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Lorsque je suis ailleurs, je ne pense jamais à partir vers l'ailleurs, car je suis ailleurs. Lorsque je suis à Jonquière, je suis partout sauf ailleurs. Alors, l'ailleurs m'attire énormément. Pour compenser je repense à lorsque j'étais ailleurs, j'écoute de la musique que j'écoutais lorsque j'étais ailleurs. Cette passion de l'ailleurs me remplit d'énergie, je me motive à bloc et suis prêt à construire des édifices entiers. Lorsque je suis ailleurs, il est bien difficile de me motiver autant, tant de choses arrivent, je ne puis que subir l'environnement, emmagasiner ce qui servira à construire l'ailleurs une fois que je ne serai plus dans l'ailleurs. La question que je me pose c'est, Toronto sera-t-il considéré comme l'ailleurs ? Je crois que oui. Mon but à moyen terme est de demeurer dans l'ailleurs, mais j'aimerais bien que ce ne soit pas toujours le même ailleurs. Si Sébastien veut s'établir pour de bon à Toronto, j'aurai bien de la misère à accepter. Ou je me préparerai une porte de sortie.

Jacques est parti vers l'ailleurs, l'Ouest canadien. Mais son message sur son répondeur est à l'image de la deuxième lettre que je lui ai envoyée, complètement en anglais. En plus, je cite une chanson de Lisa Loeb dans cette lettre et il fait jouer une chanson de Lisa Loeb sur son répondeur. Puis-je lire là un signe concret qu'il pensait à moi ? Ce serait bien par pure perte, je serai probablement parti lorsqu'il sera de retour. Ou alors, il aura juste le temps d'insister pour que je reste alors que je serai déjà sur la piste de décollage.

Lorsque je suis passé en face de chez Gabriel, voilà que je vois l'automobile rouge de Phil juste en face. À ce rythme, je comprends bien que je me fourrais le doigt dans l'œil hier. Je ne coucherai certainement pas avec lui d'ici la fin de la semaine, non plus il ne me rappellera de sitôt. Ce sera difficile de garder la tête haute lorsque je le rencontrerai au 2171 cette fin de semaine. S'il faut en plus qu'il s'amourache de son petit Philip, qu'il se mette à l'embrasser devant moi, ce sera même impossible de ne pas craquer. Cette fin de semaine, je crois que je ne sortirai pas, seulement dans les bars hétéros de Chicoutimi avec Christiane et son copain. J'espère lui faire mal par mon absence, mais je crois que ma présence lui ferait encore plus mal. Mon absence passera inaperçue. Somme toute, Phil me vaut bien, il est certainement un très bon copain de rechange. Peut-être même est-il mieux que moi ? Alors, voyons si Gabriel est capable d'en tomber amoureux en aussi peu de temps qu'en ce qui me concerne. Si oui, alors son amour n'était que passion éphémère. Il n'aurait pas reconnu en moi un amour de sa vie potentiel. Moi, c'est certain que je n'ai pas vu en lui un amour de ma vie, même que je dirais que si j'ai été capable de sacrer le camp, c'est bien significatif. Et maintenant je me demande si ce n'était pas pour éviter qu'il souffre que je voulais revenir à Jonquière. Car dès qu'il m'a lancé toutes ces choses à propos de Phil, moi j'ai décroché, deux jours de dépression, puis le renouveau complet, heureux de vivre. J'ai déjà vécu des deuils plus marqués en amour (étrangement tous avec la même personne : Sébastien).

Maintenant que j'y pense, il avait tout gardé son nouveau pour que je constate à mon retour une évolution marquée. Plutôt que de retrouver le pauvre petit Gabriel misérable, voilà qu'il a des vêtements tout neufs qui lui vont à merveille, il a un emploi, il se débrouille et tout va bien. Il a même un nouveau quelqu'un dans sa vie, ma foi, certainement le plus beau après les plus beaux que j'ai déjà nommés plus avant (fatigant par contre, mais on ne peut pas être parfait). Ainsi, il fallait que je voie le contraste entre le misérable et l'inatteignable, tellement il est changé, qu'il est mieux et qu'il est heureux. Bullshit, il a failli pleurer hier. Ça me choque, mais ça ne change pas grand-chose à mes sentiments.

Frustration, pas bon pour ma santé. Prêt à déguerpir, voilà le seul résultat de son action. Je ne vais pas me mettre à genoux pour lui demander de me reprendre, encore moins lui assurer ma présence au Saguenay jusqu'à la fin des temps pour ses beaux yeux. Jonquière lui appartient, pas moi, moi on m'y rejette. Mais au moins, moi, le reste du monde m'appartient. Quand bien même tout ceci se passerait dans ma seule petite tête. Quelle motivation encore pourrais-je m'inventer, je souffre, c'est clair. Je ne le méritais pas le petit gars de Jonquière. Accepte-le et continue à vivre. Mais que faire ? Je m'ennuie, ça fait juste deux jours que je suis ici.

Mon père est finalement revenu de Québec. On a discuté des problèmes d'Alice. Clairement, veut-elle de moi ici ? Mon père insiste que oui. Après que je lui aie raconté ses conditions, il a dit : « Ce que je n'aime pas, c'est qu'elle pose des conditions à mon fils ». Voilà une phrase qui en dit long sur ses discussions avec elle. Ensuite il a tenté de justifier le point de vue d'Alice.

— Écoute, tu couches avec plusieurs personnes, tu trompes ton copain Sébastien. Ce n'est pas ton homosexualité, c'est que ta vie est dirigée par le sexe. Tous les soirs tu sortais.

Tabarnack !

— Écoute, je n'ai eu qu'un seul copain pendant que j'étais ici, je ne sortais plus avec Sébastien. Tous les soirs, je les passais avec lui. Moi je peux compter sur une main le nombre de personnes avec qui j'ai couché, ce qui n'est pas du tout ton cas.

— Je n'ai jamais dit que le sexe ne dirigeait pas ma vie également. Mais Alice son mari l'a trompée et elle en est restée traumatisée.

— Et ma sœur, elle ? Nous n'en aurions pas suffisamment des doigts de cinq mains pour compter le nombre de ses copains.

— Ça m'a toujours fatigué de voir ta sœur chaque matin avec un nouvel homme dans son lit lorsqu'elle est revenue à Jonquière après son université.

Ah, voici que la vérité fait surface. Ma vie est peut-être dirigée par le sexe, mais c'est certainement encore moins pire que le vécu de mon père et de ma sœur. Tel père, tel fils, telle fille. Comment peut-on me juger alors ? Et me juger en ignorant vraiment tous les événements de ma vie. Je vais d'ailleurs me taire à l'avenir. Si mes parents se mettent à parler avec ma tante Charlotte qui justement vient cette fin de semaine de Toronto, ils pourront trop bien me détruire ensuite. Maintenant, si je veux sauver les apparences, je dois me tenir tranquille pour le prochain mois. Si je couche avec quelqu'un, il faut que ça se fasse à l'insu de tout et chacun. Ou alors, j'accepte ma vie de dépravé et je continue mon ascension vers la perversion ultime en me foutant des autres et de leurs jugements.

Mais ce sera terrible une telle situation si je reviens avec Sébastien à 100 % et qu'il vient se promener au Saguenay plus tard. En plus, j'ignore qui, mais on m'a placé un tube de pâte dentifrice à côté de ma brosse à dents. Ainsi, ce que je craignais est bien réel. Ils ont la nette impression que je suis séropositif et que ça ne prendra pas grand-chose pour qu'ils l'attrapent. J'ai bien peur qu'à ce rythme ils vont craquer bientôt. Alice tombera à genoux en me suppliant de partir. Elle n'en pourra plus de vivre dans la crainte que je lui transmette une maladie mortelle. Pauvre Alice, qui ne prend même pas de condom avec mon père. Si on se fit au passé de mon père en rapport aux infidélités survenues lorsqu'il vivait avec sa femme, je crois qu'elle devrait plutôt s'inquiéter de ça. En plus, à fumer et à boire comme elle le fait, même si elle attrapait la fameuse maladie mortelle, elle mourrait d'un cancer ou autre avant même de développer le sida. C'est con un humain, mais étant moi-même humain, je peux comprendre sa position. Je me mets donc en quête de trouver des solutions à mon problème : comment sacrer le camp d'ici ? Avec quel argent et pour quelle destination ?

 

 

carole cadotte <138194788@archambault.ca>