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ment, de quel ricochet sont-elles les ondes ? Si nous acceptons
d'entrer dans la zone d'inquiétude où m'ont plongé ce livre,
et au-delà de ce livre, bien des événements de nos vies collec-
tives, nous pouvons nous poser cette question, utile je crois
aux refondations qu'il nous faut accomplir :
que sait la matière que nous ne savons pas encore,
que nous échouons à porter jusqu'au langage ?
Ce qui découle de cette question est, il me semble, un
puissant torrent capable d'emporter bien d'anciennes certi-
tudes et des cadres épuisés. Car où s'arrête la responsabilité
d'un État ou d'une entreprise si nos corps portent les traces
des violences subies sur plusieurs générations? Et si nous
sommes reliés entre les âges par des marquages si profonds
dans nos corps, que reste-t-il de l'individu, de sa liberté, de
sa volonté
? Et enfin, si le sens apparaît là où surgit la bles-
sure, la douleur, que reste-t-il des techniques qui cherchent
à les effacer et quel nom donner à ce qui nous dépasse, nous
déborde, si tout est à découvrir non pas en levant les yeux
vers le Très-Haut, en appelant ce mystère Dieu ou Sens,
mais en descendant vers le plus bas, en acceptant Dieu ou le
Sens à la place même de cette intelligence souveraine, indé-
passable de la matière ?
J'en suis là pour ma part. J'en suis à cette question. Je ne
parviens pas à la pousser beaucoup plus loin. J'ai désormais
plus ou moins accepté la mort de mon frère. Je comprends
mieux pourquoi mon corps s'est mis à se plier comme autour
d'une corde. Je vois mieux ce qu'a causé le secret et d'où est
venue la violence. Et pour le reste, je n'oublie plus de me
mettre à l'écoute de la matière. Je fais le pari qu'il y a, dans
ment, de quel ricochet sont-elles les ondes ? Si nous acceptons
d'entrer dans la zone d'inquiétude où m'ont plongé ce livre,
et au-delà de ce livre, bien des événements de nos vies collec-
tives, nous pouvons nous poser cette question, utile je crois
aux refondations qu'il nous faut accomplir :
que sait la matière que nous ne savons pas encore,
que nous échouons à porter jusqu'au langage ?
Ce qui découle de cette question est, il me semble, un
puissant torrent capable d'emporter bien d'anciennes certi-
tudes et des cadres épuisés. Car où s'arrête la responsabilité
d'un État ou d'une entreprise si nos corps portent les traces
des violences subies sur plusieurs générations? Et si nous
sommes reliés entre les âges par des marquages si profonds
dans nos corps, que reste-t-il de l'individu, de sa liberté, de
sa volonté
? Et enfin, si le sens apparaît là où surgit la bles-
sure, la douleur, que reste-t-il des techniques qui cherchent
à les effacer et quel nom donner à ce qui nous dépasse, nous
déborde, si tout est à découvrir non pas en levant les yeux
vers le Très-Haut, en appelant ce mystère Dieu ou Sens,
mais en descendant vers le plus bas, en acceptant Dieu ou le
Sens à la place même de cette intelligence souveraine, indé-
passable de la matière ?
J'en suis là pour ma part. J'en suis à cette question. Je ne
parviens pas à la pousser beaucoup plus loin. J'ai désormais
plus ou moins accepté la mort de mon frère. Je comprends
mieux pourquoi mon corps s'est mis à se plier comme autour
d'une corde. Je vois mieux ce qu'a causé le secret et d'où est
venue la violence. Et pour le reste, je n'oublie plus de me
mettre à l'écoute de la matière. Je fais le pari qu'il y a, dans