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J'en ai appris davantage aujourd'hui sur les dessous de la compagnie. Non seulement celui qui est en charge de la compagnie est gai, mais en plus tous les anciens employés l'étaient. Environ une douzaine. Le seul qui ne l'était pas est parti, il était homophobe, et il est la raison du pourquoi j'ai cet emploi. En effet, il était trop négatif, il passait des commentaires anti-gais devant les employés gais et il ne s'entendait pas avec la fille que je remplace, voilà pourquoi elle est partie. Aujourd'hui ma directrice me racontait l'histoire de la compagnie et tous les gais qui y travaillaient, et comme je ne peux pas lui dire que je suis gai sans confirmer que je suis au pays illégalement, je réagis toujours bizarrement lorsqu'elle me raconte ses histoires. Si bien qu'elle a cru que j'étais homophobe et elle m'a sermonné pendant 20 minutes à propos de l'autre homophobe, et que si j'avais un problème avec ça, elle allait me mettre dehors. N'est-ce pas ironique.

Comment j'ai pu lui paraître homophobe en tentant de lui cacher mon homosexualité me dépasse complètement. Je pense que je lui parle trop et on ne travaille pas trop fort. Je crois qu'elle va commencer à me le reprocher. Ce genre d'attitude est acceptable entre employés de bureau qui n'en ont rien à foutre des résultats des conférences, d'autant plus que je ne tire aucun profit peu importe s'ils font une fortune ou rien. Mais avec la femme du patron qui possède également un pourcentage de la conférence, cela ne se fait pas.

Je pense aussi que sans son mari la compagnie s'écraserait en un rien de temps, car il est bien trop responsable de tout. Or, s'il se tue dans un accident de moto (il n'a qu'un permis de moto et il stationne sa moto dans le stationnement où je vais mettre ma voiture), elle sera très mal prise. Comme il a de grandes chances d’avoir un accident, c'est une possibilité qu'il faut garder à l'esprit.

De toute manière, sans lui tout irait mieux. Je m'entends très bien avec sa femme, et je serais bien plus ouvert avec elle si c'était elle qui prenait les décisions. Elle me semble bien compréhensive et prête à aider, mais pas son mari. Lui, seule la logique compte. Son argent et son succès. Et le pire de toute cette histoire est que je n'ai pas l'impression qu'il est si social, pourtant il est dans l'emploi où le social est primordial. Je me demande parfois si sa femme, ce n'est pas juste une question d'image. Elle prend sa voiture, il prend sa moto, alors même qu'il ne me semble pas du genre à rouler en moto ou style aventureux. En plus, ils sont bien séparés au bureau, ils travaillent dans des bureaux différents et ne se voient pratiquement jamais. Ils communiquent par téléphone alors qu'ils sont dans des bureaux collés l'un sur l'autre.

Je me demande bien ce qu'il pense des amis gais de sa femme. Peut-être que sa tête est tellement dans les affaires et sa compagnie qu'il ne s'est jamais rendu compte que tous les jeunes que sa femme engageait étaient des petits efféminés mignons attentionnés qui aiment Barbra Streisand. Bien que je n'aie pas l'air gai, elle s'est encore arrangée pour en engager un autre. Et les pauvres, ils ignorent encore ce que je vais leur demander au bout de mes huit mois, c'est-à-dire de continuer à travailler pour eux dans un autre pays ou leur demander de me procurer un visa de travail. Mais je n'ai aucun doute que la destinée m'a conduit dans cette compagnie, c'est trop parfait comme situation, ça crève les yeux. Je n'aurais pu mieux tomber.

La personne la plus fascinante de la compagnie est la vieille Allemande. Elle se plaît à nous considérer comme de la famille et non des employés, et je comprends bien pourquoi, seule la famille peut ainsi être exploitée à outrance sous des prétextes bien mesquins de survie de la famille, obligations morales, etc. Voilà bien pourquoi tous les petits gais qu'elle a embauchés ont tous joué son jeu et ont sans doute travaillé double temps pour des salaires misérables, sans compter que, d'après ce que j'ai pu comprendre, souvent leurs partenaires aidaient également. Sinon, comment pourrait-elle ainsi me parler autant des partenaires de ses employés comme si elle les connaissait si bien ?

Ah malheur, dans quoi ai-je embarqué ? Elle n'en finit plus de me dire de ne pas faire ceci ou cela, et elle m'annonce qu'elle aura une copie des règlements pour moi très bientôt. J'en suis à souhaiter que quelque chose d'effrayant se produise dans sa vie ou dans la compagnie pour qu'ils reviennent tous sur terre et oublient leurs petites idées de contrôler chaque minute de notre existence. C'est simple, nous sommes tous les deux seuls dans ce bureau et pourtant elle ne m'a jamais laissé seul plus de dix minutes. Même lorsqu'elle va acheter un sandwich, ce qui me laisse penser qu'elle doit courir comme une folle. De quoi a-t-elle peur ? Que je vole leur base de données de 11,000 noms ? J'ai déjà une base de données 50 fois plus grande, amassée chez tous leurs compétiteurs pour lesquels j'ai travaillé. Je pensais leur donner en cadeau, mais plus maintenant. Ces employeurs ne le méritent pas.

Hier je me suis couché à 4 heures du matin parce qu'un producteur de télévision de Los Angeles me demandait si mes idées sur la physique permettaient de voyager dans le temps et comment on pourrait renouveler le sujet. Or, si j'annonce ça à la proprio aujourd'hui, je pense qu'elle me mettra à la porte sous prétexte que je suis tant fatigué qu'il m'est impossible de me concentrer sur mon travail fastidieux et répétitif d'entrée de données dans l'ordinateur. Et elle aurait raison. Je ne ferai pas grand-chose aujourd'hui à part boire du café et courir bâiller aux toilettes.

Heureusement que ce soir sa petite soirée-surprise au pétrole de briquet est remise à la semaine prochaine, car sans avoir d'urgence, sans être dans le jus (ce qui arrive 13 fois par année chaque fois qu'une conférence survient), elle se serait déjà organisée pour me garder deux soirs sur cinq jusqu'à très tard le soir. Qu'est-ce que ça sera lorsqu'une conférence se produira ? Du 80 heures par semaine ? Je n'ai aucune misère à le croire.

Moi qui déteste l'autorité, avoir ton patron et sa femme qui est ma VP surveiller tout ce que je fais et dis n'est pas facile. D'autant plus que je viens de commencer et j'ai peur de leur laisser une mauvaise impression. J'aime bien Dana, elle est un peu folle, au sens des femmes qui, comme elle dit, ont besoin d'un niveau élevé de maintenance. Le mari est beaucoup plus pratique, ne perd pas de temps, va droit au but.

George lui est parti avant nous, c'est moi qui l'ai reconduit à l'aéroport pour qu'il puisse aller retrouver nos boîtes coincées aux douanes de la Hongrie. Il a fallu leur donner 500 livres aux douaniers pour qu'ils nous laissent passer. La Hongrie semble fonctionner à coup de pots de vins et je ne comprends pas pourquoi un pays peut tolérer ça. Il me semble qu'ils envoient un message très clair au monde entier qui est : ne faites pas d'affaires chez nous, n'investissez pas en Hongrie, car nous allons vous compliquer la vie, vous empêcher de faire des affaires et d'emporter au pays ce dont vous aurez besoin, et nous ne fonctionnons qu'à l'humeur et au montant d'argent que vous nous donnez en dessous de la table. Eh bien, je transmets le message ici, ne faites pas d’affaires avec la Hongrie.

Nous avons presque fait un accident lorsque j’ai conduit George à l'aéroport de Gatwick, il avait oublié son passeport chez lui et nous avions moins de 2 heures pour l'emporter à l'avion. En arrivant à Gatwick nous nous sommes rendu compte qu'il fallait plutôt aller à Heathrow ! Nous avons donc roulé à 80 milles à l'heure jusqu'à l'autre aéroport et voilà, il a attrapé son avion à cinq minutes près et nous avons sauvé la conférence. Donc je me sens déjà mieux.

Il n'a pas arrêté de se lamenter sur le comment ma Renault 5, ma nouvelle voiture que j'ai payé £ 250 la semaine dernière, est de la bullshit. Lui il a deux Rovers et une qui était à l'origine une auto de course. Rover est la seule marque automobile britannique et la moins bien classée sur tous les marchés à tous les niveaux. Qu'y vienne pas m'faire chier, le gros câlice. Moi qui étais si fier de ma petite Renault, depuis que ma christ de Volvo m'a laissé tomber la semaine dernière. En plus je l'ai laissé conduire parce qu'il était trop fatigant, il me disait sans cesse de passer sur les rouges ou d'utiliser les voies d'autobus et de dépasser le monde, alors je l'ai laissé conduire et il a failli nous tuer. Il n'avait pas vu la grosse BMW gigantesque sur la M25. Enfin, heureusement nous avons sauvé la conférence.

George n'avait pas tellement l'air content du comment les employés sont traités à la compagnie, mais comme je n'ai pas encore vraiment goûté à ce qu'il y a de négatif et qu'il n'a pas voulu m'en dire plus, j'ignore encore à quoi m'attendre.

L'autre avec qui je voyage est une Française de Nord-est de la France qui parle très bien l'allemand et qui est d'une gentillesse et d'une personnalité hors de l’ordinaire. Elle sourit tout le temps, travaille comme dix et est toujours prête à t'aider. Comme si, pour compenser les manques chez certains qui ne se comprennent plus et qui par conséquent rendent notre vie insupportable, il fallait d'autres qui se sacrifient pour tout et chacun avec un sourire immanent en plus.

L'autre vient de l'Irlande du Nord, et bien qu'il soit très laid dans sa grandeur et sa minceur et face irlandaise bizarre, je n'ai jamais vu plus beau et plus excitant. Il ne semble pas intelligent, pourtant il l'est. J'aurais tant aimé partager ma chambre avec lui plutôt qu'avec le directeur général qui pue de la bouche et qui a un corps qui dégage une senteur nauséabonde, en plus il ronfle. Mais on ne peut pas tout avoir. Ryan, mon cœur bat juste à le voir, cela fait très longtemps que je n'avais pas éprouvé quelque chose d'aussi intense. Mon seul problème, il a une blonde.... un détail. Voilà, l'amour de ma vie est hétéro, il sort avec une fille d'Afrique et je n'ai aucune chance.

 

 

carole cadotte <138194788@archambault.ca>