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je ne comprends rien, toujours rien ; je vis au milieu d'un
tas de vieilles lettres et de photographies ; j'ai lu en deux
nuits le texte de Talmaï ; je me suis rappelé ce qu'un soir, de
la bouche de la mère, j'avais appris sur son suicide ; c' était
juste après l'offensive avortée de Gamelin en Sarre et la
réponse de la Première armée allemande menée par Erwin
von Witzleben, au début de la « drôle de guerre », le trente
novembre 1939 ; je sais la façon dont il s'est tué – une balle
dans le crâne – mais cette mort fut un secret ; jamais mon
frère Jérôme n'en a rien su ; maintenant, j'ai sous les yeux
des images de lui, au village, au début des années quatre-
vingt ; celles du mariage de mes parents en 1969, une jeune
fille et un jeune homme qui portent l'avenir ; mais je ne
comprends rien, je ne vois pas ce qui se noue entre les temps
et pourquoi ça frappe comme ça, à retardement ? par quelle
lumière, je me demande, toute cette archive de la ruine
pourra être éclairée ? je cherche en moi des souvenirs et les
douleurs ne me lâchent pas, rien ne se guérit, je tombe et ça
ne s'arrête pas ; c'est à en pleurer au point que je formule le
vœu que ça meure ; je me dis que tout serait plus simple si
je pouvais partir…
et c'est encore une journée sombre de l'hiver allemand ; le
frère qui reste prend une photo de sa mère entre ses doigts,
la pose sur le lutrin qu'il a fabriqué afin de l'observer comme
un musicien; il se demande s'il n'est pas parti à l'Est pour
s'obliger à traverser ces nuits comme il est dit dans les livres
je ne comprends rien, toujours rien ; je vis au milieu d'un
tas de vieilles lettres et de photographies ; j'ai lu en deux
nuits le texte de Talmaï ; je me suis rappelé ce qu'un soir, de
la bouche de la mère, j'avais appris sur son suicide ; c' était
juste après l'offensive avortée de Gamelin en Sarre et la
réponse de la Première armée allemande menée par Erwin
von Witzleben, au début de la « drôle de guerre », le trente
novembre 1939 ; je sais la façon dont il s'est tué – une balle
dans le crâne – mais cette mort fut un secret ; jamais mon
frère Jérôme n'en a rien su ; maintenant, j'ai sous les yeux
des images de lui, au village, au début des années quatre-
vingt ; celles du mariage de mes parents en 1969, une jeune
fille et un jeune homme qui portent l'avenir ; mais je ne
comprends rien, je ne vois pas ce qui se noue entre les temps
et pourquoi ça frappe comme ça, à retardement ? par quelle
lumière, je me demande, toute cette archive de la ruine
pourra être éclairée ? je cherche en moi des souvenirs et les
douleurs ne me lâchent pas, rien ne se guérit, je tombe et ça
ne s'arrête pas ; c'est à en pleurer au point que je formule le
vœu que ça meure ; je me dis que tout serait plus simple si
je pouvais partir…
et c'est encore une journée sombre de l'hiver allemand ; le
frère qui reste prend une photo de sa mère entre ses doigts,
la pose sur le lutrin qu'il a fabriqué afin de l'observer comme
un musicien; il se demande s'il n'est pas parti à l'Est pour
s'obliger à traverser ces nuits comme il est dit dans les livres