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– Salut, je suis rentrée !

– Ma chérie, j’allais partir !

Ce soir-là, je suis arrivée chez moi au moment où maman s’en allait rejoindre M. Cook.

– Je serai de retour dans deux heures environ, m’a-t-elle dit en me plaquant un baiser sur le front.

– Entendu. Amuse-toi bien.

J’ai voulu refermer la porte d’entrée, car le froid s’engouffrait dans la maison, mais elle a ajouté :

– Je vous ai préparé de quoi dîner.

– D’accord.

Je voulais vraiment fermer, j’étais en train de geler sur place !

– C’est dans la Cocotte-Minute, sur la cuisinière.

– D’accord…

– Et il y a de la salade dans le frigo.

– D’ac-cord !

Mais au moment de fermer cette maudite porte, je me suis arrêtée.

– Maman, reviens ici !

– Qu’y a-t-il ?

– Regarde. Tu as une seule boucle d’oreille, un élastique autour du poignet et encore l’étiquette de prix sur ta jupe. Maman, tu n’es vraiment pas possible !

Elle a esquissé une grimace gênée.

– Que ferais-je sans toi, ma puce ?

Elle est revenue à la maison, a retiré l’élastique de son poignet, et a coupé l’étiquette.

– Et la boucle d’oreille !

– Oh, flûte ! Je ne sais pas où est l’autre. Est-ce que ça fait vraiment bizarre de n’en porter qu’une seule ?

– Eh bien, ça fait un peu punk.

– Punk ! Quelle horreur ! a-t-elle fait en enlevant sa boucle d’oreille et en me la donnant. Soyez sages, David et toi. Je serai vite de retour.

– Dis bonjour à M. Cook de ma part.

– Entendu ! m’a-t-elle lancé en montant dans sa voiture.

J’ai fermé la porte et je suis allée dans le séjour pour ramasser les choses qui n’avaient rien à faire là : une bombe de laque, une pompe à vélo, un paquet de café instantané et une louche. Parfois je me dis que toute la maison, sauf ma chambre, ressemble à un jeu de « Cherchez l’erreur ».

Puis, je suis allée dans la cuisine. J’ai soulevé le couvercle de la cocotte pour renifler le contenu.

– C’est du ragoût de restes, m’a dit David avant même que j’aie posé la question.

Du ragoût de restes. Beurk ! J’ai jeté un coup d’œil dans le congélateur.

– Il y a de la pizza surgelée. Si on mangeait ça, plutôt ?

– Tout à fait d’accord !

J’ai fait chauffer le four et j’ai glissé la pizza dedans avant d’aller au salon. Mon frère m’a emboîté le pas. Il a allumé la télévision et s’est vautré sur le divan.

– Qu’est-ce que tu vas faire du ragoût ? m’a-t-il demandé.

– Le remettre au frigo. Maman le mangera peut-être.

– On devrait avoir un chien. Ils adorent les restes.

Je suis retournée dans la cuisine pour faire mes devoirs tout en surveillant la pizza, mais je n’arrivais pas à me concentrer. J’ai fini par me lever et déambuler dans la maison.

Ça m’est égal qu’elle soit sombre et que les pièces soient minuscules. Je la trouve douillette. Cela dit, je suis contente que la cuisine et la salle de bains aient été refaites.

Dring ! C’était la minuterie du four.

– David, la pizza est prête !

Nous nous sommes attablés. Je mourais de faim.

Au moment où j’allais mordre dans ma pizza, le téléphone a sonné. Je l’ai reposée à contrecœur et suis allée répondre.

– Salut, c’est moi, a fait Mary Anne à l’autre bout du fil. Qu’est-ce que tu fais ?

– J’étais en train de manger.

– Oh ! Moi j’ai déjà fini. Je me suis fait un sandwich au fromage et au jambon. Qu’est-ce que tu manges ?

– De la pizza. Hé, j’aurais dû t’inviter, comme ça tu n’aurais pas dîné toute seule.

– Ça ne fait rien. Ce sera pour la prochaine fois. Écoute, il m’est venu une idée géniale. Ça te dirait de m’aider à décorer ma chambre ?

– Bien sûr ! Ce sera amusant. D’ailleurs, j’ai plein d’affaires qui pourraient te servir. Notre maison en Californie était beaucoup plus grande, et on a dû mettre des tas de choses au grenier quand on est arrivés ici. Je sais qu’il y a des posters quelque part. Et une jolie lampe de chevet et au moins deux ou trois coussins.

– Mais ta mère n’en a pas besoin ? a voulu savoir Mary Anne.

Elle se fait toujours du souci pour trois fois rien.

– Non. Elle a parlé d’organiser une braderie, mais ça lui est sorti de la tête.

Ma pizza refroidissait, mais j’étais trop excitée à l’idée de jouer les décoratrices.

– Si je venais samedi ? ai-je proposé. J’apporterai quelques trucs. S’ils te plaisent, tu les gardes, sinon, on essaiera de trouver d’autres idées.

– D’accord !

La voix de Mary Anne était déjà plus enthousiaste. Comme moi, elle adorait se lancer dans de nouveaux projets.

Plus tard, en mangeant ma pizza, j’ai dressé une liste des choses que j’apporterais chez les Cook samedi : des posters, des cadres, la lampe de chevet, les coussins. N’y avait-il pas un couvre-lit quelque part ? Il faudrait que je regarde dans les cartons.

Le samedi matin, j’avais rassemblé tellement de choses que maman a dû me conduire en voiture chez les Cook. Ce qui convenait à tout le monde. Pour moi, c’était plus pratique. Pour Mary Anne, c’était l’occasion de voir que ma mère était d’accord pour qu’elle prenne ces objets et, enfin, pour maman et le père de Mary Anne, c’était une occasion de se voir.

Malheureusement, M. Cook n’était pas chez lui. Maman a expliqué à Mary Anne :

– J’espère que ces choses te seront utiles. Je ne savais pas quoi en faire, et je préfère les donner à des gens que je connais et à qui ça fera plaisir.

Mary Anne a paru soulagée.

– Merci beaucoup, madame Schafer. C’est très gentil à vous. Et papa sera content que la décoration de ma chambre ne lui coûte rien.

Ma mère a souri.

– Si j’ai bonne mémoire, ton père est assez économe.

– À qui le dites-vous ! a acquiescé Mary Anne en faisant les gros yeux.

Nous avons éclaté de rire. Maman est partie et nous avons monté les cartons dans la chambre de Mary Anne.

Mary Anne a sorti trois posters soigneusement roulés. Elle en a déroulé un.

– Oh ! Londres la nuit ! (C’est ce qui était écrit au bas de la photo.) C’est superbe, regarde toutes ces lumières ! Je voulais une vue de New York ou de Paris, mais Londres, c’est aussi bien. Il était dans ta chambre ?

– Non, dans la cuisine. En Californie, nous avions une immense cuisine.

Mary Anne a posé le poster de Londres et en a pris un autre. Une fois déroulé, elle l’a tourné dans tous les sens, l’air perplexe.

– Fais voir.

– On dirait une carte…

– C’est la carte astronomique de mon père. Je suppose qu’il n’en voulait plus. Il y a toutes les constellations, les étoiles et les planètes. Ça te plaît ?

– Mmoui. C’est intéressant, mais je ne sais pas si c’est vraiment mon truc.

– Bon, tu n’as pas besoin de te décider tout de suite.

Nous avons continué à fouiller dans les cartons.

– Hé, les filles ! Qu’est-ce que vous faites ?

C’était Kristy, qui nous appelait depuis sa chambre. Les maisons de Kristy et Mary Anne sont face à face. Super pratique pour communiquer l’une avec l’autre !

– Salut, Kristy ! On refait la décoration de ma chambre.

Mary Anne s’est alors tournée vers moi.

– Ça ne t’ennuie pas si je lui dis de venir ?

– Bien sûr que non.

– Tu veux venir, Kristy ?

– D’accord !

– Pas la peine de sonner, papa n’est pas là, et la porte est ouverte.

Quelques minutes plus tard, nous avons entendu les pas de Kristy dans l’escalier.

– Salut, nous a-t-elle lancé en entrant dans la pièce. Oh là là, quel bazar !

– C’est Carla qui m’a apporté tout ça, a expliqué Mary Anne. Ça vient de son ancienne maison. Elle a pensé que ça pourrait me servir. Papa veut bien que j’enlève tous ces trucs de bébé, Alice au pays des merveilles et Pinocchio, je ne peux vraiment plus les encadrer ! J’aimerais bien mettre des posters et des photos à la place. Une photo des membres du club, par exemple, ce serait génial.

Kristy a passé une main dans ses cheveux ébouriffés.

– Pourquoi ne m’as-tu pas prévenue que tu redécorais ta chambre ?

– Je ne sais pas, a répondu Mary Anne avec hésitation.

Kristy m’a fixée du regard, alors qu’elle parlait à Mary Anne.

– Tu sais, j’aurais peut-être des trucs pour toi. Tu te souviens de ce poster qu’on avait fait ensemble au cours de dessin, l’année dernière ? Je l’ai encore. Tu pourrais le mettre au mur.

– On s’était bien amusées en le faisant.

– En plus, Jim m’a offert du matériel pour faire des dessins au pochoir.

– C’est vrai ? a fait Mary Anne, enthousiasmée.

– On pourrait repeindre ces horribles cadres roses et les décorer au pochoir.

– Génial !

Kristy m’a lancé un regard triomphant. Je me suis sentie complètement exclue.

La situation était inquiétante : elle ne semblait pas m’aimer beaucoup et c’était la présidente du club !