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Je suis maintenant à Toronto. Mon dieu la chambre déprimante ! Jamais dans ma vie j'ai eu l'impression de me ramasser plus bas. Il est venu un temps où ce genre de situation m'aurait bien fait plaisir, lors de mon trip sur les romantiques, là où il faut mourir au bout de son œuvre. Ou encore, Edmond Rostand et sa préface où il est dit qu'il écrivait son premier chef-d'œuvre dans une petite chambre d'étudiant, le ventre creux. Mais moi je ne m'attendais pas à ça, je ne le désirais pas maintenant. C'est bien beau de courir après la misère, mais un jour il faut s'en sortir. D'autant plus que Sébastien m'a répété son discours aujourd'hui, je pourrais maintenant le lui répéter par cœur. Pourtant, ça ne rentre pas dans mon crâne, je ne puis concevoir qu'il me balaie ainsi de sa vie sans aucun regret.

Il a parlé avec sa sœur, je croyais qu'elle allait lui ouvrir les yeux à mon sujet : c'est un bon jeune homme, il ne te fera jamais rien de mal, il est ta stabilité, ça fait déjà quatre ans que vous êtes ensemble. Au lieu de ça, elle lui a dit ce qu'il voulait entendre : que je dois me brancher sur l'endroit où je veux vivre en enlevant le nom de Sébastien de l'équation, je dois trouver une stabilité et une indépendance, je dois savoir où je m’en vais. Pauvre elle ! Ne sais-tu pas où tu l'envoies ton frère ? Dans la jungle gaie infernale pleine de parasites et de maladies. La corruption, la drogue, l'infidélité généralisée, les psychopathes, etc. Peut-être rêve-t-elle en couleur ? Elle croit sans doute que ça existe le copain parfait à Toronto, beau, gentil, fidèle, riche, amoureux, affectueux, romantique, honnête ? Si ça existe, c'est déjà casé, et on ne les rencontre jamais.

Ma crise d'hier m'en a fait faire en grand. Les backrooms du Bijou, je les ai bien observées. En rentrant au Woody's, un beau jeune homme pas mal fucké m'a lancé : « Hi, cute little guy! » Ou quelque chose du genre. J'étais vraiment désinvolte. Je lui ai mis ma main sur la hanche, lui demandant une cigarette. Il m'a demandé si je partais, j'ai répondu par la positive. Alors, il m'a donné rendez-vous pour samedi ou dimanche au même endroit. Ce à quoi j'ai lancé : je serai là demain. Et puis je marche sur la rue. Une Saab passe, la fenêtre s'ouvre, un des deux gars m'a crié quelque chose comme quoi j'étais beau. Je lui ai fait un signe de la main. Ils ont arrêté, il a lancé son gant dehors, pour faire comme la femme qui jette son mouchoir. Mais un couple en avant de moi l'a ramassé avant moi. Peu importe, je suis arrivé à leur hauteur, il me dit de monter, ils vont me reconduire. Juste avant d'embarquer, il s'écrie que je suis French. Oups, me souvenant soudainement de la situation politique mouvementée, j'hésite à monter : « Do you have anything against French? » Il m'est venu à l'esprit que l'on pourrait bien me retrouver quelque part dans un ravin. Je ne désirais pas finir mes jours en première page de tous les journaux canadiens comme étant un Québécois mort crucifié à Toronto par des Anglo-saxons endurcis (car ils sont bien Anglo-saxons américanisés, j'aime bien). Mais après m'avoir dit que j'étais aussi canadien que lui, j'ai embarqué. Il m'a offert d'aller coucher chez lui. Non merci, je serai au Woody's ce soir.

J'ai donc deux personnes à rencontrer ce soir. James le premier, le deuxième, j'ai oublié son nom. James pourrait peut-être m'intéresser, mais je vais apprendre à le connaître avant. J'ai mal au ventre, je suis pourtant motivé à sortir. Moisir ici seul ce soir serait trop déprimant. Je devrais aller m'acheter de la bière, mais c'est trop compliqué dans l'État fasciste de l'Ontario. Premièrement, il faudrait que je trouve un Beer Store, or, où sont-ils ? Ensuite, il est 20h08, ils seront déjà fermés je crois. Puis comble de tout, ils refuseraient de m'en vendre même avec un passeport pour prouver mon âge. Il leur faut la carte d'identification délivrée par le gouvernement ontarien lui-même. Cette chambre me tue. Ma tante Charlotte en entrant ici, son sourire est disparu et son commentaire fut : « Cette couleur grise sur les murs, cet aspect triste, c'est vraiment déprimant. »

 

 

carole cadotte <138194788@archambault.ca>