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c'est en mai, Thésée a quarante-trois ans, et après de longues
heures de train au travers des forêts, le long des lacs, il arrive
enfin devant la tombe de Jérôme, son frère ; c'est un jour frais
de printemps à quelques minutes de route de la frontière suisse,
sur un sol français, et il s'avance dans la partie basse d'un
cimetière en pente douce, à quelques minutes de marche de
ce qui fut pendant son enfance la maison de famille, paradis
de verdure et de roseraies, de framboisiers, de chênes et de
graviers pointus que Nathaniel avait créé pour rassembler les
siens et leur offrir la douce sensation de vivre dans un pays en
paix, prospère, éloigné à jamais de la douleur de l'Histoire ; et
là, à côté de la mairie où ses parents se marièrent en ces heures
bénies de l'été 1969 – l'un des derniers étés de l'énergie infinie
et de l'abondance française – il se rend sur la tombe où il les
enterra l'un après l'autre, son frère d'abord, sa mère ensuite,
puis comme on clôt un cycle, le père à l'issue de ce que l'on
nomma pudiquement une longue maladie ; et ce jour-là, les
cimes des montagnes de l'autre côté du lac sont aussi couvertes
de neige ; autour de lui, tout est silencieux ; il lit sur la pierre les
dates du frère, de la mère, du père, puis s'assoit en retrait sur
un rebord à côté du rosier qui dessine un arc au-dessus de la
tombe ; Thésée, puisqu'il sait désormais parler avec les morts,
ferme les yeux et inspire ; il peut maintenant entendre ce que
lui dit son frère…
quel sens ? demande Jérôme
c'est en mai, Thésée a quarante-trois ans, et après de longues
heures de train au travers des forêts, le long des lacs, il arrive
enfin devant la tombe de Jérôme, son frère ; c'est un jour frais
de printemps à quelques minutes de route de la frontière suisse,
sur un sol français, et il s'avance dans la partie basse d'un
cimetière en pente douce, à quelques minutes de marche de
ce qui fut pendant son enfance la maison de famille, paradis
de verdure et de roseraies, de framboisiers, de chênes et de
graviers pointus que Nathaniel avait créé pour rassembler les
siens et leur offrir la douce sensation de vivre dans un pays en
paix, prospère, éloigné à jamais de la douleur de l'Histoire ; et
là, à côté de la mairie où ses parents se marièrent en ces heures
bénies de l'été 1969 – l'un des derniers étés de l'énergie infinie
et de l'abondance française – il se rend sur la tombe où il les
enterra l'un après l'autre, son frère d'abord, sa mère ensuite,
puis comme on clôt un cycle, le père à l'issue de ce que l'on
nomma pudiquement une longue maladie ; et ce jour-là, les
cimes des montagnes de l'autre côté du lac sont aussi couvertes
de neige ; autour de lui, tout est silencieux ; il lit sur la pierre les
dates du frère, de la mère, du père, puis s'assoit en retrait sur
un rebord à côté du rosier qui dessine un arc au-dessus de la
tombe ; Thésée, puisqu'il sait désormais parler avec les morts,
ferme les yeux et inspire ; il peut maintenant entendre ce que
lui dit son frère…
quel sens ? demande Jérôme