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Je ne voudrais pas, ce disant, être mal compris. Ce livre n'in-
valide pas ce qui a été écrit sur le suicide : entre le suicide-fait
social et le suicide-acte-libre-et-volontaire, je dis seulement que
cette histoire complète le tableau de notre pulsion de mort.
Elle dévoile une dimension souvent passée inaperçue de l'exis-
tence, celle d'une vie entrelacée où les êtres et leurs fragilités,
par-delà les années, sont noués les uns aux autres par les chocs
que leurs corps ont enregistrés. Si je demande notamment :
le suicide de l'ancêtre Talmaï ou du frère Jérôme sont-ils des
actes libres ? je dois bien reconnaître que je ne le pense pas, que
j'estime la thèse de l'acte libre entièrement inadaptée. Et si, à
l'inverse, je m'interroge pour savoir si leurs suicides sont des
faits sociaux, je dois constater qu'il me vient aussi une réponse
négative. Les traumas, les tremblements dont ces deux suicides
témoignent, pointent, à mes yeux, vers une approche à la fois
plus historique et plus matérielle ; celle où, peut-être un jour,
les empreintes traumatiques observées au cœur de la matière
humaine par les épigénéticiens rejoindront les approches trans-
générationnelles de la psychologie groupale et des pratiques
dites de constellation.
Nos savoirs, je le crois, avancent bien souvent en faisant l'hy-
pothèse de liens jusque-là inaperçus. Et dans le cas qui nous
occupe, que dire ? Sur plusieurs générations, une matière
humaine modifiée, brassée par les exils, traverse des deuils
et des naissances, des guerres et des crises. Elle s'attache à
des espoirs de vie meilleure et survit grâce à des secrets, des
oublis, des camouflages. En regardant les photographies de
temps anciens, les albums de famille, nous rencontrons des
êtres séparés de nous par des décennies et nous nous deman-
dons quel lien peut bien nouer ces vies entre elles par-delà tant
de cycles de séparation
? Nos vies, pour le demander autre-
Je ne voudrais pas, ce disant, être mal compris. Ce livre n'in-
valide pas ce qui a été écrit sur le suicide : entre le suicide-fait
social et le suicide-acte-libre-et-volontaire, je dis seulement que
cette histoire complète le tableau de notre pulsion de mort.
Elle dévoile une dimension souvent passée inaperçue de l'exis-
tence, celle d'une vie entrelacée où les êtres et leurs fragilités,
par-delà les années, sont noués les uns aux autres par les chocs
que leurs corps ont enregistrés. Si je demande notamment :
le suicide de l'ancêtre Talmaï ou du frère Jérôme sont-ils des
actes libres ? je dois bien reconnaître que je ne le pense pas, que
j'estime la thèse de l'acte libre entièrement inadaptée. Et si, à
l'inverse, je m'interroge pour savoir si leurs suicides sont des
faits sociaux, je dois constater qu'il me vient aussi une réponse
négative. Les traumas, les tremblements dont ces deux suicides
témoignent, pointent, à mes yeux, vers une approche à la fois
plus historique et plus matérielle ; celle où, peut-être un jour,
les empreintes traumatiques observées au cœur de la matière
humaine par les épigénéticiens rejoindront les approches trans-
générationnelles de la psychologie groupale et des pratiques
dites de constellation.
Nos savoirs, je le crois, avancent bien souvent en faisant l'hy-
pothèse de liens jusque-là inaperçus. Et dans le cas qui nous
occupe, que dire ? Sur plusieurs générations, une matière
humaine modifiée, brassée par les exils, traverse des deuils
et des naissances, des guerres et des crises. Elle s'attache à
des espoirs de vie meilleure et survit grâce à des secrets, des
oublis, des camouflages. En regardant les photographies de
temps anciens, les albums de famille, nous rencontrons des
êtres séparés de nous par des décennies et nous nous deman-
dons quel lien peut bien nouer ces vies entre elles par-delà tant
de cycles de séparation
? Nos vies, pour le demander autre-