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Hostie de câlice de christ de tabarnack ! Je n'ai bu que deux pintes de bière et déjà je suis en maudit, prêt à tuer tout le monde et à me tirer une balle dans la tête par la même occasion. J'ai écrasé le pied d'un vieux christ dans le train, il s'est mis à paniquer et voilà que je suis enragé également. Ce que je me retiens de lui lancer par la tête : « Ma journée a été infernale, ma vie est un enfer, et je me fous de toi et de tes caprices. Si tu cherches la bagarre, je vais te sacrer un coup de poing parce que je n'en ai plus rien à foutre, de toi, de moi, de ma vie ! »

Je suis écœuré de tout, je n'ai plus la chance de respirer, et de retourner en physique ne me semble pas une solution ce soir, au contraire, c'est une excuse pour lâcher un bon emploi. Or, je vais m'emmerder tout autant dans cette excuse. J'ai besoin d'une autre solution, une solution qui m'isolera de tout le monde, peu importe s'il me faut continuer à travailler comme un déchaîné. Je veux juste ne plus rien avoir à faire avec autrui. C'est là mon seul idéal de vie à atteindre, ne plus avoir à faire avec personne.

Je viens de passer la soirée la plus ennuyante depuis très longtemps. Non pas que Sheila était ennuyante, mais que Tony l'était. Que j'aie pu avoir les mêmes soirées une à deux fois par semaine depuis deux ans après mes cours de maîtrise en français à l'Université de Londres me surprend, mais alors j'étais saoul et ce soir je ne l'étais pas. Alors quand Tony s'est mis à parler de son discours de Baudrillard et de la modernité, et que nous étions tous des matérialistes victimes des grandes corporations et bladibla, j'ai explosé et je lui ai dit que c'était a whole lot of bollocks et que c'était shit. Je crois que je l'ai traumatisé complètement, mais christ, qui donc en l'an 2000 est encore coincé sur le Marxisme et les années 70 ? Bon Dieu, ça m'a donné envie de prendre un fusil et de l'exterminer.

Je n'ai plus aucune patience pour rien et j'aimerais tant m'isoler loin du peuple. Mais voilà, comment faire ? Si je ne réussis pas cela bientôt, je crois qu'ils vont devoir m'enfermer. Tout le monde me déteste et je me sens mal dans ma peau, et je travaille trop pour rien alors que me reste-t-il ? L'isolement ou le suicide. Je serai de retour à minuit passé, demain sera encore une journée infernale où je dormirai debout. Pas étonnant que je n'aie plus de patience. Et je suis tellement en manque de sexe, je coucherais avec n'importe quoi. Pourtant, j'avais la chance à l'instant d'aller dans Russell Park, mais je n'y suis pas allé. Je suis content de ne pas y être allé, mais je suis en manque.

Quelque chose devra bientôt survenir dans ma vie, car à l'heure actuelle elle ne va nulle part. Je dois laisser mon emploi dans trois mois, et leur annoncer cela dans deux mois. Je crois que je vais leur annoncer le mois prochain et terminer toute cette merde à la fin juillet. Il me resterait deux mois pour réviser mes maths et ma physique avant de commencer. Un mois ne sera peut-être pas suffisant et un mois de plus à venir à Londres tous les jours pourrait me coûter la liberté, car j'en tuerais bien quelques-uns.

Une journée avant l'été, tu aurais cru que quelque chose d'intéressant allait se produire, mais non, à part la chaleur insoutenable qui fait perdre connaissance à bien des passagers dans les trains de Londres, rien ne survient. Demain une conférence, Corporate Access to Mobile Intranet. Le nom seul me fait vomir, et j'ai moins de 60 délégués. Rien d'épatant ne surviendra. Et le pire est que si un génie sortait de sa bouteille et me demandait ce que je voudrais qui se passe, je ne crois pas que je saurais quoi répondre. Peut-être que la vie manque de piquant, de surprises agréables, ce genre de chose. L'imprévu, le changement de la routine.

Hier j'ai enfin élaboré une idée scientifique à poursuivre, mais c'est trop vague, je suis trop ignorant, et les moyens pour prouver mes choses sont plutôt maigres. J'aurais besoin de penser davantage, mais voilà, je ne pense que dans le train qui m'emporte au travail, car je déprime tellement qu'il me faut une évasion. Et je découvrirais une nouvelle équation révolutionnaire comme E=mc2 que cela ne me rendrait pas plus heureux.

Aujourd'hui c'est la fête du Québec et je suis dans un bar de Richmond pour fêter ça, ou plutôt fêter la fin de ce qui pourrait être ma dernière conférence. En effet, je ne serai peut-être pas à Paris pour ma conférence de septembre prochain. Stephen travaille ce soir et il revient tard. Les deux prochains jours également. Je devrai travailler sur ma conférence de toute manière, toute la nuit.

 

 

carole cadotte <138194788@archambault.ca>