est un peu fatigué, il peut se montrer blessant, comme en témoigne cette saillie, en 1946, lorsque la corpulente députée travailliste Bessie Braddock l’interpelle par un : « Vous être ivre. » Winston lui répond : « Madame, vous êtes moche. Mais moi demain je ne serai plus soûl25. »
Fin 1941, lors de son voyage aux États-Unis qui viennent d’entrer en guerre suite à l’attaque de Pearl Harbor, Churchill sait que la donne a changé et il se transforme. Moran est soulagé : « Le Winston que j’avais connu à Londres m’effrayait […] maintenant – en une nuit semblait-il – un homme jeune avait pris sa place […]. Il y a un mois l’homme que vous dérangiez dans son travail vous aurait mordu, et ce soir il est gai, volubile et parfois même malicieux. Il a dû sentir, j’imagine, que si l’Amérique se tenait en dehors du conflit, la fin, hélas ! était certaine. Maintenant, la guerre est pratiquement gagnée, et l’Angleterre sauvée26. »
Ses humeurs sont souvent calquées sur l’issue favorable ou défavorable des événements, ce qui, lorsque l’on connaît les enjeux de la Seconde Guerre mondiale, semble bien naturel. Churchill est obsédé par son rôle dans son issue : « convaincre », telle est sa seule obsession, et lorsqu’il prononce ces mots : « pour qui se prennent-ils [ces Japonais] ? », le congrès américain se lève comme un seul homme pour l’acclamer à n’en plus finir27.
Lors de ce déplacement, alors qu’il tente d’ouvrir sa fenêtre, Churchill, essoufflé, a une douleur dans la poitrine et au bras gauche. À sa demande, Moran est immédiatement contacté par la Maison Blanche et dépêché sur place. Le médecin pense qu’il s’agit d’une légère attaque cardiaque et doit faire face au dilemme suivant : révéler ou non l’incident à son patient et au monde. Moran sait qu’une rumeur persistante fait état des problèmes de cœur de Churchill et a conscience que cette nouvelle aurait pour conséquence de diminuer la position de l’Angleterre à l’égard de l’ennemi et son influence sur Roosevelt. Il sait également que s’il en informe Churchill, cela pourrait affecter son travail.
« Si je ne dis rien et qu’il a une autre attaque sévère – peut-être fatale – le monde se dira sans aucun doute que je l’ai tué car je n’ai pas insisté sur la nécessité pour lui de se reposer », s’interroge intérieurement Moran en auscultant Churchill. « Maintenant, Charles, vous n’allez pas me dire qu’il faut que je me repose. Je ne le peux et je ne le ferai », lui dit Churchill. Alors Moran passe cette attaque sous silence28. Seul Churchill peut « prendre l’Amérique par la main », estime son docteur. Nul n’aura connaissance de cet épisode avant la publication des mémoires de Moran, vingt-six ans plus tard. Même la femme de Churchill n’en aurait pas été informée. S’agissait-il vraiment d’une crise cardiaque ? Lorsque Moran prend la précaution de consulter, en février 1942, le Dr Parkinson, cardiologue réputé, les analyses réalisées (électrocardiogramme, tension artérielle, radio du cœur), écartent son diagnostic initial. Tout au plus Churchill a eu une angine ou une gêne temporaire de la circulation au cœur. Un jugement que Moran préfère également taire29. Ce dilemme permanent auquel il doit faire face, Moran le voit comme une preuve de son implication personnelle dans le cours des événements.
À compter de cet incident, Moran accompagne Churchill dans ses déplacements à l’étranger. Se sachant incapable de le convaincre de se reposer, il le laisse se rendre au Canada. Quel peut être l’intérêt d’un médecin qui cache à son patient les maux dont il pense qu’il est atteint et prend des risques pour sa santé ? Mais Moran a une tout autre analyse. Il indique dans ses mémoires que Churchill, comme tout homme intelligent, est un bon malade, et qu’il fait ce qu’on lui dit, dès lors qu’on lui donne de bonnes raisons30. Le médecin oublie que souvent il n’a pas réussi à lui faire entendre raison, comme en décembre 1943, lorsque Churchill souhaite se rendre en Tunisie pour y rencontrer le général américain Eisenhower.
Lorsque Churchill entame cette visite à Carthage, il est atteint pour la seconde fois, cette même année, d’une grave pneumonie, avec fibrillation auriculaire et rythme cardiaque irrégulier. Cette maladie, la « meilleure amie des vieillards », tue rapidement et sans douleur, lui a indiqué le Dr Geoffroy Marshall qui a assuré ses soins en février 1943.
Lors de cette nouvelle attaque, affolé, le nouveau secrétaire particulier de Winston interroge Sir Anthony Montague Browne, qui deviendra le secrétaire particulier aux Affaires étrangères de Churchill, sur ce qu’il convient de faire en pareil cas. « Appelez Lord Moran, et il fera venir un vrai médecin31 », lui répond-il avec ironie. Moran, terrifié, rassemble immédiatement une équipe de spécialistes. Des radios effectuées à Tunis laissent apparaître une tache sur ses poumons et Moran, d’un naturel pessimiste, est convaincu, dans la nuit du 14 décembre 1943, que son patient va mourir. Traité par des sulfamides de la firme May & Baker, Churchill les ingurgite avec du whisky ou du brandy. À l’infirmière qui lui indique que ce n’est pas approprié, il répond : « Chère Nurse, rappelez-vous qu’un homme ne peut pas vivre qu’avec du M&B », une référence aux initiales de ceux qui ont découvert et produit ce médicament. Churchill le savait-il ou faisait-il référence aux initiales de Moran et de son cardiologue Evan Bedford ?
Moran est lui-même de constitution fragile. Comme son père et Churchill, il est atteint de dyspepsie et obligé de suivre un régime strict pour éviter de fortes douleurs. Contrairement à Churchill, il est de corpulence fluette et osseuse, son visage est émacié et son nez proéminent, il a l’apparence d’un homme qui a toujours été vieux.
Mais il se doit de suivre Churchill dans ses nombreux déplacements. Winston est infatigable, il parcourt durant la guerre, dans des conditions extrêmes, plus de 160 000 kilomètres. Pour cette tâche, Moran a refusé tout émolument, considérant ne faire que son devoir de guerre32. Lors de ces voyages, il n’est qu’un passager de l’Histoire, fasciné par ceux qui y contribuent, lui qui n’a que le golf pour occuper ses journées. « Courir après une pilule de quinine à travers un pâturage », disait de ce sport son patient. Pour le remercier de ses services, Churchill le nomme à la chambre des Lords, en 1943, lui offrant le titre de Premier Lord Moran of Manton33, titre rare pour un médecin.
Contrairement à certaines rumeurs, Moran est un médecin compétent et un bon diagnosticien, mais il excelle particulièrement à trouver le bon spécialiste au bon moment. Car dans ce domaine comme dans les autres « Winston a des goûts très simples ; il se contente du meilleur34 ». Même si Lord Moran souligne, en février 1943, qu’il s’entiche instinctivement des charlatans et avale sans discrimination tout ce qu’on veut bien lui faire croire…
« Au cours des vingt-cinq années durant lesquelles je l’ai soigné, j’ai dû faire appel à un grand nombre de médecins pour les diverses parties de son organisme, et je crois pouvoir affirmer qu’il les a appréciés en raison inverse de leurs connaissances et réussites scientifiques35 », raconte son médecin personnel.
« Moran est vain, égoïste et fort indiscret, son jugement sur les gens est souvent perspicace même s’il n’est pas toujours exact36 », précise John Colville. En général, les relations de Moran avec les autres médecins sont complexes et tendues. Il tient à rester le médecin référent de Churchill et pense être le seul à le connaître. Moran demande à chacun de lui transmettre des rapports détaillés de leurs consultations et n’hésite pas à rabaisser ses collègues, aussi prestigieux soient-ils. Moran a une haute estime de lui-même et de ses compétences. Lorsqu’en janvier 1945, sa candidature au poste de doyen d’Eton est rejetée, il a du mal à en comprendre les raisons. Convaincu de ses qualités, Moran rêve d’être nommé à la tête de cette prestigieuse institution académique. Il souhaite que Churchill le recommande ; au contraire, ce dernier le moque37.
Mais l’écoute, la présence et la diligence de Moran rassurent Churchill. Atteint d’hypocondrie et sujet en période de stress à des variations de température, Churchill contrôle cette dernière chaque matin, de même que son pouls. Lorsqu’elle atteint 66 °F, soit 18 °C, thermomètre dans la bouche, Churchill contacte son médecin et lui implore de venir après un : « Je dois être mort. » Moran aime souligner que Churchill a besoin de sa présence, le supplie de rester à ses côtés ou le presse de ne pas trop s’éloigner.
En mai 1943, après une traversée sur le Queen Mary, Churchill rejoint Franklin Delano Roosevelt à la Maison Blanche. Il indique à son médecin : « Avez-vous remarqué que le président est un homme très fatigué ? On dirait que son esprit s’est fermé, qu’il a perdu sa merveilleuse élasticité38. » Roosevelt, dont la santé physique et mentale est gravement altérée, aime à lui rappeler qu’il est un patient modèle et exhorte Winston à effacer sa réputation, qu’il a déjà dans la presse américaine, de « pire patient du monde ».
Alors que la seconde fois en cette même année, lors de la conférence de Téhéran39, fin novembre, Churchill rencontre Franklin D. Roosevelt et Joseph Staline, il se heurte au rejet de son projet d’offensive par la Méditerranée et les Balkans. C’est lors de cette entrevue que sont fixés les modalités du débarquement en Normandie (opération Overlord) en juin 1944, le démembrement de l’Allemagne et le partage de l’Europe.
Dès le mois de décembre 1943, Moran relève que Churchill est éreinté : « En sortant du bain, il ne se sèche même plus, mais s’étend, entouré de sa serviette, sur son lit jusqu’à ce qu’il sèche naturellement. » « Je me suis rendu dans sa chambre ce soir et je l’ai trouvé assis, la tête entre ses mains. » « Je ne me suis jamais senti comme ça avant, dit-il. Pouvez-vous me donner quelque chose pour que je ne me sente plus aussi exténué40 ? » Il supplie son médecin d’essayer de nouveaux remèdes. Il ne croit pas qu’il faille laisser agir la nature : « Vous ne pourriez pas faire quelque chose d’autre ? » demande Churchill sur un ton de reproche. À la fin de l’automne 1944, il est sujet à d’importantes sautes d’humeur et ne comprend guère les réticences de Moran à l’égard des drogues.
Après le débarquement des Alliés en juin et la libération de Paris en août, le même mois de cette année 1944, Winston a une troisième pneumonie, plus légère. « La bestiole semble avoir contracté mon agressivité ; en ce moment elle vit son heure de gloire », dit-il. Cette fois, plus de sulfamides, il est soigné à la « sainte pénicilline », aime à répéter Churchill. Sa découverte en revient au Britannique Alexander Fleming en 1928 et depuis les années 1940 elle est utilisée comme antibiotique, mais Moran n’en a aucune expérience et ce n’est que tardivement qu’il y a recours.
Remis sur pied dès le 5 septembre, il se rend au Québec pour une conférence avec Roosevelt, puis le 9 octobre il s’envole pour Moscou où l’attend Staline. « Staline a beaucoup vieilli. Il a le teint terreux. Oui, oui, terreux, c’est tout à fait cela. Quand il est venu à Téhéran, il a traversé la mer Caspienne en bateau et ensuite il s’est fait conduire en voiture. Il n’a pas pris l’avion. Ne le répétez à personne41 », dit-il à Moran. Dès le 10, il se rend à Paris pour y rencontrer le général de Gaulle. Rien ne l’arrête.
En février 1945, lors de la conférence des Alliés à Yalta en Crimée qui réunit Staline, Churchill et Roosevelt, Lord Moran relève que ce dernier « regarde droit devant avec la bouche ouverte comme s’il ne pouvait comprendre les choses42. Aux yeux d’un médecin, le président apparaît très malade. Je ne lui donne pas plus de quelques mois à vivre43 ».
Alors qu’il souffre, outre de sa paralysie infantile, d’hypertension, de troubles cardiaques, d’hypoxie, de Parkinson et de troubles cognitifs qui le rendent incapable d’assurer pleinement ses fonctions, Roosevelt, grâce au bulletin de santé établi par ses médecins, McIntire et Bruenn’s, a pu être élu pour un quatrième mandat, le 7 novembre 1944. Quelle est la marge de loyauté et d’objectivité que peuvent avoir des médecins attachés à un homme de pouvoir sans rompre le serment d’Hippocrate ?
Une situation à laquelle Moran doit faire face quelques années plus tard, lorsque Churchill est diminué par les accidents vasculaires cérébraux. Une chose est sûre : ni l’un ni l’autre n’auraient pu être réélus pour un quatrième mandat de président ou un deuxième mandat de Premier Ministre si leur état de santé avait été connu. Lorsque Churchill brigue un nouveau mandat le 26 octobre 1951, peu avant ses soixante-dix-sept ans, il est diminué par une attaque cérébrale, outre la sénescence et la surdité. Seule son indéfectible volonté demeure intacte : « Ne jamais céder. »
Le 23 juin 1953, à l’issue d’un discours en l’honneur du Premier ministre italien en visite à Londres, Churchill, alors âgé de soixante-dix-neuf ans, fait une seconde attaque cérébrale qui lui paralyse le côté gauche du visage et diminue sa motricité. La première a eu lieu le 24 août 1949, deux ans avant son deuxième mandat, alors qu’il se trouvait dans le sud de la France. Miraculeusement, il garde sa lucidité, même s’il articule avec difficulté et ne peut se lever plus de quelques minutes. Comme dix ans avant, en Tunisie, Moran, toujours disposé au drame, pense que c’est la fin44.
Depuis son plus jeune âge, ce médecin est anxieux. Enfant, il a peur que son père, de constitution fragile, décède durant la nuit. Accroupi dans les escaliers de la demeure familiale, il veille. Il en fait de même avec Churchill, sous-estimant souvent l’énergie vitale et la détermination de son patient. Dans sa magistrale biographie Churchill, l’historien Roy Jenkins précise que Moran a tendance à exagérer ses infirmités et à souligner ses efforts pour le garder en vie45.
Lorsqu’il part en convalescence dans sa maison de campagne de Chartwell, Churchill informe John Colville de la nécessité de dissimuler la gravité de son état afin de maintenir l’autorité du gouvernement. La santé est une arme pour ses adversaires et Churchill le sait. Une fois de plus, le secret est bien gardé, nul en dehors de son proche entourage n’aura connaissance de son état de santé. C’est l’apanage des hommes de pouvoir, le cercle des proches joue le rôle de rempart. Churchill est obligé de décaler sa rencontre aux Bermudes le 9 juillet avec Eisenhower. Grâce à Beaverbrook et Bracken, la presse est muselée, rien ne filtre. Durant les deux mois qui suivent, alors qu’il se repose dans ses propriétés de Chartwell et Chequers, Churchill reste en fonction, épaulé par John Colville et son beau-fils Christopher Soames. Il se remet progressivement avant d’affronter de nouveau la vie publique et la conférence du parti conservateur de Margate, le 10 octobre 1953. Churchill, anxieux, souhaite se prouver à lui-même et au monde qu’il est capable, à l’aube de ses quatre-vingts ans, de faire face.
Vingt-quatre heures avant, le 9 octobre, Moran le rejoint à Londres. Celui que Churchill qualifiait de « vendeur de sommeil » lui donne sa première « Moran », une pilule à base d’amphétamines, dont la formule lui aurait été donnée par le médecin officieux de John F. Kennedy, Max Jacobson46.
Un stimulant utilisé dans les années 1930-1940 pour lutter contre la dépression47. Aucune preuve n’atteste que Churchill en ait consommé avant, notamment durant la guerre, et sa réaction semble aller en ce sens. Churchill est ravi de l’effet et le lendemain, en posant la main sur le bras de son thérapeute, il lui dit :
« La pilule était merveilleuse. Que contenait-elle ? L’as-tu inventée ? Maintenant, Charles, je sais que tu n’aimes pas les médicaments, mais tu vois le bienfait qu’ils peuvent avoir. Tu as dû consacrer beaucoup d’énergie à sa conception. Je n’en demanderai pas souvent. Je le promets. Peut-être une fois par mois, lorsque j’aurai un discours difficile aux Communes. De toute façon, Charles, quel mal me feraient-ils si j’en prenais plus souvent48 ? »
Qui peut imaginer qu’un homme presque octogénaire ingurgite des psychotropes aussi puissants pour faire face à ses obligations ? Une prescription impensable de nos jours.
Pour le biographe de Moran, Richard Lovell, celui-ci ne prescrivait qu’avec parcimonie diverses substances. Pour dormir, son docteur lui donne depuis des années des sédatifs de couleur vermillon, du Seconal 100 mg, appelés « les rouges », un hypnotique très prisé à l’époque. Lors de sa sieste quotidienne, Churchill prend un « bébé rouge », une moitié de comprimé. Et selon Moran, il le contacte parfois en pleine nuit, pour savoir s’il peut en prendre.
Lord Moran indique avoir été témoin le 9 octobre 1944 de la conversation suivante, entre son patient et le prometteur politicien conservateur Anthony Eden, son successeur naturel, aux allures de playboy49 :
« Vous, Antony, que prenez-vous pour dormir ?
— Je prends toujours une pilule rouge, lui répond Eden.
— Moi, j’en prends deux. Je suis beaucoup plus endurci50 », lui rétorque Churchill. Les somnifères seront pour Eden un prélude à sa dépendance aux amphétamines (et notamment au Drinamyl), très prisés à l’époque. Pour certains, son addiction expliquerait sa gestion déplorable de la crise du canal de Suez en 1956, car la substance engendre paranoïa et perte de contact avec la réalité. Mais à l’époque, on ne fait pas grand cas des effets secondaires, sans oublier que lesdites substances sont mélangées avec une quantité importante d’alcool. Ce qui est fortement déconseillé.
Pour que Winston soit en pleine possession de ses capacités, à compter de sa deuxième attaque cérébrale, Moran passe aux stimulants. L’ère est aux pilules de noms divers : « Moran », « Majeures » ou « Mineures », chaque dosage d’amphétamines a sa propre appellation. « Les Majeures », ou « cœurs violets », contiennent du Drinamyl51 (d-amphétamine sulphate 5 mg et amylobarbitone 32 mg), soit du « speed » mélangé à un barbiturique aux effets calmants. Les « Mineures », plus légères, contiennent de l’Edrisal (160 mg d’aspirine, 160 mg de Phénacétin, 2,5 mg de sulfate d’amphétamine), une mixture d’antidouleurs et de sédatifs. Winston apprécie les effets desdites substances et, dans une lettre à sa femme Clémentine, datée du 28 mai 1954, il s’étonne de sa vivacité lors de son dernier discours. Après 42 minutes, alors qu’il n’a pris qu’une « Moran », il est dans une forme olympique52. Désormais, lorsque la tâche est rude, il aura sa béquille chimique. Mais Moran s’inquiète de plus en plus au sujet de son patient, il est alarmé par ses états d’humeur et par son manque de repos. « Nous avons pris de grands risques ensemble. Mais maintenant il est de mon devoir de docteur de vous informer du fait que si vous n’envisagez pas une autre façon d’agir, vous serez obligé de démissionner avant octobre », lui indique-t-il dès le 26 août 195353.
Après la démission de Churchill, un peu moins de deux ans plus tard, le 6 avril 1955, lorsque Moran se propose de l’accompagner en Sicile, il décline. Son médecin a des problèmes de santé et celle de Churchill n’a désormais plus d’influence politique. Moran insiste et use de l’argument selon lequel il se doit de superviser sa consommation de « Mineures », sans succès. Alors qu’il s’est toujours considéré indispensable, le cas échéant en se pliant aux desiderata de Winston, il est écarté. Durant les nombreux séjours de Churchill dans le sud de la France, afin d’atténuer sa dépression saisonnière, c’est le docteur John Roberts, basé à Monte-Carlo, qui le remplace. Churchill l’apprécie, mais lorsque Moran apprend qu’il lui prescrit des pilules blanches que Winston trouve « splendides », il le met en cause. Lui qui durant de nombreuses années lui a donné des pilules de composition identique, mais « rouges », est jaloux de son remplaçant.
En mai 1959, Churchill refuse à nouveau que Moran l’accompagne à Washington. Son secrétaire particulier, John Colville, relève qu’il tient le propos suivant : « Non, je ne veux pas de ce foutu vieux54 », avant de préciser qu’en réalité il y était attaché. A-t-il estimé qu’écarté de la scène politique son praticien ne lui était plus d’aucune utilité ? Ou a-t-il été lassé par certaines attitudes de Moran ?
Durant les dernières années de la vie de Churchill, la relation avec son médecin est plus distante. Contrairement à ce que Moran aime à penser, il ne fait pas partie du cercle des intimes et Churchill n’a plus besoin qu’il le rassure, ce dont se chargent ses proches et sa femme. Le décalage entre le sentiment de proximité allégué par Moran et la réalité se fait cruellement sentir lors d’une croisière sur le yacht de l’armateur grec Aristote Onassis, en mars 1960. L’épouse de Moran s’en inquiète et précise que son mari, fier et sensible, est incapable de cacher ses sentiments. Certains soulignent son manque de psychologie à l’égard de son patient. Churchill est irrité lorsque Moran critique ouvertement les gens, mettant en avant leur côté sombre ou leur politique, alors qu’il n’est nullement qualifié et qu’il est incapable de proposer des solutions. Il n’apprécie guère cette facette de la personnalité de Moran. Lui, n’aime pas les curés. « Le seul homme que je haïsse, c’est Hitler et c’est professionnel », dit-il. Enfin, en 1951, Moran aurait sollicité le poste de ministre de la Santé. Une requête moquée par Churchill tant il l’aurait trouvée inappropriée.
À Monte-Carlo en 1962, Churchill, qui séjourne à l’Hôtel de Paris, chute et se brise la hanche. Insistant pour mourir en Grande-Bretagne, il est rapatrié par un avion de la Royal Air Force. En dehors d’un dernier voyage à Monaco, puis sur le yacht d’Onassis, Churchill passe ses dernières années chez lui à Chartwell, entouré de ses chers livres, de ses enfants et petits-enfants, et enfin dans sa résidence londonienne du 28 Hyde Park Gate.
Cette période de sa vie, Moran estime devoir la passer sous silence. « J’ai pensé qu’il était approprié de ne pas mentionner les détails douloureux de l’état d’apathie et d’indifférence sans lequel il plongea après sa démission55 », indique-t-il. Une abstention judicieuse : cela aurait provoqué un tollé général.
Le 18 janvier 1965, Lord Moran annonce à la presse mondiale, devant le domicile londonien de Churchill, que celui-ci, le 15 janvier, a eu une grave attaque cérébrale.
Quelques jours plus tard, le 24 janvier, l’artiste de l’Histoire meurt. Celui qui est considéré par toute une nation comme le plus grand Premier Ministre du XXe siècle, a droit à des obsèques nationales, habituellement réservées aux souverains. « Ce jour-là, à Londres, coulaient deux fleuves : la Tamise et un fleuve de larmes », titre Paris Match. Enterré près de son père à Blenheim, la mort le réunit à l’homme dont il a toute sa vie cherché l’affection et l’attention.
Dès l’année suivante, en 1966, Moran publie ses Mémoires, Vingt-cinq ans aux côtés de Churchill, 1940-1965, dans lesquels il fait état de l’influence de l’état de santé de Churchill sur sa carrière politique, mettant en exergue son implication et son ascendant. Il estime qu’il est nécessaire de révéler ses connaissances pour comprendre l’Histoire. Pour lui, nul doute : « Il est impossible de suivre les vingt-cinq dernières années de la vie de Sir Winston sans prendre en compte son passé médical56. » Peu d’hommes, estime-t-il, ont pu le connaître comme lui. Il l’accompagne dans ses voyages officiels et se considérera comme son proche ami et confident. Alors que Churchill a une piètre mémoire des prénoms, Moran aime indiquer que contrairement aux autres – ministres, secrétaires particuliers ou sténographes – il l’appelait « Charles » et l’invitait fréquemment à rester à ses côtés. Il souhaite être perçu comme un personnage central et souligne son caractère indispensable et incontournable. Cette publication suscite des critiques acerbes dans le monde médical et dans la presse. Pour certains, en violant le secret médical, Moran crée un précédent que nul ne devrait reproduire sous peine de détruire la relation de confiance censée unir un thérapeute à son patient. « Je ne demande rien de plus pour mon père que le fait qu’il soit traité par son docteur de la même façon que toute personne dans ce pays par son généraliste local57 », écrit Randolph Churchill, le fils de Winston. Moran est exclu de l’« Other Club », un cercle créé par Churchill qui rassemble, lors de dîners, toute la fine fleur de la politique anglaise. Il n’en comprendra jamais les raisons.
Plus clémente, Mary Soames, la fille de Churchill, précise : « Lord Moran avait une parfaite compréhension de Winston, et ce dernier avait de la chance d’avoir comme docteur un homme ayant conscience non seulement des aspects médicaux et des risques pour sa santé, mais également des implications que cela pouvait engendrer à tout moment sur son rôle en politique58. »
Des spécialistes auxquels Moran a fait appel, dont Lord Russel Brain, neurologiste et son successeur à la présidence du « Royal College of Physicians », lui reprochent son attitude et son insensibilité aux autres. Brain a été heurté par ses mémoires. Sans l’en informer ni solliciter son accord, Moran révèle des informations confidentielles relatives à ses consultations et mentionne des problèmes de communication avec Churchill. Il se trompe également sur la date de sa première consultation au mois d’octobre 194959. Le 24 août de cette même année, à l’âge de soixante-quinze ans, Churchill, alors dans la villa de Lord Beaverbrook près de Monaco, eut son premier accident vasculaire cérébral.
Lord Moran dit avoir pris pour habitude de tout noter sur la santé de son patient et avoir parfois inscrit des données au dos d’une enveloppe pour réunir les éléments d’une recherche et y trouver peut-être la cause des maux de Churchill. « À l’aide de ces notes, je rédigeais dans la soirée ou dans la nuit les conversations que j’avais eues avec lui. Je les livre à l’impression, telles qu’elles furent consignées à l’époque. Je n’y ai pas touché depuis60 », indique-t-il. En réalité, son livre est basé sur des reconstitutions a posteriori, d’où les lacunes et inexactitudes.
Il dit également qu’en ce temps-là, il n’avait jamais eu l’idée d’une quelconque publication. Mais ses écrits sont différents de ceux d’un Theodor Morell, médecin d’Adolf Hitler, dont on constate sans peine qu’ils n’avaient pas vocation à être publiés. Lord Moran souhaite faire partie de l’Histoire et mettre en avant sa relation privilégiée avec Churchill. Il aime à raconter tous les voyages effectués auprès du Premier Ministre, ses conversations personnelles, et faire part d’événements historiques, tout en soulignant qu’il n’assistait pas aux rencontres officielles. Morell se contente, lui, d’indiquer l’état du Führer et le traitement administré. Enfin, l’on constate que Moran n’y rapporte qu’un seul examen médical, celui des yeux.
Il précise qu’il s’était fait une règle de ne jamais écrire quoi que ce soit sur Winston tant qu’il demeurerait son patient. Sa conception particulière du secret médical lui sera lourdement reprochée. Elle s’inscrit dans le vaste débat sur le secret médical concernant les hommes politiques61.
Mais, surtout, Moran fait état de la dépression de Churchill, laissant entrevoir l’influence de celle-ci sur ses décisions politiques. C’est la révélation qui heurte le plus sa famille. À cette époque, tout ce qui touche aux maladies mentales est sensible, a fortiori chez un homme d’État.
Moran écrit : « Quand je découvris par moi-même que Winston était très craintif de nature, je mis très longtemps à y croire. Mais cette idée me vint petit à petit qu’il était totalement dépourvu de ce mécanisme d’auto-protection qui, pour autant que je puisse l’affirmer, est le seul don commun aux hommes qui “tiennent” en temps de guerre : une certaine façon d’envisager les choses qui leur permet de les supporter. Pendant la Première Guerre mondiale, on parlait des hommes qui “tenaient le coup”. J’ai écrit à l’époque que l’homme qui “tient le coup” est celui qui s’arrange pour couper les messages du monde extérieur. L’homme sage ne vit que pour l’heure présente », indique Lord Moran.
Et il ajoute : « Winston Churchill n’avait pas cette chance, Premier Ministre de la Couronne en temps de guerre, il était forcément atteint au cours de sa mission solitaire par des blessures plus profondes et plus durables que celles infligées par les armes, l’aptitude à se protéger des pensées déprimantes ou accablantes était pour lui d’une importance vitale, il lui fallait oublier, fut-ce pour un bref intervalle, l’angoisse de l’heure. Or, il en était incapable62. »
Churchill aime plus que tout l’action et le danger, être au centre des événements, avec la pression qu’ils impliquent. Rien de tel que l’activité et, lorsqu’il ne fait pas de politique car les circonstances l’exigent, il a besoin d’écrire ou de peindre. Sans l’aquarelle et ses couleurs, qu’il aime claires, il dit ne pas pouvoir vivre. Il ne se sépare jamais de sa palette et, jusqu’à la fin de sa vie, se consacre à la peinture. Sans oublier le polo, les courses de chevaux, le jeu, le pilotage et la maçonnerie. « Deux cents briques et deux mille mots par jour », dit-il. Ne rien faire, impossible !
Il sait que l’oisiveté laisse la porte ouverte à des épisodes dépressifs : son « black dog », qui le ronge. Si pendant la première partie de sa vie il parvient à le canaliser, sans qu’aucun facteur externe puisse l’expliquer, il aurait eu son premier épisode en 1910 à l’âge de trente-cinq ans, la digue se rompt lorsqu’il se retire de la scène publique à l’âge de quatre-vingt-un ans. « En politique, contrairement à la guerre, on peut être tué plusieurs fois », dit Churchill. Il sait que cette fois aucun retour n’est possible, contrairement à 194563.
Sensible, il connaît des sautes d’humeur qui, au fil des années et notamment lors de sa retraite, se seraient transformées en dépression. Légère ou sévère ? Était-il unipolaire ou bipolaire ? Des années après, il est difficile de poser un diagnostic et d’en trouver les causes. À l’époque, on n’en parlait guère et l’homme n’est plus là. Or, tout est une question de degrés.
Nul, à l’exception de certains de ses proches, n’a connaissance de ses épisodes dépressifs. Son ami de longue date, Lord Beaverbrook, précise : « Churchill était soit au sommet de sa confiance, soit au fond de la dépression. » Moran, mis dans la confidence par Churchill sur son « black dog », le révèle au monde dans son livre et le décrit comme « l’état dépressif prolongé dont Churchill souffrait ». Il lui aurait également confié le 14 août 1944, alors qu’il le trouve d’humeur mélancolique, ne pas aimer les balcons et les chemins de fer, de peur qu’une humeur soudaine ne le pousse à sauter64. Enfin, Brendan Bracken, un autre proche de Winston, lui aurait indiqué qu’il s’agissait là d’un mal familial : cinq des sept ducs de Marlborough auraient souffert de mélancolie. Une affliction génétique que l’on retrouve également chez certains descendants de la famille, dont la fille de Churchill, Diana, qui se suicide en 1963.
Pour son neurologue, le célèbre Dr Russel Brain, Churchill était atteint de cyclothymie et non de dépression. Dans le spectre de la bipolarité, ce trouble de l’humeur se caractérise par des phases d’euphorie et d’irritabilité, sans qu’il s’agisse nécessairement d’épisodes dépressifs ou maniaques. Des états parfois aggravés par l’anxiété ou la fatigue65. Lorsqu’il n’est pas déprimé, c’est un hypomaniaque dont la production est colossale, que ce soit comme Premier Ministre, écrivain ou peintre. Ainsi, durant la guerre, sa femme Clémentine est obligée de le presser de soulager ses équipes, qui besognent sans relâche pour faire face à un rythme de travail impossible. Un homme dont Franklin Delano Roosevelt dit : « Churchill a une centaine d’idées par jour, dont peut-être quatre sont bonnes. »
Sachant son père hostile aux psychiatres, le fils de Winston, Randolph Churchill, consulte le Dr Ronald Fieve qui le diagnostique « bipolaire II » avec la spécificité suivante : il serait « B », pour bénéfique. Ceux qui en sont atteints utilisent leurs « hauts » de façon constructive à leur égard, à celui de leur famille ou de la société66.
Anthony Storr, psychiatre, auteur de l’ouvrage Churchill’s black dog, fait grand cas de la dépression de Churchill et souligne que seul un homme qui sut faire face au désespoir peut convaincre ses concitoyens avec une telle force et inspirer toute une nation67. Storr note, non sans ironie, que s’il avait été plus heureux, moins porté sur l’action et la nécessité de faire face à ses humeurs avec fantaisie, il n’aurait probablement pas été l’homme qui, en 1940, permit à l’Angleterre de contrer les Allemands. D’autres vont encore plus loin et soulignent les liens ténus entre maladies mentales et étoffe d’un dirigeant. Pour Nassir Ghanemi, il existe un lien entre la dépression de Churchill et son réalisme politique. Lorsque Neville Chamberlain, sain d’esprit, se fait des illusions quant aux intentions du Führer, Churchill, dès le début des années 1930, en a compris les risques68.
Enfin, pour A. W Beasley, chirurgien orthopédique spécialisé dans l’histoire médicale, il s’agit d’un mythe largement inspiré par Moran qu’il considère comme un fraudeur et dont le surnom de « tire-bouchon » confirmerait le caractère déviant69. La fille de Churchill, Lady Soames, précise que « cet état était davantage lié aux événements auxquels il dut faire face qu’à un réel état dépressif. Churchill dut traverser des épisodes qui auraient déprimé toute personne, et il ne peut en aucun cas être considéré qu’ils ont affecté ses performances de chef de guerre et d’homme d’État70 ».
Et si Churchill avait tout simplement été humain avec ses hauts et ses bas, ses humeurs et ses erreurs ? Un homme providentiel en 1940, proche de ses concitoyens, qu’il touche au plus profond de leur âme. Lors de son retour comme premier Lord de l’Amirauté en 1939, il est acclamé sous son prénom : « Winston is back. » Il est peu probable que le général de Gaulle, qu’il qualifie de « lama femelle surpris dans son bain », ait été fêté par un « Charles est de retour ».
En 2002 et 2006, pour apaiser la polémique, John, le fils de Lord Moran, publie une version augmentée du livre de son père. Une publication en deux volumes qui, pour éviter la confusion, ne fait plus référence aux mémoires. Le premier volume, Churchill at war, couvre la période allant de mai 1940 à juillet 194571. Le second, The Struggle for Survival 1945-1960, les années d’après-guerre. Au texte original auquel on reproche de nombreuses omissions, sont intégrés respectivement trente et un et trente-trois ajouts. Il rédige la préface du premier volume et revient sur les attaques proférées à l’encontre de son père. Selon lui, cet ouvrage est incontestablement une source de première importance pour les historiens. Malgré le titre de la publication de 1966, il ne s’agit pas d’un journal au sens propre du terme, avec des insertions quotidiennes, mais d’un livre basé sur des notes et carnets tenus par son père, rédigé des années plus tard. Face aux critiques relatives aux erreurs, à la proximité entre la date de publication (1966) et la mort de Churchill (1965), il avance le grand âge de son père et sa volonté d’une publication de son vivant. Mais surtout, comme lui, il fait état du consentement de Churchill pour celle-ci. Une affirmation qui n’est confortée par aucune preuve et qui est fortement contestée par la femme et le fils de Churchill. Ce dernier savait-il même qu’il prenait de telles notes destinées à un ouvrage sur sa santé ?
Il est possible que ces mémoires aient marqué post mortem la fin d’une alliance basée sur la confiance. « Je dois probablement ma vie à ses soins infaillibles et nous sommes devenus des amis dévoués », dit Churchill de son médecin. Jusqu’à sa mort et malgré les attaques, Lord Moran ne remet jamais en cause sa décision de révéler les affections de son patient. Pour lui, les informations relatées sont une contribution essentielle à l’Histoire, le reste n’est que querelle de clocher. Il abandonne même le procès en diffamation qu’il a intenté à l’encontre de la BMA (British Medical Association), qui l’a menacé d’expulsion72. Déçu par l’accueil que réservent les États-Unis à son livre, il est fier de son succès en Angleterre et se fait une gloire d’être cité par d’éminents collègues. À l’approche des quatre-vingt-dix ans, âge auquel son patient est décédé, il se retire de la vie publique et meurt cinq ans après.
Moran a-t-il estimé qu’il aurait lui aussi son heure de gloire par la voie sacrée de l’écriture ? Ou a-t-il simplement souhaité léguer son tribut à l’Histoire, tel qu’il l’a fait valoir ? La question est difficile. Son patient a été le premier des grands de la guerre à rédiger son autobiographie. « Je n’ai pas toujours eu tort. L’histoire me donnera raison, d’autant que j’écrirai cette histoire moi-même », a dit Churchill. Moran rédige sa biographie médicale avec le désir de vivre de sa plume, comme Winston, même si la polémique plane sur son œuvre. Reste à savoir si Churchill aurait dit : « Je ne veux rien savoir, cet homme est mon ami. » Lui qui a, semble-t-il, affirmé qu’il écrirait un jour un thriller, dont le méchant serait médecin73 !