33

 

Je suis seul à Bruxelles et je m'ennuie grandement. Pas un seul ami. Ce soir j'ai fait le tour des bars, je n'ai osé entrer que dans deux. Tous les autres étaient trop vides et trop vieux. Et quand je dis vieux, c'est 50 en montant. Bref, il n'y a pas de club, juste des petits bars grands comme ma main. Aucun journal ou guide du monde gai de la ville, rien qui puisse m'orienter le moindrement. Heureusement, j'ai trouvé une liste sommaire des bars de la ville sur Internet. Je sens que je vais m'emmerder au possible. J'attends patiemment que Stephen vienne, je n'en puis plus d'attendre qu'il arrive samedi prochain. Il sera avec moi huit jours, grâce, je n'aurai jamais été aussi heureux de le voir. Il faudrait que je me garde de l'argent pour retourner en visite à Londres la semaine d'après, ou deux semaines après. Car je ne crois plus que je me ferai des amis ici. Je viens de me rendre compte de ma chance cet été de pouvoir coucher avec tout ce beau monde, car maintenant tout est fini.

À un feu rouge, où il n'y avait aucune voiture, j'ai traversé la rue. Une toute petite rue, en trois secondes j'étais de l'autre côté. Soudainement, par un gros haut-parleur, une voix m'a soulevé de terre : « Le feu était rouge ! » Était-ce pour moi ? Soudainement un camion de police fait sonner ses terribles sirènes et se lance à ma poursuite. J'ai perdu patience, je leur ai crié en pleine face ma façon de penser, et pendant un instant j'ai cru qu'ils allaient m'embarquer. Je leur ai lancé qu'hier je me suis fait attaquer par trois jeunes qui m'ont volé 1700 francs belges, et qu'aujourd'hui je me fais arrêter par la police parce que je traverse la rue sur un feu rouge. Là ils se sont mis à paniquer, m'affirmant qu'ils n'étaient pas la police, mais bien la gendarmerie de Bruxelles. Quelle est la différence ? leur ai-je demandé. Et plutôt que de me répondre, il m'a dit que c'était bien différent.

Verlaine a beau avoir tiré une balle sur Rimbaud à quelques rues de mon hôtel Dolphy en face de la gare du midi, moi en Belgique je vis une misère terrible et solitaire. Je dois avouer que Stephen est venu passer huit jours ici et que ça a été très bien. On a visité Bruges (Brugge), Anvers (Antwerpen) et Liège. Définitivement, j'aime Stephen. Et ça devient de plus en plus problématique du fait que Sébastien m'a téléphoné aujourd'hui de Toronto. Or je prévois encore demeurer à Bruxelles pendant un bon mois, même si je suis pour en souffrir tout le calvaire du monde. Puis mes intentions sont un retour à Londres, pas à Toronto.

Il s'ennuie à Toronto le pauvre. Parfois j'ai peur de le perdre si je ne reviens pas très bientôt. Il risquera de rencontrer un autre amour important, qui sait. Mais il m'a tant fait souffert. Et j'ai vraiment peur de me retrouver avec lui à Toronto à m'emmerder. Surtout à m'ennuyer de Londres. Tant que j'aurai Londres, la vie sera viable. Je ne peux pas en dire autant de Toronto, avec un Sébastien qui risquera de sauter dans la rue pour rencontrer des copains on the rock. Me refusant affection pendant des semaines, voire même des mois. Je n'ai pas connu le même Londres avec et sans Sébastien. Je l'aime, mais je ne suis pas prêt à souffrir pour lui. D'autant plus que j'ai un Stephen tellement affectueux qui est prêt à me suivre en Nouvelle-Zélande.

Bon Dieu qu'il fait froid dans cette chambre d'hôtel. Mes doigts craquent sur l'ordinateur, ça devient grave en ce premier octobre. Je suis à quinze jours de mes 24 ans. Un anniversaire seul perdu dans les rues de Bruxelles.

 

 

carole cadotte <138194788@archambault.ca>