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Bon, je me suis remis de mes émotions d'hier. 12 % d'alcool dans leur Pilsner, je crois que ça explique bien des choses. J'étais comme un peu devenu fou. Tout ce que j'ai vu hier à Prague existe à Londres et même à Toronto. Je me suis tout simplement retrouvé dans les deux pires clubs de la place. Et je suis mal tombé sur ce gros porc de la Suisse qui se paie des prostitués à long terme. Je me fous qu'il me dise que c'est partout la même chose en ce qui concerne les touristes, apparemment plusieurs viennent ici avec cette intention, mais j'ai aussi vu hier qu'entre eux les Tchèques sont bien normaux, comme on peut l'être au Canada. Comme d'habitude on traite les touristes différemment.

J'ai tellement de préjugés envers la République tchèque, j'ignore comment m'en débarrasser. Je les vois comme des arriérés et tout devient un prétexte pour prouver mon point de vue. Je suis entré chez McDonald's par exemple, et deux femmes achetaient un Big Mac et un coke. Et les frites, elles ? Dans ma tête je me disais qu'elles n'en avaient pas les moyens ! Mais quelle prétention j'ai ! Il me faudra plus d'une semaine et éviter les trappes à touristes avant de juger la République Tchèque.

Aujourd'hui je dirais que je ne vois pas vraiment de différence entre Prague et Paris, niveau de vie. Pourtant, je sais bien que ce n'est pas tout à fait la même chose, et aussi, je sais que ça n'a pas toujours été ainsi. Bien, je ferai quelques cafés aujourd'hui, mais je ne sortirai certes pas. Et je ne crois pas non plus que je coucherais avec qui que ce soit, l'idée que cela pourrait être de la prostitution me tue. (Et ce gros Suisse laid qui me répétait de toujours discuter prix avant ! Gros écœurant !) Bon, midi trente, c'est le temps d'aller visiter le château.

Belle visite, belle histoire, je savais bien qu'il y avait des influences françaises voilà longtemps, bien que ces traces aient été un peu effacées avec le temps. Je suis maintenant assis dans un café non gai, mais invitant, CocoLoco. Invitant parce que c'est grand, c'est vide et je suis complètement isolé. La femme est en train de me faire deux sandwiches toastés et j'ai une Pilsner à 12 %. Je dois être à l'aéroport demain matin à 8h et c'est parfait, je ne voudrais pas rester plus longtemps, c'est un peu triste lorsque l'on est seul. Et je suis mort, et encore malade. Leur métro est fait en Russie (les wagons). Détail. J'en suis maintenant à analyser où dans le monde ont été fabriqués les objets qui m'entourent. Très triste en effet.

C'est bien beau l'isolement, mais ça n'inspire pas beaucoup. Drôle comment un coup de poing dans le front m'inspire une dizaine de pages. Une mise à pied, au moins une quarantaine de pages. Et je suis encore à la recherche de quelques événements qui frappent et marquent tant qu'ils puissent inspirer au-delà d'une centaine de pages. C'est peut-être ce que j'ai écrit depuis Cannes jusqu'à Prague via New York, mais aussi je suis tombé amoureux entre-temps, et maintenant je ne crois pas retourner quelque part de sitôt. Et puis je suis bien heureux de demeurer à Londres. Vaut mieux que je travaille sur mes conférences, autrement je serai en retard et cela est inacceptable. Avant la fin de la semaine prochaine, il me faudra avoir écrit un nouveau programme et j'espère bien avoir déjà commencé à inviter les conférenciers.

Je suis devenu une véritable machine à produire des conférences. Et là j'ai atteint le summum. Je n'aurai pas le courage de sortir du monde des conférences si tout se stabilise, mais il le faudra. Et eux ont manqué leur chance de me mettre à la porte, car j'ai encore accompli un miracle en terminant cette conférence cette semaine. Est-ce que ce sera l'université qui me sauvera de cet enfer ? La physique ? Et les maths... je pense que je vais être malade ! Je m'en vais sortir au Kirmafa, quelque chose du genre, sur Kozi, et je me demande si cela changera quoi que ce soit, si je parlerai à qui que ce soit. Comme j'ignore la réponse à ces questions, j'ai décidé de quitter ma chambre et de continuer mon exploration de Prague. Eh bien, allons-y, et laissons cette bière trop forte...

Eh bien, le Firmana, c'était assez terrible. C'était un petit carré plein de monde et pas une seule place de libre. En refermant la porte, ils ont vu que j'ai vu le signe "Gay Prague Recommended" et je me suis rendu compte que je ne pourrais m'asseoir, alors je suis ressorti tout aussitôt sous leurs regards amusés. Ils ont dû croire que je ne savais pas où j'étais.

Dernière chance, je suis maintenant au pub appelé "Friends Prague" où ils se targuent d'être bien gentils, et je dois avouer qu'il est vrai qu'ils sont tous gentils. La place est belle en plus, et le monde, enfin, a l'air normal. Ce qui me laisse penser que très peu sont peut-être gais. Certes le couple dans le fond ne l'est pas. En entrant, j'ai transféré mon petit ordinateur portatif de poche, ils ont cru que c'était peut-être quelque chose de dangereux et ils étaient bien surpris de voir un tel ordinateur. Mais il faut comprendre que même à Londres ils ne l'ont pas encore. Or, ce qui m'a surpris, c'est leur connaissance de ce genre de gadgets, et leur connaissance du taux de change britannique. Finalement, ils ne sont pas plus arriérés que nulle part ailleurs. Et leur histoire, ce Charles 4, voilà 600 ans, tentait déjà de faire de la Tchécoslovaquie un centre impérial européen important, et a demeuré en France et en Italie pour planifier son royaume. Mmh, bien que ce soit assez gentil, et les gens ont l'air bien et normaux, ça rassemble bien trop à un restaurant ordinaire, personne n'osera me parler, et je serais bien déplacé de leur parler.

Je n'avais qu'une idée en tête aujourd'hui en visitant le château, je me demandais pourquoi ils ne nous foutaient pas toute cette visite éprouvante, où il faut marcher des kilomètres, sur un DVD. Alors, on pourrait faire la visite en virtuel. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, j'aime mieux la réalité virtuelle que la réalité. Aussi je me demandais si les photos que je prenais pouvaient être téléchargées sur un CD plutôt que sur papier, au Canada ils font cela depuis au moins 6 ans. Finalement, je me demandais si les holodeck de Star Trek pourraient être jamais inventés. Puis soudainement, dans toute ma sagesse, je me suis rendu compte qu'une fois que tout sera sur un ordinateur, tout digitalisé, qui dira quelle réalité est la vraie ? Et déjà je m'étais lancé dans un grand débat philosophique sur l'univers et la place de l'homme sur cette boulette dans l'espace lorsque... lorsque... justement j'ai perdu le fil de mes pensées.

Il est 22h00, je crois que je prendrai peut-être une deuxième bière et je partirai. C'est Céline Dion qui chante dans le bar, elle doit bien jouer dans le monde entier, elle doit être riche à craquer. Triste que son mari soit mort, mais elle en trouvera un autre. Je ne crois pas qu’elle n’ait jamais fait l'amour à un autre homme dans sa vie. Je me demande si elle pourra. Quand elle comprendra l'impact de ses nouvelles rencontres dans les médias, je me demande comment elle va réagir. (J'ai lu sur la couverture d'un magazine à Cannes que son mari était mort, mais David me disait que j'étais fou, qu'il vivait encore, alors je ne comprends plus.)

Mon Dieu que je suis capable de radoter. Aussi bien connecter l'ordinateur dans mon cerveau et laisser écrire tout ce que je pense. Ce serait peut-être la même chose. Je suppose que cela ne sera jamais d'aucun intérêt pour personne, m'entendre penser. Je pense que les quatre à côté de moi, qui semblaient si normaux, sont tous quatre sourds et genre muets. Seraient-ils gais par-dessus le marché ? J'en doute. À moins qu'il n'existe dans cette ville une organisation pour les gais, les sourds et les muets. Je crois qu'ils sont d'Allemagne. Celui avec la chemise bleue semble me regarder assez régulièrement, l'un d'eux doit être gai... mais qui sait. Il ne fera pas de mouvement... un seul est sourd et parle comme un métèque, et un autre a une petite machine amplificatrice. Les deux autres ont l'air normal. Semblent tous gais, ou l'un des sourds ne l'est pas. Ils s'en vont maintenant. C'est fini.

Il y a deux Tchèques en arrière, le premier m'a donné un coup d'œil tout à l'heure, mais je ne pouvais pas le regarder, je regardais l'autre. Maintenant que l'autre est parti, je pourrais le regarder, mais il regarde un autre, celui habillé en hôpital qui pourrait vaguement être un prostitué, car il est trop beau. Je vais l'ignorer, je ne me sens pas d'humeur à discuter les prix ce soir. Le bar est un peu trop international pour qu'il n'y ait pas de prostitués, du moins si je puis en croire mon Suisse d'hier. Apparemment tous les bars ont leur gigolo. Et celui-là semble avoir constaté que, dans tout le bar, je suis le seul qui est seul, il sait que je ne parle pas Czech et je ne me surprendrais donc que je sois une cible rêvée. Il semble qu'il soit l'employé du bar, je crois que l'on vient de lui donner un verre de vin rouge et un sac de croustilles gratuitement. Qui a dit que ma paranoïa ne fonctionnait pas bien ?

Hier je pense que les deux cons, maître et esclave, le Suisse et le Czech, croyaient que j'étais la nouvelle compétition, un nouveau prostitué, et je pense qu'ils étaient la pour en ramasser un de plus à la fin de la dure semaine de travail de notre ami. Et lorsque j'ai sorti mon ordinateur portatif, ils se sont mis à rire aux éclats et tout de suite sont venus me parler. Je venais de leur montrer que je n'étais pas un prostitué. Ils ont dit que cela était plutôt rare ici de voir quelqu'un sortir un ordinateur miniature et de commencer à écrire un livre. Eh bien, ce sera courant dans trois ans, deux si vous êtes chanceux, 2000 ans si le communisme refait surface.

En tout cas, mon gigolo tout habillé de blanc a la grippe, il a un sac de kleenex en face de lui. Des papiers mouchoirs si vous aimez mieux. Mais quelqu'un va-t-il me parler ? Le seul qui semble vouloir, c'est ce prostitué. Je ne pense plus que je sois si beau que les plus beaux cèdent sous mon charme. Peut-être que je suis laid maintenant et je ne m'en suis même pas rendu compte. Cette stupide bière à 12 %, tu ne t'en rends pas compte, et soudainement, ça tourne et tu ne veux que dormir. Je lutte pour ne pas m'endormir, c'est ma troisième. Trois pintes à 12 % n'offre pas le même effet que douze pintes a 4 %. Jamais je n'aurais pu boire douze pintes, ainsi je suis complètement saoul bien avant. En ce moment, trois pintes à 12 % ne provoquent qu'un effet. Je n'ai pas le temps d'être saoul avant de tomber de ma chaise endormi sur le plancher. Et ça cogne fort.

Mon prostitué est parti. J'espère que je ne me trompe pas, car si je me trompe, je viens de perdre là quelque chose de très beau. Et le pire est que je n'ose plus regarder les beaux car ils sont peut-être prostitués, et je n'ose plus regarder les vieux laids, de peur qu'ils croient que je suis un prostitué. Je ne voudrais pas commencer à discuter combien je coûte avec des Allemands. Encore que cette idée est plus intéressante et moins scandalisant que de me voir moi payer pour la chose. Somme toute, je coucherais avec n'importe qui par plaisir, s'ils veulent me payer en plus, pourquoi pas ? Je blague bien sûr, je ne pourrais jamais accepter de l'argent.

Wow, j'ai un très grand super beau qui vient de s'asseoir à côté de moi, mais il me tourne le dos. J'ai toujours eu un faible pour les très grands qui pourraient me squeezer dans leurs bras. J'ai eu des très grands dans ma vie, mais toujours très minces. Ils doivent être grands, hors proportions, et en Tchécoslovaquie, pardon, en République Tchèque, ils ne doivent être pas Allemands, ou Czech, et ne pas être prostitués. Aucun des cinq ne me parlera. J'achève ma deuxième pinte. Je me tiens à peine debout. Je vais partir dans moins de cinq minutes. Probablement mieux ainsi, il est 23h07, heure de Prague. Il est 22h07 à Londres et 17h07 au Québec. Le temps est relatif, c'est bien connu. Triste, ils avaient l'air d'être des gais normaux. Sans personnalité peut-être, mais je les aime mieux ainsi.

Je suis à la station de métro Staromestska, je prends le métro illégalement, je n'ai pas acheté de billet. Mon excuse sera que je parle français, vaguement l'anglais, et pas le Czech. Et franchement, ma vraie excuse n'est pas que je refuse de leur donner 10 pennies pour me rendre à l'hôtel, c'est que je ne comprenais rien de ce qui était écrit sur les distributrices. Bonne excuse... au moins, je sauverai la face avec une telle histoire s'ils me surprennent. Ils sont très beaux les Tchèques, triste que je n'en aurai pas tenu un dans mes bras. Ce n'est pas que je n'aurai pas essayé.

 

 

carole cadotte <138194788@archambault.ca>