Chapitre 4
Docteur Jocelyn Verdier, pathologiste… Malgré son titre et ses années d’expérience, Jocelyn Verdier ne peut réprimer un haut-le-cœur en constatant que le cadavre de la fillette retrouvé la veille est maculé de sperme. Incapable de la pénétrer, l’assassin, fou de rage, aurait éjaculé sur sa victime après l’avoir poignardée.
Jusqu’où nous mènera la triste folie des hommes ? Peuton rester indifférent face à l’absurdité d’une mort sadique ? Devant l’inexorable, Jocelyn Verdier s’incline, mais n’abdique pas. Il veut savoir. Il veut comprendre. Le corps parle ! Chaque cheveu garde l’empreinte du meurtrier. Chaque ecchymose porte sa marque. La moindre blessure le trahit. Témoin muet d’un drame atroce, le cadavre d’une enfant s’apprête à livrer son secret.
Comme il le fait chaque fois qu’il a trop mal à l’âme, le docteur Verdier se recueille un instant avant d’entreprendre sa pénible besogne. Confronté à la froideur de la mort, il se demande encore par quel hasard la vie l’a conduit jusqu’ici, lui qui aurait tant aimé secourir les vivants.
À la fin de ses études, le jeune docteur Verdier désirait simplement devenir un bon médecin de famille, mais l’ambitieuse Lydia caressait pour son mari des espoirs plus valorisants.
Influencée sans doute par la lecture de Madame Bovary, elle voulait à tout prix que Jocelyn devienne un grand spécialiste. La spécialité importait peu, pourvu que le titre soit ronflant. Elle l’imaginait chirurgien du cœur, neurochirurgien ou, mieux encore : plasticien… en songeant au prestige que cette profession confère à l’épouse de celui qui, d’un coup de bistouri, peut embellir le pire laideron. Plus Lydia rêvait, plus elle s’emballait. Grâce à ses conseils, l’illustre Docteur Verdier allait révolutionner le monde médical. Son rayonnement serait sans bornes et sa réputation rejaillirait inévitablement sur elle. Ils auraient de nombreux amis, donneraient des soirées somptueuses et connaîtraient enfin cette célébrité prestigieuse qui confond les envieux et nourrit les adulateurs.
Quand, encouragé par un professeur qu’il admirait, Jocelyn a choisi de se spécialiser en pathologie, pour devenir ensuite médecin légiste, Lydia a reçu cette décision comme un affront. Profondément blessée dans son orgueil, elle a humilié son mari en le traitant avec mépris de petit docteur sans envergure.
Aujourd’hui, en regardant cette enfant morte, étendue sur le marbre froid, Jocelyn comprend que sa décision d’alors avait été la bonne. Il n’aurait vécu que pour cet instant, qu’il remercierait encore le ciel de l’avoir dirigé dans cette voie.
L’autopsie terminée, Jocelyn se recueille une dernière fois par respect pour cette petite fille qu’il connaît désormais mieux que personne. Il a complété son travail, les policiers feront le reste.
On retrouvera peut-être l’assassin, on le jugera, on l’emprisonnera, mais rien ne pourra ressusciter cette enfant qui a sûrement crié sans qu’on l’entende. Quand les hurlements la perturbent, la « bonne société » devient sourde.
Le cœur endeuillé, Jocelyn s’engage dans l’interminable corridor qui mène à la sortie. Il a besoin de se retrouver seul, de méditer sur la vie, sur la mort, sur lui-même. Il ne veut surtout pas penser au long rapport à rédiger, ni à sa comparution prochaine devant des avocats qui chercheront à le confondre. Les procès sont un cirque dont il pourrait facilement se passer.
Un bloc-notes à la main, la secrétaire se précipite à sa rencontre.
— Docteur Verdier ! Votre femme a téléphoné, plusieurs fois… pour vous rappeler de ne pas oublier le souper.