Chapitre 41
Tous les critiques semblent avoir découvert le roman de Renaud en même temps. Certains parlent d’un brouillon mal écrit, d’autres, d’un petit écrivain sans talent, mais tous s’accordent pour souligner à gros traits, preuves à l’appui, plusieurs extraits tirés directement des œuvres d’Alexandre Jardin, ce romancier dont Michel Bonneau lui avait parlé lors de leur première rencontre.
Ce jour-là, Renaud s’en souvient, il avait acheté Le Zèbre en se promettant de le lire jusqu’au bout. Mais depuis, ce bouquin traîne sur une tablette sans que jamais il ait eu envie de déplacer le signet qui marque la onzième page.
Assis sur son lit, Renaud découpe minutieusement tous les articles qui le concernent, sans se laisser blesser par les critiques désobligeantes qui l’accusent, à tort, d’avoir plagié un livre qu’il n’a même pas lu. Confiant que son éditeur va pouvoir éclaircir la chose, il arrive facilement à se convaincre qu’une mauvaise presse vaut mieux que pas de presse du tout.
La sonnerie de son cellulaire le dérange, mais il se rassure en lisant Les Éditions Jactance sur l’afficheur.
— Allô ?
Sans préambule, Michel Bonneau hurle sa colère.
— As-tu vu dans quel pétrin tu nous as foutus, petit con ?
— Qu’est-ce que j’ai fait ?
— Ce que tu as fait ? Tu oses me demander ce que tu as fait ? Mais réveille-toi, sacrament ! Tu nous as fourrés dans la marde !
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
— Quoi ? Tu as plagié les romans d’Alexandre Jardin et tu ne comprends pas ce que je veux dire ?
Michel Bonneau fulmine au bout du fil, prêt à renier son auteur pour mieux se disculper aux yeux des journalistes qui attendent ses commentaires.
— Sais-tu au moins ce que ça veut dire : « plagier », imbécile ?
— Si quelqu’un a plagié, ce n’est pas moi ! Avant que vous m’en parliez, je ne connaissais même pas Alexandre Jardin, et je n’ai jamais lu aucun de ses romans… jamais !
— Ah non ? Et quand je t’ai demandé si…
— Je vous ai répondu oui pour vous faire plaisir. Je pensais que c’était la meilleure chose à faire.
— Tu dis vraiment n’importe quoi ! Comment est-ce que je pourrais faire confiance à un tricheur de ton espèce ?
— Les journaux disent que vous allez tout leur expliquer…
— Leur expliquer quoi ? Les preuves sont là ! Penses-tu que je vais te couvrir ? J’ai une réputation, moi ! On me respecte, moi !
— En avez-vous parlé à France Choquette ?
— Ne mêle surtout pas France Choquette à ça !
— Dans ce cas-là, qu’est-ce qu’on va faire ?
— Toi ? Rien ! Tu ne fais rien ! Tu prends ton trou et tu la fermes ! Moi, je vais convoquer une conférence de presse !
— Est-ce qu’il va falloir que j’y sois ?
— Es-tu malade ?
— Pourquoi ?
— Parce que je ne veux plus rien savoir de toi ! Ta carrière est finie, mon bonhomme ! Finie !
— Et mon roman ?
— Ton roman ? Tu veux savoir ce que je vais en faire de ton roman ? Je vais rappeler toutes les copies en circulation, puis je vais les mettre au pilon au plus sacrant, en espérant que les éditeurs d’Alexandre Jardin ne nous poursuivront pas !
— Et s’ils poursuivent ?
— Je t’enverrai la note !
Furibond, Michel Bonneau a raccroché avant même que Renaud n’ait eu le temps de saisir ce qui venait de se passer. Qui a plagié ? Qui a étoffé son roman à son insu ? Certainement pas son copain, puisqu’il n’a fait que corriger la première copie soumise au concours littéraire. Complètement brisé, Renaud voudrait n’avoir jamais entendu parler d’Alexandre Jardin.
Il empile les articles qu’il vient de découper et les range dans son sac à dos avec toutes les copies de son roman que Michel Bonneau lui avait remises mais qu’il n’a jamais osé distribuer.
Le cœur gros, la tête basse, il quitte la maison sans faire de bruit et se dirige vers le Petit Bedon Gourmand. En chemin, il ressasse toutes les idées porteuses de doute qui l’habitaient ces derniers temps. Sa première rencontre avec son éditeur, cette terrible impression d’être petit, ignare, sans culture. Le bonheur de se sentir choisi, assombri par un simulacre de lancement, et la tristesse de se retrouver seul avec son éditeur, ivre mort, qu’il a dû jeter dans un taxi, comme un soûlon, après la fête. Le retour en métro, la jaquette, le titre… surtout le titre ! En pensant à son père, Renaud devient nerveux. Jamais Félix ne croira sa version des choses. Jamais il ne lui pardonnera d’avoir éclaboussé son nom. Et Arlette, sa triste mère, si dévouée, si douce, comment pourra-t-elle supporter que son fils soit ainsi bafoué, méprisé, rejeté ? Renaud se sent tout à coup vidé de tout espoir. Adieu l’écrivain célèbre ! Adieu les prix littéraires ! Adieu la renommée et la reconnaissance !
Subitement, tout bascule. Renaud se sent déprécié, écrasé, misérable. Plagiaire ! Voilà désormais ce que les gens diront de lui, jamais en face, mais dans son dos. Il les entend déjà murmurer et ricaner dans l’ombre en prononçant son nom. On le traite de tricheur, de menteur. En piétinant ses rêves, on se moque de ses prétentions : un écrivain, lui ? Un plagiaire, oui !
En passant devant une librairie où son roman trône dans la vitrine, il entre et achète les trois copies en stock, comme pour les protéger avant qu’on ne les détruise. La caissière, indifférente, ne le reconnaît pas.
Il s’arrête ensuite au bureau de poste, se procure du papier, des enveloppes, quelques timbres, puis s’installe sur un banc pour écrire…