En 1600, la compagnie de Moscovie de Londres envisage d’étendre son aire d’intervention. Elle est alors en relations commerciales étroites avec la Russie, d’où elle importe principalement des fourrures et du bois, et vers laquelle elle exporte surtout des étoffes anglaises, alors très réputées. La concurrence néerlandaise dans les eaux septentrionales de l’Europe inquiète la compagnie anglaise, d’autant plus que ses espions lui rapportent, en ce début du XVIIe siècle, que les marchands amstellodamois envisagent de se mettre à la recherche du passage du Nord-Est. Cela suffit à décider la compagnie de Moscovie à les devancer en organisant elle-même cette expédition. En janvier 1607, ses directeurs et contributeurs principaux se réunissent donc en ses quartiers généraux, afin de mettre au point un projet de voyage.
Pour les marchands de l’époque, la question du budget demeure au centre des préoccupations. La compagnie s’adresse ainsi au roi Jacques Ier (1566-1625) afin de solliciter un support financier. Le monarque accorde sa bénédiction aux projets de la compagnie, mais ne lui alloue pas un penny. Il s’agit alors pour ces commerçants conscients des réalités financières de trouver un homme expérimenté et qui n’exige pas de gages faramineux. Le choix préliminaire se porte sur Henry Hudson, qui jouit d’une réputation de capitaine qualifié et aventureux, et qui est en outre appuyé auprès de la compagnie par un cartographe de renom, son ami Richard Hakluyt. Tour à tour secrétaire d’État pour la reine Élisabeth Ire (1533-1603), chef de file du mouvement de colonisation de la Virginie et prêtre ordonné de Bristol, Hakluyt demeure surtout célèbre pour son travail littéraire de description des voyages d’exploration de son temps. De ce fait, il est en contact avec des dizaines de capitaines anglais, et se trouve régulièrement consulté par les compagnies britanniques. Ainsi, lorsqu’il recommande Henry Hudson aux représentants de la compagnie Moscovie, ceux-ci s’empressent d’organiser une entrevue. À l’issue de celle-ci, Hudson est officiellement engagé pour effectuer un voyage d’exploration dont le but est de découvrir un passage du Nord-Est menant aux eaux chinoises. Il accepte pour ses services la somme relativement modeste de 130 livres, ce qui convient tout à fait au budget de ses employeurs.
Il est fort probable qu’à ce moment précis, Henry Hudson est persuadé de l’existence d’un passage au Nord-Ouest. Quoi qu’il en soit, il prépare activement son voyage, et passe plusieurs semaines chez son ami Hakluyt pour étudier les cartes patiemment amassées par ce dernier. Il lit également une lettre d’un auteur de relations de voyages épris de géographie, le révérend Samuel Purchas (1575-1626), qui estime possible une traversée printanière des eaux glacées s’étendant au nord de la Russie.
Le navire que commande Hudson, baptisé Hopewell, est fourni par la compagnie. Il s’agit d’un bateau de taille moyenne, d’environ 80 tonnes, muni de deux mats, ayant déjà effectué quelques voyages en mer Baltique et dans les eaux atlantiques. Son équipage se compose de dix marins expérimentés et d’un mousse qui n’est autre que John Hudson (né vers 1597/1598-1611), le fils du capitaine. Une fois chargées les provisions de viande, de légumes séchés et de saumure, le Hopewell est prêt à appareiller. Le 19 avril 1607, après une messe spécialement célébrée dans une église londonienne du quartier de Bishop Gate, le navire dirigé par Hudson lève l’ancre.
Pendant le voyage, des tensions voient le jour, dûment consignées dans le journal de bord du capitaine. Si l’on ignore la cause du problème, on découvre cependant dans cet ouvrage qu’il y a eu une vague de rétrogradations et de promotions, ce qui a modifié l’équilibre hiérarchique à bord. Ce premier voyage révèle déjà les difficultés de Henry Hudson quant à la gestion d’un équipage. Tout capitaine expérimenté qu’il est, il ne semble pas avoir le même talent dans la maîtrise d’une équipe de marins.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Lorsqu’au XVIe siècle, un capitaine est employé par une compagnie, il doit lui rendre des comptes quant au déroulement du voyage. Pour ce faire, le capitaine doit tenir de manière régulière un ou plusieurs journaux de bord, qu’il remet à ses employeurs à son retour. Ces documents, archivés par les compagnies, sont très précieux pour les historiens, qui peuvent y lire des récits détaillés des voyages.
À la fin du mois de mai, le Hopewell franchit le cercle polaire Arctique. Le climat met tout l’équipage à rude épreuve. Le 13 juin 1607, la côte est du Groenland se profile à l’horizon. Henry Hudson décide de la suivre vers le nord, ce qui lui permet de cartographier des sections inédites de cette île alors encore bien mystérieuse pour les Européens. Une fois de retour à Londres, il pourra ainsi justifier cette trajectoire inspirée par sa soif d’aventure, mais bien éloignée de celle imposée par sa mission. Fin juin, le cap est mis au nord-est, afin de rejoindre l’itinéraire initialement prévu. La navigation devient de plus en plus laborieuse en raison des morceaux de glace flottant sur l’océan, ennemis redoutables des coques en bois du bateau. À plusieurs reprises, le Hopewell est à deux doigts de sombrer, mais le capitaine parvient à éviter le pire.
Vers la mi-juillet, Henry Hudson doit se rendre à l’évidence : il ne trouvera pas le passage Nord-Est, du moins pas cette année. Il est contraint d’annoncer le retour aux membres de son équipage. Pourtant, son expédition n’est pas totalement un échec. En effet, en naviguant près de l’île de Spitzberg (Norvège), il découvre une île inconnue dont les eaux regorgent de baleines et qui sert de refuge à de nombreux morses. Il s’agit là d’une information de première importance pour une compagnie commerciale telle que la Moscovie. En effet, la chasse à la baleine est, à l’époque, une activité prospère qui génère des revenus colossaux, et l’ivoire de morse est une marchandise convoitée. Ainsi, lorsque le 15 septembre 1607 le Hopewell s’amarre dans les eaux de la Tamise, les employeurs de Hudson s’estiment satisfaits de son périple. Mais lui ne partage pas ce sentiment de réussite et projette de repartir à la recherche du passage du Nord-Est dès que possible.
Henry Hudson médite donc un nouveau voyage. Il s’agira cette fois de définir un parcours moins erratique que celui suivi lors du voyage précédent. Hudson, toujours en contact avec Richard Hakluyt, en vient à envisager un passage situé au niveau des îles de la Nouvelle-Zemble. Cet archipel isolé au nord de la Russie, exploré en 1596 par Willem Barents, demeure en ce début du XVIIe siècle largement inconnu des Européens. Si la Russie a certainement des éléments d’information, elle se garde bien de les partager. Chez Hakluyt, Hudson étudie minutieusement les cartes dressées par Barents, dont aucune ne décrit le liseré de la côte Est de la Nouvelle-Zemble, et acquiert la certitude qu’une fois les îles dépassées s’ouvre une mer paisible et praticable menant aux Indes. Cette fois, c’est Henry Hudson qui s’adresse à la compagnie de Moscovie, en 1607, pour monter une expédition.
Celle-ci accepte de financer un second voyage sans grande hésitation, la première expédition s’étant avérée très rentable. Mais cette fois, fort de son expérience, Henry Hudson formule des revendications quant à l’organisation de l’entreprise. Il exige d’une part que le nombre total des membres de l’équipage soit porté à 14, d’autre part que la coque du Hopewell soit renforcée afin de réduire les risques de dommages engendrés par la glace flottant sur les eaux arctiques. Enfin, le navire est doté d’une chaloupe plus grande. Au printemps 1608, le recrutement de l’équipage étant terminé et les vivres chargés à bord du navire, Henry Hudson est prêt à partir. Le 22 avril, le deuxième voyage de l’explorateur commence.
Le voyage jusqu’aux îles de la Nouvelle-Zemble révèle des tensions entre Hudson et son second, Robert Juet. Ce dernier remet régulièrement en question l’autorité de son capitaine, qui n’a visiblement pas les moyens de la rétablir. Une fois encore, l’aventureux Henry Hudson montre ses limites : il n’est pas un dirigeant charismatique, et éprouve de grandes difficultés à maîtriser ses subalternes.
Le 27 juin 1608, le Hopewell mouille dans une baie abritée de la Nouvelle-Zemble. Avant d’aller plus loin, Hudson envoie à plusieurs reprises de petites équipes explorer la terre ferme, dans l’espoir de révéler quelque chose qui puisse être digne d’intérêt aux yeux de ses employeurs. En effet, dans le cas où Hudson ne trouverait pas le passage du Nord-Est, il a impérativement besoin de rapporter de son périple des informations utiles, qui permettraient aux marchands de la compagnie de Moscovie de rentabiliser le voyage. Revenir les mains vides d’un périple infructueux équivaudrait pour lui à infliger une perte sèche à ses mécènes et à détériorer sa réputation de capitaine. Mais les recherches sont vaines.
Naviguant prudemment dans les eaux côtières de la Nouvelle-Zemble, le Hopewell arrive en vue de ce qui semble être l’embouchure d’une large rivière au début du mois de juillet 1608. Hudson envoie immédiatement une petite équipe de reconnaissance, chargée de vérifier la navigabilité de la voie découverte. L’eau y est salée, ce qui indique qu’il ne s’agit pas d’une rivière, mais bel et bien d’un bras de mer. Tout laisse à penser qu’il s’agit du passage qui, dans l’esprit de Hudson, mène aux Indes. Il s’agit en effet d’une passe étroite donnant dans la mer de Kara, à l’est de la Nouvelle-Zemble, mais Henry Hudson n’a pas le loisir de le vérifier. La chaloupe envoyée en reconnaissance revient de sa mission porteuse de nouvelles qui déçoivent le capitaine du Hopewell : à quelques kilomètres de son embouchure, le canal se rétrécit brusquement, et sa profondeur ne permet en aucun cas le passage d’un bateau.
Désappointé, Hudson continue son exploration. Partout, la glace contraint ses manœuvres, et les rares détroits qu’il découvre s’avèrent infranchissables. À la mi-juillet, il déclare forfait, et annonce à l’équipage qu’il est temps de retourner en Angleterre. Ce qui se passe ensuite ne nous est pas précisément connu. Il semblerait que Hudson ait en tête de se diriger vers le Canada, projet auquel il doit renoncer sous la pression de son équipage. Quoi qu’il en soit, lorsque le Hopewell termine son voyage le 26 août 1608, l’explorateur a l’intime conviction qu’il n’y a pas de passage du Nord-Est praticable. Pour lui, il convient désormais de chercher du côté de l’Atlantique Ouest.
Pour les marchands de la compagnie de Moscovie, la seconde expédition d’Henry Hudson est un désastre. L’argent investi dans l’opération l’a été sans aucune contrepartie : non seulement l’explorateur n’a pas trouvé le passage qu’il était chargé de rechercher, mais, en outre, il n’apporte aucune compensation de quelque nature que ce soit. Les commerçants de Budge Row mettent alors un terme à leur collaboration.
Toutefois, l’aventure n’est pas terminée pour notre navigateur. Ses tentatives n’ont pas manqué de susciter un vif intérêt auprès de compagnies étrangères. C’est notamment le cas de la très puissante compagnie néerlandaise des Indes orientales, la VOC. Ainsi, à l’automne 1608, le représentant de la compagnie à Londres prend contact avec le navigateur. Il lui explique que la VOC, soutenue par le gouvernement des Provinces-Unies, est prête à lui fournir les moyens nécessaires à une nouvelle expédition afin de trouver le passage du Nord-Est. Hudson se montre peu enthousiaste : il n’estime plus probable qu’un tel passage existe.
Quelques jours plus tard, cependant, Hudson se rend à Amsterdam. Malgré le contexte de concurrence intense qui règne alors, il n’est pas interdit à un capitaine de travailler pour une compagnie étrangère, sauf si elle est au service d’un pays avec lequel une guerre ouverte est engagée. L’Angleterre et les Provinces-Unies étant alors en paix, Henry Hudson est tout à fait libre de se rapprocher de la VOC. Il reste quelques semaines aux Pays-Bas, profitant de l’occasion pour rendre visite au géographe Peter Plancius (1552-1622), chez qui il consulte cartes et récits de voyage. Il rencontre les directeurs de la VOC en octobre ou novembre 1608, mais les tractations ne permettent pas d’obtenir un accord. Les pontes de la compagnie marchande ne semblent effectivement pas accorder toute leur confiance à Hudson, qui rentre en Angleterre quelques jours plus tard.
C’est le contexte international de compétition pour l’accès aux richesses de l’Orient qui relance les pourparlers. Une rumeur se répand à Amsterdam selon laquelle le roi de France Henri IV (1553-1610) envisage de financer une expédition menée par Henry Hudson. Si aucune preuve n’existe quant à la véracité de cette hypothèse, la perspective, aussi incertaine soit-elle, d’être pris de vitesse par une flotte française dont les vaisseaux pourraient franchir rapidement l’espace séparant l’Europe de la mer de Chine n’est pas au goût des directeurs de la VOC, qui s’empressent de recontacter Hudson. Celui-ci se rend à Amsterdam au tout début de l’année 1609, et, le 8 janvier, il signe un contrat avec la VOC. Quels qu’aient été les projets de Hudson, le contrat délimite clairement la mission du capitaine britannique : rechercher un passage du nord-est de l’Atlantique aux eaux baignant les côtes asiatiques. Toute trajectoire n’amenant pas à cet objectif se trouve proscrite par les termes de l’arrangement. Les directeurs de la VOC ne sont en effet pas dupes, ayant eu vent de la tendance du capitaine à s’éloigner systématiquement du chemin prévu. Les services d’Hudson sont rémunérés à hauteur de 300 florins néerlandais, une rétribution somme toute modeste au regard de la tâche éprouvante qui l’attend, mais qui promet d’être doublée, voire triplée en cas de succès.
La VOC fournit à Hudson un trois-mâts de petite taille, le Halve Maen (« demi-lune » en néerlandais). Il s’agit d’un vlieboot, un navire néerlandais adapté aux longues traversées, mais dont le tirant d’eau est suffisamment faible pour permettre une navigation en estuaire ou en fleuve. L’équipage manœuvrant le bateau se compose de marins néerlandais et anglais. Paradoxalement, Hudson désigne Robert Juet, avec qui il a déjà eu maille à partir au cours de l’expédition précédente, comme second. Le fils de l’explorateur, John Hudson, se joint de nouveau à son père.
Le Halve Maen quitte le port d’Amsterdam le 6 avril 1609, et effectue un premier voyage d’un mois et demi vers les eaux glacées qui baignent l’archipel de la Nouvelle-Zemble. Henry Hudson n’investit que peu de temps à l’exploration de cette zone, semble-t-il, puisqu’à la fin du mois de mai le navire opère un changement de trajectoire radical. S’étant rendu en Nouvelle-Zemble, Hudson est certain d’avoir respecté les clauses du contrat. Il fait alors route vers la zone par laquelle il lui paraît le plus judicieux de passer, l’Amérique du Nord. Hudson veut en effet trouver le passage du Nord-Ouest.
Lorsqu’à la fin du mois de juin le Halve Maen approche des côtes américaines, deux possibilités s’offrent à son capitaine. Il peut mettre le cap au nord du Labrador actuel, et investiguer la zone que l’on connaît alors sous le nom de Furious Overfall (littéralement « le déversoir furieux ») et que l’on soupçonne d’être un détroit connectant l’Atlantique et le Pacifique ; ou s’orienter un peu plus au sud, et explorer les terres s’étendant en dessous de la Terre-Neuve actuelle, où l’embouchure d’une grande voie d’eau a été repérée au cours d’expéditions précédentes. C’est cette deuxième option que choisit Hudson.
Les mois de juillet et d’août de l’année 1609 sont consacrés à l’exploration des côtes américaines s’étendant de l’État actuel du Maine à la baie de Chesapeake, en Virginie. L’équipage du Halve Maen a des contacts réguliers avec les Indiens qui habitent les littoraux atlantiques : commerce, échanges, mais aussi violences et mésententes. Entre Hudson et Juet, les tensions s’accroissent, et le second remet à nouveau en question l’autorité de son capitaine, ce dernier ne parvenant pas à affirmer sa prééminence.
Le 2 septembre, Hudson trouve enfin ce qu’il cherche : une large embouchure dont le débit lui donne de grands espoirs. Le Halve Maen mouille à l’entrée de l’estuaire, dans les eaux côtières de ce qui est aujourd’hui la ville de New York. Si cette embouchure est alors connue, aucun Européen n’a encore remonté le courant impétueux qui s’y déverse : c’est ce à quoi s’emploie Hudson. Cependant, le 19 septembre 1609, il doit essuyer un nouvel échec. Arrivé à l’emplacement de l’actuelle ville d’Albany, il réalise qu’au-delà de ce point les eaux ne sont plus navigables pour un navire de la taille de celui qu’il possède. Sur les rives s’élève ce qui reste d’un fort érigé plusieurs années auparavant par les Français. Henry Hudson revendique alors les lieux désaffectés au nom de la VOC, c’est-à-dire, en l’occurrence, en celui de la république des Provinces-Unies. Pour ses employeurs, le voyage n’est donc pas un échec, puisqu’il pose les bases d’une colonisation florissante. Or, pour l’explorateur, il s’agit d’une troisième expédition ratée. Il prend la route du retour au début du mois d’octobre, mais ne rentre pas directement à Amsterdam. Il choisit de faire escale dans le port anglais de Dartmouth, sans savoir qu’il est attendu par le gouvernement royal.
Qu’Hudson soit employé par une compagnie néerlandaise pour la recherche du passage du Nord-Est n’est a priori pas à même d’inquiéter la politique royale anglaise. Il est en effet courant que des capitaines au long cours soient employés par des entreprises étrangères, et les deux États entretiennent des relations diplomatiques stables. En outre, une série de tentatives infructueuses rendent les marchands londoniens sceptiques quant à l’existence d’une voie maritime praticable menant à l’Asie depuis l’est de l’Atlantique Nord. Il en va autrement du passage du Nord-Ouest, vers lequel ils sont résolument tournés. Enfin, la concurrence dans la fondation de comptoirs en Amérique est rude, et l’établissement d’une colonie néerlandaise avantageusement située en territoire algonquin a de quoi irriter fortement le monarque anglais, d’autant que cela est rendu possible par le talent d’un capitaine britannique. Il ne s’agit plus seulement d’une opération commerciale : cela génère un contentieux politique.
Ainsi, lorsqu’Hudson foule à nouveau le sol anglais à l’hiver 1609, des soldats de la couronne l’attendent. Un décret en conseil émis par le Conseil privé du royaume d’Angleterre assigne le navigateur à résidence jusqu’à ce qu’une décision le concernant soit prise. La situation du capitaine est alors délicate : il est accusé de trahison, inculpation qui peut le mener à l’échafaud. Les contestations émises par la VOC durant le mois de janvier 1610 n’affectent pas la décision royale. Jacques Ier demeure inflexible.
Une échappatoire inespérée se présente alors à Hudson. Deux grands marchands londoniens, sir Dudley Digges (1583-1639), politicien influent, et sir John Wolstenholme (1580-vers 1650), collecteur des douanes du port de Londres, envisagent de mettre l’expérience et le talent de l’explorateur au service des intérêts commerciaux anglais. Leur projet est appuyé par le prince de Galles Frédéric-Henri Stuart (1594-1612), fils aîné de Jacques Ier, qui intercède en faveur du navigateur auprès de son père.
Henry Hudson est donc libéré de son assignation à résidence peu avant le printemps 1610, à la condition qu’il s’engage à mener une expédition de découverte financée par des marchands londoniens associés, principalement des actionnaires de la compagnie de Moscovie et de la compagnie britannique des Indes orientales, ainsi que des investisseurs isolés tels que sir Digges et sir Wolstenholme. Le prince de Galles fournit une contribution symbolique, plaçant l’entreprise sous la bénédiction royale. Nul doute que pour l’aventureux Henry Hudson, à qui n’est accordée aucune rétribution immédiate, le compromis s’avère tout à fait favorable.
Du navire fourni par les investisseurs, le Discovery, nous ne savons quasiment rien, si ce n’est qu’il est conçu pour les navigations arctiques. C’est à son bord que le capitaine George Weymouth (1585-1612) navigue sur le Furious Overfall en 1602. C’est précisément au même endroit qu’Hudson projette de se rendre. Il a cependant l’intention de le dépasser, ce qu’aucun marin occidental n’a fait jusqu’alors. Si l’esprit aventureux de l’explorateur n’est plus à démontrer, il demeure un piètre juge en ce qui concerne la gestion d’un équipage. Il choisit pour l’assister dans son voyage périlleux Robert Juet. La raison pour laquelle Hudson décide de prendre une troisième fois pour second un homme qui s’évertue à saper son autorité ne nous est pas connue. John Hudson accompagne de nouveau son père. Le nombre des membres de l’équipage s’élève en tout et pour tout à 19.
Le 17 avril 1610, le Discovery lève l’ancre et entame son voyage vers le Canada. La traversée est marquée par une tension grandissante entre Henry Hudson et Robert Juet. Peu à peu, les différends opposant les deux hommes ont des répercussions au sein du personnel. Lorsqu’en juin 1610 les eaux tourbillonnantes du Furious Overfall sont en vue, c’est un équipage maussade qui s’apprête à les affronter.
Le 21 juin, le navire pénètre non sans mal dans la baie qui s’étend au-delà du Furious Overfall. Cependant, la situation n’est pas favorable. Le navire est cerclé de glace, et la question se pose quant au meilleur parti à prendre. Certains marins, dont Robert Juet, désirent faire machine arrière, et retourner en Angleterre. C’est sans compter l’opiniâtreté du capitaine. Par conséquent, durant tout le mois de juillet, le Discovery lutte contre les blocs de glace afin de se frayer un chemin vers l’ouest.
Le 3 août 1610, Hudson et son équipage mènent leur navire dans une vaste étendue d’eau s’étendant à perte de vue. Henry Hudson ne sait pas qu’il a découvert la deuxième plus grande baie du monde, persuadé qu’il se trouve sur les flots par lesquels communiquent l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. Cependant, les jours suivants portent un coup fatal à ses espérances : à l’ouest comme au sud, des terres s’étendent, arrêtant l’horizon. Il navigue sans répit dans la baie James, au sud, cherchant une voie d’accès. L’équipage reste perplexe face au désarroi de son capitaine. Robert Juet, en particulier, est intenable. Le 10 septembre, Henry Hudson le dégrade, le reléguant au rang de simple marin.
Les glaces qui se forment en début du mois de novembre au nord de la baie James rendent tout espoir de retour caduc. L’équipage du Discovery est contraint à un long hivernage qui s’avère éprouvant. Les conditions climatiques sont extrêmes, et un marin en meurt. Les réserves de nourriture s’amenuisent, d’autant plus que la pêche s’avère peu fructueuse ; quant au commerce avec des Indiens de passage, il demeure très occasionnel. Les tensions s’exacerbent, et le mécontentement général va grandissant. Lorsqu’en juin 1611 les eaux de la baie sont à nouveau navigables, les hommes d’Hudson, à bout de forces, aspirent à rentrer en Angleterre. Le capitaine, lui, compte poursuivre ses recherches.
L’occasion ne lui en est pas laissée. Dans la nuit du 21 juin 1611, la majorité de l’équipage se mutine. Henry Hudson est empoigné et jeté sans ménagement dans la chaloupe du navire. Il y est rejoint par son fils John et sept des marins lui étant restés fidèles, qui subissent le même sort. L’esquif est jeté à l’eau, et ses occupants abandonnés à leur sort. On ignore ce que sont devenus les infortunés ; cependant, pour neuf hommes isolés sur les eaux glaciales du Nord canadien sans nourriture ni eau, la mort est une perspective à peu près certaine.
DES PASSAGES LONGTEMPS INFRANCHISSABLES
Ce n’est qu’en 1906 que le passage du Nord-Ouest est enfin franchi. C’est l’explorateur norvégien Roald Amundsen (1872-1928) qui, le premier, en parcourt les 1 500 kilomètres, suivant un tracé repéré par voie de terre en 1822. Quant au passage du Nord-Est, il est traversé pour la première fois par le Suédois Adolf Erik Nordenskjöld (1832-1901) en 1879.