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Christ que j'en ai ma claque. Une journée de plus et j'exploserai, c'est certain. En ce moment il me faut toute la volonté du monde pour ne pas sauter au visage du premier étranger venu et lui démolir la face. Je suis tellement rempli de rage que je pourrais facilement tuer quelqu'un. Comment un crétin qui revient de 6 jours de vacances en ski vient me faire chier comme ce n’est pas possible. Christ, pourtant je travaille du 16 heures par jour depuis deux semaines, je continue de m'enfoncer, il m'accuse d'incompétence, me prend à défaut sans cesse, je lui ai lancé bêtement que je devais partir, j'allais manquer mon train. Si demain il m'attaque encore, je vais lui annoncer que c'est terminé, je quitte la compagnie dans un mois. Et j'ajouterai que pendant le prochain mois il va me ficher la paix ou je ne reviens plus du tout. Je ne me ferai pas marcher dessus comme ça... J'aimerais pouvoir oublier ma journée, la semaine, ma vie, car franchement cela n'en vaut pas la peine.
Je suis à Syon Lane, j'ai décidé de prendre moi-même les décisions, il ne me semble pas que le tout me tombera du ciel. Trop longtemps j'ai attendu après le ciel et si parfois une seule petite chose insignifiante et passionnante survient, c'est probablement par erreur. Je m'en vais passer à l'action malgré Stephen qui vient de perdre son emploi. Malgré que j'avais tant besoin d'argent pour survivre l'an prochain à l'université de Londres, et une sécurité jusque-là. Malgré tout, je n'en peux plus. Je m'en vais me garantir les finances et leur annoncer ensuite que je quitte dans un mois. Je crois qu'ils seront heureux, je pense que c'est ce qu'ils veulent de toute manière.
Je m'en vais faire la demande de deux cartes de crédit de plus et je vais me sécuriser un prêt à la Banque Royale de l'Écosse, ma banque à Londres. Et je vais m'inscrire à ces agences et prendre des emplois temporaires un peu partout. Aussi, il me faut développer ces contacts avec ces agences maintenant, ainsi elles pourront me faire confiance et me respecter même si je ne pourrai plus tellement travailler en septembre. Ainsi, je pourrai avoir du temps libre si je le souhaite... l'argent de toute manière est inutile, je la dépense entièrement en trois jours. Je me sens déjà mieux depuis que j'ai pris certaines décisions. Maintenant je dois mettre en action ce prêt. Le plus tôt possible. Je vais téléphoner ce midi. Disons que je souhaite £ 6000, empruntées sur une longue période. Cela règlerait bien des problèmes.
Je vois que je suis au bord de la dépression. Je n'ai plus aucune patience. Si une seule personne a le malheur de me dire quoi que ce soit aujourd'hui, je vais exploser, c'est certain. Je ne me ferai plus marcher sur les pieds, c'est terminé. Mon seul regret est que je ne pourrai jamais le frapper, lui, la cause de mon malheur, ce directeur.
Je viens de faire les démarches pour un prêt de £ 7500, afin de garantir ma sécurité pour cette année et l'an prochain. Je viens de radoter une série de mensonges à ma banque afin de recevoir cet argent, et après sans doute je serai plus libre. Et je pourrai agir.
Je suis maintenant au Ryan's Bar au 52 Wells Street, j'attends que James arrive, il est encore coincé au Jamies où tout le bureau est en ce moment. Moi je suis parti très tôt, c'est plus prudent. Si je bois trop je commence à faire des folies et je me suis rendu compte dernièrement que je n'ai même plus besoin de faire de folies, les autres se chargent d'en inventer et de les porter à mon compte. Ce damné Antonio qui n'en finit plus d'en inventer sur mon cas... je me demande bien pourquoi. Encore quelqu'un qui manque d'originalité et qui a besoin de l'originalité même inventée d'un autre afin de paraître dire quelque chose d'intéressant. Déjà qu'il ne lui suffisait pas d'emmener tous les jeunes à l'Atlantic Bar, il se devait de leur prouver qu'il pouvait se payer le luxe, parce que lui a tellement reçu de bonus. Il n'arrête point de répéter que sa dernière conférence va lui remporter Tching Tching, ce qui signifie le bruit d'une machine à sou.... au moins £ 20,000... alors oui, l'enfant s'amuse à impressionner les femmes et cela fonctionne, lui il a l'argent. Et tous les jeunes devront avoir travaillé là pendant plus d'un an avant de produire ces grosses conférences. Pourtant, il a le même titre que nous et j'ai quatre ans d'expérience de plus que lui.
James vient de me téléphoner, il ne vient plus me rejoindre au Ryan's, il est coincé au Jamies... très dangereux qu'il boive trop et qu'il parle trop, et surtout à mon sujet. Ce qui est bien inquiétant, car je lui ai tout raconté, que je n'en pouvais plus et que je préparais ma sortie. Un DJ fera la musique dans quelques minutes, c'est le moment où je partirai.
De toute manière, mon copain Stephen est en crise, encore trop de choses se sont produites dans sa vie aujourd'hui. Pour quelqu'un qui a travaillé dix ans au même endroit sans trop d'histoire, en une stabilité presque absolue depuis 5 ans, chaque jour une planète lui tombe sur la tête. Et il veut me raconter tout ça tout à l'heure. Cela me donne envie de ne pas rentrer, aller partout ailleurs plutôt. Déjà que je n'en pouvais plus de le voir en train de mourir sur le sofa tous les soirs, il dort toute la soirée sur le divan, il dit qu'il récupère d'avoir arrêté ses drogues. Tabarnack, ça fait deux ans qu'il récupère d'avoir arrêté. Le con récupère sans cesse parce qu'il arrête puis recommence sans cesse. Une fois il m'a dit que cela pouvait prendre six mois avant qu'il redevienne normal. La semaine dernière il m'a dit au moins un mois, ainsi donc voilà un mois il en prenait encore. Et sans doute ces planètes qui lui tombent sur la tête au travail, le dirigeront directement encore là-dedans, ses drogues. Alors, il n'existe point d'espoir, et moi-même il me faut faire un ménage complet dans ma vie. J'ai bien choisi, vivre avec un malade qui a un problème d'héroïne.
Encore six minutes et je pars... je retourne à Isleworth... à reculons. Mon Dieu, aujourd'hui le directeur est venu près de moi, je croyais qu'il allait me parler, la panique s'est emparée de moi, une véritable panique. Le gars m'a complètement traumatisé. Je croyais que j'allais m'évanouir, alors même qu'il n'était pas venu me parler. Je crois que cela démontre l'étendue de mon calvaire, de son pouvoir sur moi, et ce désir de me libérer de cette emprise. Personne n'a le droit d'avoir un tel impact sur ma personne, car alors il vaut mieux mourir. Et certes, j'ai bien d'autres choses à vivre ailleurs.
Je suis dans l'Underground. J'ai retéléphoné James dans l'autre pub, il semble incapable de sortir. L'argument principal étant que l'alcool est gratuit et qu'il n'a pas d'argent. Merveilleux, et c'est justement la raison pour laquelle il faut partir, parce que l'alcool est gratuit. Sans doute il paiera cette stupidité, demain il me racontera les pires histoires, ce qu'il a fait et qu'il n'aurait point dû faire, et moi je m'en fous. Ce n'est pas vrai, mais j'en ai assez de tenter de sauver l'univers alors que je ne pense qu'à me suicider. Je devrais penser à moi d'abord, mais cela est bien difficile. Et demain le con veut aller prendre un verre, alors que je lui ai déjà dit que je ne pouvais pas. C'est con un homme, comme c'est pas possible. Qu'il s'étouffe dans sa bière et je lui souhaite bonne chance au travail. Moi je serai déjà loin.
Je ne sais plus quoi faire pour faire passer le temps, je suis dans le train à Waterloo et je m'ennuie, je souhaite être à la maison. Mais cela est bien stupide, que vais-je donc y faire ? Qu'est-ce qui m'attend là-bas ? Sinon que les histoires de Stephen et ma dépression. Car je regrette déjà ne pas être allé rejoindre James, mais trop souvent je me suis fait avoir : être avec les collègues et faire les plus grandes erreurs. Tout cela parce que je voulais n'en voir qu'un seul qui en plus n'en valait pas la peine, car jamais il ne sera intéressé en moi. Pourquoi il insiste autant pour que j'aille le rejoindre est un mystère pour moi, jamais je n'insisterais pour qu'une fille revienne à une soirée de bureau, je ne comprends pas.
Je viens de rentrer, j'ai écouté tous les problèmes de Stephen, et quand c'était finalement à mon tour de raconter la journée que j'ai eue, il n'a rien voulu entendre. Même qu'il me reprochait de vouloir quitter mon emploi. Il ne comprend pas, et je n'ai pas même la force de me justifier. C'est d'ailleurs devenu un grand problème, je ne justifie plus rien, je m'enferme dans ma bulle, je prends mes propres décisions, enfin je reprends le contrôle. Je n'ai pas eu la chance de lui dire que j'ai fait un prêt de £ 7500, je m'en fous. Le monde me fait chier comme c'est pas possible et j'en ai ma claque. Lui, c'est vraiment le temps que je m'en débarrasse. Mais le problème est qu'aussitôt que je pars d'ici, je dois payer un logement. Or, à Londres cela est impossible. Il me faudrait plutôt retourner au Canada, je ne pourrais tout simplement pas retourner aux études à Londres si je dois payer un loyer.
Je lui ai lancé ma bière par la tête et comme par hasard il frottait encore le téléviseur une demi-heure plus tard. Il voulait sans doute que je me sente coupable, puisque la bière s'est ramassée sur la télé, eh bien non. Je ne me sens pas coupable du tout. Au contraire, j'ai une rage en dedans de moi si grande que je pourrais détruire n'importe quoi sur le champ, et jamais je ne le regretterais. J'en ai assez de tout. Il est 21h08, comme hier je m'en vais me coucher si tôt.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>