Cet après-midi j’ai gardé Buddy, Liz et Maud Barrett. Quelle corrida ! Je ne sais pas comment tu t’y prends, Carla : ils ont été odieux ! J’espère qu’ils sont plus sages avec toi.
À propos, j’ai reçu un drôle d’appel, aujourd’hui. C’était M. Barrett qui voulait savoir où était Buddy, mais je ne lui ai donné aucun renseignement. Quand j’ai parlé de ce coup de téléphone à Mme Barrett, elle est devenue toute rouge. D’après elle, son mari n’aurait pas dû appeler alors qu’il savait très bien qu’elle n’était pas là. Que veut-il vraiment ? Je crois que nous devrions nous méfier des coups de fil de M. Barrett.
En rentrant de son baby-sitting, Mary Anne m’a aussitôt appelée. Elle était dans tous ses états.
– Carla, comment peux-tu garder ces gamins aussi souvent ?
– Que veux-tu dire ?
– Ce sont de vrais monstres !
– Mais tu les avais déjà gardés.
– Oui, mais ils n’avaient jamais été aussi pénibles !
– C’est peut-être le temps.
Il pleuvait depuis trois jours.
– Peut-être. Mais avec toi, ça a l’air de marcher.
– C’est vrai, ils m’aiment bien.
Buddy passait de plus en plus souvent à la maison, et depuis que Liz avait appris à se servir du téléphone, elle m’appelait fréquemment, même si elle n’avait pas grand-chose à dire.
– Qu’est-ce qu’ils t’ont fait comme malheur ?
Mary Anne m’a raconté son après-midi. Buddy l’avait accueillie en braquant son pistolet laser sur elle.
– Tchac ! Bzzz, t’es morte !
– Mais je suis de nouveau vivante. Je viens vous garder, toi et tes sœurs. Laisse-moi entrer, petit Martien.
– Je ne suis pas un Martien, je suis un cow-boy de Vénus, a-t-il rectifié en pointant de nouveau son arme sur Mary Anne, puis sur Fred.
Puis il a lâché le pistolet et fait le signe du bzzz à Liz, qui s’est mise à hurler. Maud, assise sur sa chaise haute dans la cuisine, l’a imitée. (C’était contagieux !)
– Bonjour, Mary Anne, a lancé Mme Barrett en dévalant l’escalier.
Sans tenir compte des pleurs et des cris, et sans même donner d’instruction, elle s’est engouffrée dans sa voiture, prenant à peine le temps de crier en démarrant :
– N’oubliez pas que Maud est allergique au chocolat !
– Formidable, a marmonné Mary Anne en refermant la porte.
Pour calmer les enfants, elle a envoyé Buddy promener Fred. Avant de sortir, il lui a demandé s’il pouvait mettre ses palmes. Elle a répondu oui, espérant que la promenade durerait plus longtemps.
Ensuite elle a donné un biscuit à Liz et l’a installée devant la télé pour pouvoir s’occuper tranquillement de Maud.
– Viens, ma puce, on va d’abord faire une petite toilette, changer ta couche et t’habiller.
– Non-non, a balbutié Maud.
– Si, si, a dit Mary Anne.
Quand elle a eu fini, elle l’a amenée devant un miroir.
– Regarde comme tu es jolie !
Maud a contemplé son reflet en gloussant.
À ce moment-là, Buddy est revenu avec Fred. Il a enlevé la laisse du chien, s’est rué dans la salle de jeux et a fait le signe du bzzz à Liz qui n’a pas manqué d’éclater en sanglots. Maud s’est également remise à pleurer. Mary Anne se retrouvait au point de départ.
– Buddy ! Si tu recommences, tu resteras dans ta chambre jusqu’au retour de ta mère.
– C’est moi qui commande.
– Tu le diras à maman si je suis méchant ?
– Peut-être.
– Rapporteuse !
Mary Anne a haussé les épaules.
– C’est comme ça.
Elle s’est tournée vers Liz et Maud.
– Bon, les filles, calmez-vous. Vous savez ce qu’on va faire ?
– Pas lire, en tout cas, a bougonné Buddy.
– Ni colorier, a dit Liz.
– Et pas regarder la télé, a continué Buddy.
– Ni jouer à la poupée, a enchaîné Liz.
– Non, rien de tout ça, leur a promis Mary Anne. On va se changer pour aller patauger dans les flaques d’eau. Après on rentrera et on fera comme si on campait.
– C’est vrai ? s’est enthousiasmé Buddy.
– Oui. Bon, comme il fait chaud aujourd’hui, allez vous mettre en maillot de bain.
– Même Maud ? a fait Liz.
– Et toi aussi ? a voulu savoir Buddy. Tu as apporté ton maillot ?
– Non, je n’ai pas pris mon maillot, mais ça ne fait rien. Maud et moi, on n’en a pas besoin. Montez vite vous changer.
Ils sont partis en trombe et sont revenus quelques minutes après. Mary Anne n’a pu s’empêcher de sourire en les voyant. En maillot de bain, Buddy était tout maigrichon et Liz toute potelée.
– Et maintenant ? a demandé Buddy.
– Maintenant on va enlever nos chaussures et tous mettre un imper et un chapeau. Après, on ira sauter dans les flaques.
– Pieds nus ? s’est enquise Liz, étonnée.
– Presque.
Mary Anne avait trouvé des sandales en plastique de toutes les pointures dans un placard, et elle les a distribuées aux enfants.
Cinq minutes plus tard, la petite troupe était sur le trottoir.
– Et maintenant, sautez dans chaque flaque en essayant de faire le plus grand plouf possible.
– Ouais ! Super ! a hurlé Buddy, en bondissant comme un cabri.
– Il m’a toute mouillée ! a rouspété Liz.
– Tant mieux, a déclaré Mary Anne. C’est ça, le jeu. De toute façon, avec ton imper et ton maillot de bain, tu n’as rien à craindre. C’est fait pour être mouillé.
– Ah c’est vrai.
Et la petite fille a sauté à pieds joints dans l’eau.
Le jeu plaisait à Maud aussi. La mine réjouie, elle barbotait gentiment, s’arrêtant de temps à autre pour examiner de près une petite fourmi et la pousser du bout du doigt.
Mais les choses ont dégénéré quand Liz a jeté un ver de terre sur son frère.
– Celui qui lance un ver doit le manger, a décrété ce dernier, furieux. C’est la règle. Tiens, vas-y.
– Non, non, non !
Liz s’est remise à pleurnicher.
– Bon, a fait Mary Anne. La promenade est finie. On va faire du camping.
Après avoir accroché les impers et les maillots pour les faire sécher, tout le monde s’est rhabillé. Puis Mary Anne a aidé les enfants à construire une tente en jetant une vieille couverture sur une petite table.
Buddy et Liz étaient ravis. Ils se sont glissés à l’intérieur en rampant, et ont inventé un jeu où il était question d’ours et d’astronautes. Maud s’amusait de son côté à faire coucou en soulevant les pans de la couverture.
Ils étaient tellement heureux qu’ils ont voulu prendre le goûter sous la tente. Mary Anne leur a préparé une assiette de biscuits et deux verres de jus d’orange. Ils avaient pratiquement fini quand le téléphone a sonné.
Buddy a voulu répondre, mais Mary Anne l’a devancé, se rappelant que Mme Barrett ne voulait absolument pas que les enfants parlent à leur père.
Vexé, Buddy lui a fait le signe du bzzz.
– Allô ! Voulez-vous patienter une seconde ?
Elle a couvert l’appareil de la main.
– Buddy, cette fois, tu files dans ta chambre !
Il lui a tiré la langue et il est monté dans sa chambre en ronchonnant.
– Allô ! a répondu un homme à l’autre bout du fil. Qui est à l’appareil ?
– Mary Anne Cook. Je suis la baby-sitter.
– Ici monsieur Barrett. Puis-je parler à Buddy, s’il vous plaît ? Ou à Liz ?
– Je regrette, ils… ils sont chez des amis.
– Oh, je vois, a dit M. Barrett en raccrochant violemment.
Mary Anne a eu un frisson. Que se passait-il ? Pourquoi Mme Barrett ne voulait-elle pas que les enfants parlent à leur père ? M. Barrett était-il fâché ? Se doutait-il qu’elle lui avait menti ? Probablement, a-t-elle pensé.
Il y a eu une scène terrible quand Mme Barrett est rentrée, ce soir-là. Buddy était furieux d’avoir été puni et sa mère était furieuse également, premièrement parce que son fils n’avait pas été sage, et deuxièmement parce que son mari avait téléphoné.
– Il n’a le droit de parler aux enfants que toutes les deux semaines. Ça fait partie de notre arrangement. Il n’aurait dû appeler que mardi prochain. Mais bien entendu, il se fiche du calendrier. Et toi, Buddy, qu’est-ce que tu as ? J’ai reçu un mot de ta maîtresse, il paraît que ça ne va pas du tout à l’école. En plus, j’apprends que tu n’as pas été gentil avec Mary Anne ! Je te préviens : je n’ai pas de temps à perdre avec ça. Je ne peux pas être à la fois ton père et ta mère, tenir cette maison, chercher du travail et te sortir des ennuis où tu te fourres. C’est trop pour une seule personne !
Debout en haut de l’escalier, Buddy ne disait rien, mais des larmes coulaient le long de ses joues.
Devant la détresse de son fils, Mme Barrett, en bas des marches, s’est mise elle aussi à pleurer. Elle a ouvert les bras et Buddy s’y est précipité. Mary Anne, qui avait déjà été payée, s’en est allée sur la pointe des pieds.