11
Hourra ! En ce vendredi matin assez déprimant sur Londres, alors que je n'ai ni dormi ni mangé de la semaine et que je suis dans un état lamentable, voilà que ma toute dernière paire de pantalons hier me semblait trop grande et que ce matin mes trois plus petites paires me vont mieux que jamais ! Même lorsque j'ai commencé à travailler voilà 9 mois, ces trois paires étaient trop petites... ce matin est une célébration ! Maigrir lorsque l'on est gros est une des choses les plus difficiles à accomplir. C'est tellement chiant et impossible qu'il faut presque un miracle pour nous convaincre qu'il est temps de prendre cela au sérieux. Pourtant, si l'on comprenait vraiment les conséquences, jamais nous ne deviendrions gros. Soudainement je suis tellement plus beau ! En plus, on me parle bien davantage, multipliant mes chances de déboucher quelque part plus rapidement. Je me sens bien mieux aussi, je puis monter les trois étages au travail sans même y repenser, je n'arrive pas à croire que j'en étais à prendre l'ascenseur. Malgré la grosse lasagne dégueulasse et les frites que j'ai mangées hier, parce qu'avec le nombre d'heures que j'ai dormi je pensais perdre connaissance si je ne mangeais pas, aujourd'hui je n'ai jamais été aussi mince que depuis mes premiers mois sur Cavendish Square voilà deux ans.
Bon, maintenant j'en reviens. Quel matin déprimant aujourd'hui à Londres. J'espère que James sera de bonne humeur et qu'il ne me chantera pas des bêtises. Je vais l'inviter à prendre un verre après le travail, je pense qu'il s'invente maintenant des raisons pour ne pas me voir en dehors du travail. Il évite de venir pour une demie-pinte sur l'heure du midi maintenant. Enfin, on verra.
Bon, comme je pensais, il a évité une rencontre en dehors du travail. Mais il a de bonnes raisons, il va à une conférence puis s'en va à Manchester ou whatever chez ses parents. Le cordon ombilical n'est pas encore coupé, il a ce besoin peut-être croissant de retourner au nid où sa mère le couve comme un œuf informe. Ce matin nous étions ensemble à l'entraînement du nouveau système email, et pour la première fois je l'avais très près de moi, je pouvais aussi le regarder de proche. Aucun doute, il est vraiment beau. Le voir nu serait déjà quelque chose d'impressionnant. Je pense qu'il doit en avoir une grosse, car il est grand et mince. Juste à imaginer qu'il prend plaisir à faire l'amour avec une femme et jouit comme un malade m'achève. Je crois qu'il tente de prendre ses distances, sans doute, comme d'habitude lorsque je me fais de nouveaux amis, je suis allé trop loin. Je l'ai aliéné. Mais ce n'est pas si grave. Je ne suis plus à l'âge de vouloir me faire des amis, au contraire, je suis tellement écœuré de tout que je veux juste la paix.
En plus, je n'ai plus aucune patience pour rien. Je snap très rapidement et j'envoie chier tout le monde. Redevenir beau à perdre du poids semble avoir un effet dévastateur sur moi, car maintenant j'ai une prétention supplémentaire à mon actif, je ne suis plus un gros laid que l'on ignore, j'ai droit à toute l'attention de tout le monde. Alors, je suis encore plus monstrueux que jamais. J'espère encore cependant que redevenir beau va avoir l'effet contraire et m'arrêter d'être constamment frustré. Cela me redonne goût à la vie et je vois enfin qu'il y autre chose que le travail, bien que je passe le clair de mon temps à travailler.
Je me tenais très près de lui, trop près de lui, mais il ne semblait pas embarrassé, ou prêt à me repousser. Je le regardais, il me regardait, nous nous regardions, et c'est bien. Sauf qu'à un moment donné il devenait un peu trop à l'aise et indécent et qu'il mimait fumer son stylo comme s'il humait un joint, et je me suis distancé, car dans la salle nous avions le directeur général des télécoms et le président directeur général de toute la compagnie. Nous n'étions que six dans cette salle et nous devions nous envoyer des emails et attendre les réponses de tous à une question prise au hasard. La question que j'ai posée était : devrions-nous prendre le reste de la journée off ? Question à laquelle je n'ai reçu que des réponses positives, sauf du directeur général des télécoms. Mais au moins, j'ai reçu une réponse positive du président-directeur général de la compagnie. Pourtant, je suis au travail cet après-midi. Je n'ai aucun respect pour l'autorité. Je m'en fous.
Christ de tabarnack de câlice d'esti ! Ce n'est pas tant que leur christ de système de métro est pourri à mort à Londres, non plus que pendant 30 minutes je me suis gelé le cul à Oxford Circus, mais plutôt que l'on m'a fermé cette stupide grille au visage et que pour cinq secondes de retard j'ai dû endurer 30 minutes de froid et d'attente ! J'ai envie de tous les tuer ! Ça termine une crisse de semaine d'enfer pourrie au maximum, preuve que la vie fait vraiment chier.
Enfin, ils ont rouvert les portes, j'ai manqué le train par quatre minutes et j'ai pris le premier train direct pour Richmond une minute plus tard. Souvent lorsque je suis coincé ainsi, je fais autrement que de rentrer directement chez moi. Comme s'il s'agissait d'un signe qui m'indiquerait que la destinée m'appelle et que je ne doive pas rentrer à la maison immédiatement. Sait-on jamais, je rencontrerais peut-être l'amour de ma vie, encore plus beau que James, et qui demeurerait tout près de chez moi. Bien que parfois je pense également que la destinée n'a rien à voir avec ça et qu'essentiellement je ne fais que profiter de l'occasion pour dériver encore plus, une fois que l'on m'a lancé hors voie. C'est une bonne chose, car alors il m'arrive des événements inconnus, des choses distrayantes et il s'agit là d'une motivation à exister. Mais voilà, à Richmond je me suis aventuré au pub gai, mais ils ont pris plus de trois minutes pour me servir, j'ai eu le temps de me rendre compte que le beau monde avait l'air un peu trop prétentieux et je suis parti.
Tous les magasins venaient juste de fermer, comme d'habitude. Je me demande bien comment ils espèrent vendre quoi que ce soit alors qu'ils ne sont ouverts que lorsque l'on travaille. Enfin, j'ai repris ce bus piteux entre Richmond et Hounslow, je retourne à Isleworth, et rien ne s'est produit. Rien de distrayant ou motivant. Au contraire, je n'ai fait que perdre un temps fou et m'épuiser dans les trains et autobus. Alors question destinée, à quoi aurait-il donc servi que l'on me bloque l'entrée à Oxford Circus et que cela me prenne deux heures pour retourner à la maison ? À rien. La vie fait vraiment chier...
Stephen, mon copain, a encore passé un week-end infernal parce qu'il avait une entrevue ce matin avec une compagnie qui fait partie du groupe de sa maison mère. Le stress l'a presque mangé vivant. Plusieurs fois il a tenté de commencer des crises, heureusement il s'est calmé rapidement chaque fois. Il n'a pas dormi cette nuit. Il ne se doute pas que si je suis au régime c'est que j'ai bien l'intention de faire du changement. Je veux être avec quelqu'un que j'aime, dont je ressente quelque chose lorsque je pose ma tête sur sa poitrine. C'est lui maintenant qui vient à moi pour le sexe, une fois par semaine, car moi-même y ait perdu tout intérêt. Une transition ne sera pas facile.
Quant à mon avenir en Angleterre, il était une sûreté, cela fait cinq ans que nous sommes ensemble et les lois auront eu le temps de changer d'ici deux ans. Sans doute il serait facile de demeurer au pays en disant que nous sommes un couple. Mais cela ne sont pas des raisons suffisantes pour ne pas être avec la bonne personne. S’il me faut partir, je partirai. Même si c'est en plein milieu de mes études. J'irai les terminer au Canada. Mais il serait difficile d'emporter mon nouveau copain avec moi, David qui retourne au Canada en fait l'expérience avec son Enrico. Comme David dit : Canada, l'État totalitaire, quand on en vient à parler immigration. Les amours internationaux, chez les gais, sont des amours impossibles.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>