Chapitre 39
Aiguillonnée par la colère, Lydia quitte la place en coup de vent, rentre chez elle, avale un grand verre de scotch, téléphone à Félix puis s’écroule dans son fauteuil en maugréant.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le laquais de madame est là, toujours prêt à lécher la main qui le nourrit.
— Que se passe-t-il, ma chère Lydia ?
Épuisée, désespérée, Lydia se jette au cou de son sauveur.
— Aidez-moi, Félix ! Aidez-moi !
— Ne vous inquiétez pas, Lydia, venez.
L’enlaçant par la taille, il l’entraîne tranquillement vers la causeuse. Ils s’assoient familièrement l’un près de l’autre. Il passe son bras autour de son cou. Elle pose sa tête sur son épaule, s’abandonne et pleure en silence. Elle respire lentement, retient son souffle, sa poitrine se gonfle. Félix l’étreint un peu plus fort en lui murmurant des mots doux à l’oreille.
— Chère Lydia, belle Lydia, détendez-vous… après vous me direz tout.
Lydia se laisse bercer encore un peu, juste pour le plaisir d’être câlinée. Puis, subitement, n’y tenant plus, elle se lève d’un bond et laisse exploser sa rage.
— J’ai vu Jocelyn !
— Où ça ?
— À la pharmacie.
— C’est cette rencontre qui vous a mise dans cet état ?
Lydia s’emporte, son regard s’enflamme.
— Il était avec sa traînée !
— Je vous en prie, Lydia, calmez-vous.
— Me calmer ? J’ai vu mon mari avec sa traînée, et vous osez me demander de me calmer ?
— Excusez-moi.
— Ah ! si vous l’aviez vue ! Arrogante ! Méprisante !
— À ce point-là ?
— Vous doutez de ma parole ?
— Non, non, pas du tout ! Vous lui avez parlé ?
— C’est elle qui m’a abordée, comme ça, avec un sans-gêne ! Et pour me demander quoi ? Je vous le donne en mille ! Elle voulait que je lui conseille un onguent pour frictionner Jocelyn !
— C’est insensé !
— Mon pauvre Félix, vous auriez dû l’entendre : « Mon ami aime bien ça, quand je le frotte ! »… Je vais lui en faire, moi, un ami !
— Elle parlait de Jocelyn ?
— De qui d’autre ?
— C’est franchement indécent !
— Indécent et vulgaire ! Et puis, ce n’est pas tout ! La vieille chipie se collait sur Jocelyn comme une teigne : « Mon chéri, tu es tout pâle ! »
— Quoi ? Elle l’appelait mon chéri devant vous ?
— Parfaitement.
— Mais cette femme n’a aucune retenue, aucune pudeur !
— Et quel mépris ! Elle me regardait d’un air dédaigneux, comme si j’étais la dernière des dernières, un vieux déchet, un rebut !
— Comment Jocelyn a-t-il pu s’abaisser de la sorte ?
— Mon cher, les hommes perdent toute dignité quand leur sexe les mène !
— Au fond, ce n’est qu’une question de…
— Évidemment.
Heureuse de se savoir enfin comprise, Lydia retourne se lover entre les bras de Félix, qui se transforme en coussin moelleux, prêt à épouser toutes les formes de son corps. Soudain, Lydia se redresse en enfonçant son coude dans l’estomac de Félix.
— Oh ! mon Dieu, j’oubliais un détail !
— Quoi donc ?
— Avant de partir, cette greluche a eu le culot de me demander l’adresse de mon couturier ! Non mais, vous vous rendez compte ?
— Quelle insolence !
Félix insiste exprès sur le mot insolence pour raviver l’indignation de Lydia. Feignant fort bien la compassion, il se dévoue pour la consoler. Lydia, vaincue, devient lascive… et Félix en profite. Mine de rien, il la caresse tout doucement jusqu’à ce qu’elle s’abandonne.
Protégez-moi, Félix, j’ai soif de vengeance.
Chut ! Détendez-vous, laissez-vous faire…
Félix pose ses lèvres sur la bouche de Lydia sans lui laisser la chance de protester. Au premier baiser, elle se retient. Au deuxième, elle ronronne. Mais au troisième, rien ne va plus. Tandis que leurs langues se frôlent, Lydia, distraite, étire son bras en tâtonnant, à la recherche de quelque chose qu’elle n’arrive pas à attraper. Du coup, Félix se sent floué.
— Ne fuyez pas, Lydia, nous y sommes presque ! Lydia ? Lydia ?
— Lâchez-moi !
Lydia repousse Félix et s’affranchit de son étreinte étouffante. Enfin libre, elle retrouve son sac à main, et, dans son sac, la carte d’affaires de Théodore, cet ange gardien qu’elle n’a jamais osé rappeler. Rassurée, elle se ressaisit, secoue la tête et redevient hautaine.
— Mon cher Félix, j’ai enfin trouvé la façon de me venger !