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Après tout ce que je viens de traverser, comme j'oublie vite l'enfer qui voilà encore cinq jours m'assaillait. Semblerait que rien ne s'est produit, mes conférences sont toutes en retard. Avant je pouvais me justifier, aujourd'hui je ne le fais plus. Et lorsque j'y suis obligé, les problèmes se règlent rapidement, car alors je me sens obligé de travailler. Communication est donc mon problème. Mais je déteste cette communication. Elle implique que je doive travailler plus fort, toujours avoir quelque chose à montrer, des comptes à rendre, des justifications. Je déteste me justifier, je déteste communiquer, je déteste travailler à produire des conférences ! Et pourtant, c'est ce que j'ai fait de mieux jusqu'à maintenant comme emploi. Encore que, traduire des nouvelles de radio et de télévision pour le gouvernement canadien m'a semblé assez intéressant lorsque j’étais à Ottawa, bien que misérable. Comme je regrettais mes cheveux longs qui m'empêchaient de travailler alors, il me fallait une casquette. Aujourd'hui j'admire cette attitude, comme si franchement il s'agissait là de mon dernier cri de désespoir. Le dernier signe de combat avant de m'éteindre complètement à tout jamais et de venir travailler dans ce bureau à Londres pour les quinze prochaines années.

Je comprends maintenant France qui arrivait avec ses cheveux rouges punks au bureau à Victoria, juste devant les jardins de la Reine. Et qui inventait des histoires à n’en plus finir afin de rendre la vie plus attrayante, car la vie est d'une platitude extravagante. Je crois qu'elle et moi nous nous ressemblions, tous d'eux nous voulions de l'attention en inventant les plus sordides histoires qui parcouraient les six étages chaque matin. Heureusement, où je travaille maintenant, bien que les rumeurs continuent de circuler, le tout ne franchit que deux étages. Et tout de même, cela prend des semaines avant que tous sachent ce qui se passe dans ma vie.

Mon Dieu, dans la dernière semaine j'ai été accusé d'incompétence et d'être tant en retard qu'ils allaient annuler ma dernière conférence. Et voilà qu'ils voulaient canceller également ma conférence à Prague à cause de nombre sans cesse très bas de délégués. Et la conférence d'avant, c'était la pire de toute l'année 1999. Et le pire de toute l'histoire est que je n'ai jamais arrêté de m'améliorer, sans cesse mes conférences sont meilleures que celles d'avant, et les conférenciers sont les plus élevés, les plus recherchés. Pourtant, parce que l'on me refile les pires sujets, les résultats en livres sterling vont en descendant alors que la qualité va en montant. Pourtant, cette qualité s'évanouit à travers l'échec. Pour une raison que je ne m'explique pas, la qualité ne paie pas. La merde attire l'argent, et je ne comprends pas cela, sinon que le bon peuple adore la merde. Nos pires conférences attirent 150 délégués chacune, mais je crois que seul le sujet fait la différence, et il faut avoir travaillé là longtemps pour finalement produire les sujets les plus courus. Alors, je m'imagine toute cette histoire à propos de la qualité, et dans le fond j'ignore de quoi je parle. Mais étrangement, j'ai tout de même ce sentiment que ce qui est jugé de qualité n'attire pas le monde. Alors la qualité à mon avis, c'est la facilité. Pourquoi se casser la tête à avoir 15 opérateurs de compagnies de téléphone alors que 15 manufacturiers attireront le reste des manufacturiers de l'industrie ? 15 opérateurs n'attirent point tant les délégués, sinon que l'argent des publicitaires, ça oui. Enfin, je pourrais m'asseoir ici à tenter de soulever le secret du succès des conférences, et justifier mes échecs lamentables, plutôt que de me concentrer sur les lois de la physique qui régissent l'univers, et c'est cela sans doute qui m'inquiète. Pourtant, j'irais peut-être perdre mon temps en physique et j'avoue qu'il s'agissait là d'une décision très difficile à prendre, retourner aux études pour prouver des théories qui ne font aucun sens, sans queue ni tête. Je suis fou, aucun doute. Tout le monde était contre cette idée, on ne saute pas de la littérature française à la physique, me disent-ils, pas à 27 ans, pas lorsque l'on a un emploi dans les conférences qui paie bien, pas lorsque l'on risque de demander de l'argent à sa famille et ses amis. Eh bien, je m'y aventure seul dans cette aventure, et si je crève de faim, ce sera une bonne chose, car ma diète est bien difficile à suivre.

 

 

carole cadotte <138194788@archambault.ca>