Chapitre 1

Un découpage géopolitique imposé

Dans les premières années du xxe siècle, l’Afrique était presque entièrement conquise par quelques puissances européennes. Les nations colonisatrices, qui possédaient 11 % de son territoire en 1875, en contrôlaient 90 % en 1902. Il ne restait alors que trois États indépendants : l’Éthiopie, le Liberia, le Maroc qui, objet de rivalités, allait lui aussi perdre sa souveraineté à brève échéance. En imposant leur domination, les pays européens ont opéré un redécoupage du continent africain. La nouvelle carte géopolitique a résulté tout à la fois d’avancées sur le terrain, obtenues bien souvent par des guerres contre les populations concernées, et des négociations entre les pays impliqués dans l’expansion coloniale. La création de nouveaux territoires et la fixation de leurs frontières se sont faites sans que les Africains aient été consultés et ils ont difficilement accepté leur mise en dépendance.

La formation d’empires coloniaux en Afrique

La carte coloniale de l’Afrique et le tracé des empires coloniaux, tels qu’ils existent au début du xxe siècle, résultent de l’expansion européenne des décennies précédentes et s’intègrent dans un processus d’ensemble dont on ne peut rappeler ici que les modalités principales.

Le processus du partage de l’Afrique : un élément de l’expansion impérialiste dans le monde

Les causes de l’impérialisme : l’état d’une controverse

Dans le dernier quart du XIXe siècle, les partisans de l’expansion justifiaient la création de colonies par de multiples raisons dont on peut trouver l’expression dans le discours, devenu célèbre, que Jules Ferry prononça devant la Chambre des députés, le 28 juillet 1885. Outre la possibilité de régler, le cas échéant, des problèmes de surpopulation (ce qui n’était pas le cas de la France) l’orateur y voyait un triple but : économique, grâce au placement fructueux de capitaux et à la création de débouchés ; humanitaire et civilisateur à l’égard des « races inférieures » ; enfin politique par la création de points d’appui stratégiques dans le monde et surtout par la participation au mouvement expansionniste afin de ne pas se laisser devancer par les autres nations. Des arguments analogues étaient développés par les hommes d’État désireux de promouvoir une politique expansionniste, comme Disraeli en Grande-Bretagne, dès le début de la décennie 1870, ou Crispi, en Italie, dans les années 1890.

Les causes profondes de l’expansion coloniale ont donné lieu à des analyses différentes de la part des historiens selon qu’ils valorisaient l’explication économique ou politique. Dans le premier cas, la création de colonies, en procurant un accès à des sources de matières premières et à des débouchés nouveaux, est présentée comme l’une des solutions apportées à la « grande dépression » que connurent les pays industrialisés de 1873 à 1895-1896. La corrélation entre le développement de l’impérialisme et la situation critique de l’économie capitaliste fut étudiée d’abord par des historiens influencés par le marxisme qui partaient de l’analyse de Lénine dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916). Le facteur économique est admis aujourd’hui comme l’un des éléments majeurs, mais pas unique, pouvant expliquer l’expansion européenne de la fin du XIXe siècle. La deuxième interprétation, pour sa part, met au premier plan le fait qu’à cette même époque existait dans tous les pays un consensus patriotique pour exalter la fierté, voire la supériorité nationale. C’est la montée des nationalismes qui poussait les États européens à conquérir le monde et à développer leur puissance en se constituant de vastes empires. Les historiens partisans de cette thèse (par exemple Henri Brunschwig, 1960) s’appuient sur des documents qui, comme celui d’Emil Zimmermann, défendaient une idéologie comparable dans chaque pays. Cet officier en poste au Cameroun, défenseur d’un projet d’empire colonial allemand en Afrique centrale, affirmait, en effet, dans un ouvrage publié en 1911 :

« Car, pour nous Allemands, les colonies sont d’une valeur beaucoup plus grande que ne le supposent de larges couches de notre peuple, et elles seront sans doute d’une importance toujours de plus en plus grande. Par leur acquisition, le Reich allemand est entré en compétition avec d’autres grands empires coloniaux. Il a ainsi repris une mission historique que les peuples de race germanique n’ont jamais oubliée depuis les bouleversements de la migration des Peuples. Mieux que tout autre peuple sur cette terre, ils ont prouvé leur puissante force populaire en tant que fondateurs d’États et de cités, en tant que porteurs d’une grande civilisation intellectuelle et morale, et en tant qu’honnêtes intermédiaires dans le commerce mondial. À présent, les Allemands ont retrouvé leur place au soleil, qu’ils n’avaient pas eu la force de conserver au cours des siècles précédents. »

Extrait de Unsere Kolonien, cité par A. Oloukpona-Yinnon, 1985, p. 123.

En fait, la hiérarchisation des causes de l’impérialisme, dont l’interprétation relève surtout de la philosophie de l’histoire, ne peut être établie systématiquement et appliquée à chaque conquête. Les théories globalisantes s’avèrent incapables d’offrir une explication valable à la fois sur le plan général et sur celui des cas particuliers dont les motivations sont parfois très différentes, d’un territoire à l’autre. Au demeurant, pour certains historiens, ce débat historiographique semble aujourd’hui dépassé, en particulier vu d’Afrique [E. Mbokolo, 1992].

Le triomphe des idées impérialistes

Quoi qu’il en soit, le mouvement impérialiste, qui lança l’Europe à la conquête du monde à partir des années 1870, aboutit en quelques décennies à placer la quasi-totalité du continent africain sous la coupe étrangère. Les partisans de l’expansion coloniale, minoritaires au début, l’emportèrent sur leurs adversaires qui craignaient surtout que les dépenses occasionnées par les conquêtes ne fussent trop élevées par rapport aux bénéfices éventuels. Dans chaque pays, une active propagande fut développée par des associations créées dans le but de susciter l’expansion et la conquête comme l’Imperial Federal League fondée en 1884 en Grande-Bretagne, la Kolonialverein créée en 1882 en Allemagne, ou le Comité de l’Afrique française (1890) et l’Union coloniale (1894) en France. De nombreux ouvrages furent publiés dans le but de justifier la colonisation, par exemple le livre devenu classique de Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, paru en 1874 et souvent réédité par la suite, ceux de Charles Dilke, Greater Britain (1866-1868) et de John Seeley, The Expansion of England (1883), ou bien en Allemagne, les œuvres de Heinrich von Treitschke, Friedrich Fabbri, et plus tard Ernst Hasse, Weltpolitik, Imperialismus und Kolonialpolitik (1908). Partout, des périodiques contribuèrent à exalter l’aventure coloniale tout en développant le goût pour la connaissance des autres continents, voire l’exotisme, que diffusaient également les sociétés de géographie et les mouvements scientifiques contemporains. Les défenseurs de l’idée coloniale, de plus en plus nombreux, arrivèrent au pouvoir et imposèrent leur politique : ainsi, les conservateurs anglais avec Benjamin Disraeli à partir de 1874 et plus tard lord Salisbury (1885-1892 et 1895-1902) ou encore l’unioniste Joseph Chamberlain (1895-1906) ; en France, Jules Ferry (1881 et 1883-1885), Eugène Étienne (1890-1893) ainsi que Gabriel Hanotaux (1894-1898) et Théophile Delcassé (1893-1895 et 1898-1905) ; en Italie Francesco Crispi (1887-1891 et 1893-1896) ; sans oublier, en Allemagne, Bismarck et surtout l’empereur Guillaume II.

En face de cet « impérialisme triomphant », pour reprendre une formule consacrée, il ne resta plus en Europe que des opposants par principe, qui se recrutaient plutôt parmi les socialistes. Toutefois, ces derniers étaient eux-mêmes divisés entre marxistes, qui condamnaient globalement la colonisation, et réformistes qui considéraient le fait colonial comme une réalité dont ils dénonçaient les abus et qu’il fallait faire évoluer au mieux des intérêts des populations colonisatrices et colonisées.

Le règlement des rivalités impérialistes : le choix de la concertation

La mainmise sur l’Afrique, qualifiée de « course au clocher » à cause de la compétition entre les pays européens, donna lieu à une véritable « mêlée » (scramble). Il en résulta des tensions entre les nations rivales, sur le terrain aussi bien qu’en Europe, comme ce fut le cas de la France et de la Grande-Bretagne à l’égard de l’Égypte (1881) ou du Haut-Nil (affaire de Fachoda, 1898). Toutefois, les gouvernants préférèrent négocier plutôt que d’aboutir à des conflits, si bien qu’aucune crise coloniale, aussi grave qu’elle ait pu être, n’entraîna de guerre en Europe : en témoigne le règlement de la question marocaine par la France et l’Allemagne (1911-1912). L’histoire du partage de l’Afrique est donc jalonnée de conférences internationales et de rencontres entre diplomates et dirigeants de pays concurrents afin d’aboutir à des ententes, mais sans jamais tenir compte de l’avis des Africains.

La conférence africaine de Berlin (15 novembre 1884 – 26 février 1885)

La première conférence coloniale eut pour sujet la question du Congo. Elle réunit à Berlin les représentants de treize pays d’Europe plus les États-Unis. Dans cette région, Léopold II, roi des Belges, qui voulait créer un État indépendant de tout pays européen, c’est-à-dire lui appartenant en propre, se heurtait aux ambitions françaises. Contrairement à une idée longtemps admise, l’Acte de Berlin, élaboré lors de la Conférence, n’a pas partagé l’Afrique. Il a tenté, au contraire, de sauvegarder des zones de libre-échange (le bassin conventionnel du Congo et la libre navigation du Niger) où tous les étrangers auraient les mêmes prérogatives économiques quel que soit le pays européen qui en prenne possession. Ce fut postérieurement que s’affirmèrent les thèses de l’hinterland et des sphères d’influence, à savoir qu’un État pourrait étendre ses possessions vers l’intérieur à partir d’un point d’appui sur la côte. La conférence de Berlin devint alors l’événement de référence pour le partage [H. Brunschwig, 1971].

Les traités de partage

Dans les années qui suivirent, de nombreux traités bilatéraux furent signés entre les pays engagés dans la conquête. Certains de ces actes concernaient de vastes régions où étaient délimitées les zones d’influence respectives des signataires ainsi que les frontières de leurs possessions ; d’autres s’intéressaient à des aires plus restreintes. À cause des connaissances géographiques souvent incertaines, l’accord se faisait sur des tracés géométriques le long de méridiens et de parallèles et l’on mentionnait que des commissions mixtes seraient chargées d’adapter ces lignes théoriques aux réalités du terrain.

L’Afrique tout entière fut ainsi l’objet de négociations où elle n’était parfois qu’un enjeu dans la politique internationale. Ainsi, les parties orientales et australes furent l’objet d’une entente conclue le 1er juillet 1890 entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne : la première y obtenait d’importantes positions en échange de l’îlot d’Héligoland en mer du Nord. Les rivalités se traduisirent aussi par des arrangements entre des États européens puissants au détriment des plus faibles. Alors que les limites du Nyasaland et des Rhodésies avaient été fixées par le traité anglo-portugais du 11 juin 1891 favorable à la Grande-Bretagne, cette dernière signa avec l’Allemagne, en 1898, un traité secret par lequel elles envisageaient de se partager les colonies portugaises en cas de banqueroute de la métropole : la première aurait le Mozambique méridional et l’Angola central, la seconde obtiendrait le Nord du Mozambique et le reste de l’Angola. La manœuvre fut déjouée car le Portugal obtint de la France l’emprunt que l’Angleterre lui avait refusé. Toutefois, dans les années qui suivirent, le Portugal ne cessa de craindre la perte de ses territoires, d’autant que l’accord anglo-allemand fut repris en 1913, à un moment où les ministres des Affaires étrangères anglais et allemand recherchaient des centres d’intérêt mutuels afin de diminuer la tension internationale. En réalité, les traités secrets, loin de menacer les possessions africaines du Portugal, furent une garantie de leur survie car ils y limitaient, dans une certaine mesure, la compétition entre Anglais et Allemands ainsi que leur influence [M. Newitt, 1981].

Plus au nord, la Grande-Bretagne reconnut, en 1891, la domination italienne sur l’Érythrée ainsi que son influence sur toute l’Abyssinie, mais cette dernière clause demeura sans effet car l’empereur d’Éthiopie refusa de s’y soumettre, comme nous le verrons plus loin. En Afrique centrale, la situation fut réglée en 1894 par des traités entre la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France.

En Afrique de l’Ouest, les actes les plus importants furent signés entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne (1890), entre la France et la Grande-Bretagne (5 août 1890 puis Convention du Niger du 18 juin 1898), entre la France et l’Allemagne (1897). En outre, plusieurs accords réglèrent des questions locales dont l’application, sur le terrain, fut opérée par des commissions bipartites, chargées de délimiter et d’aborner les frontières. Leurs membres recoururent généralement aux habitants pour connaître les limites des finages et éviter qu’un village ne soit coupé de ses terrains de culture. Ce furent d’ailleurs les seules circonstances où les Africains étaient consultés. Au demeurant, les lignes conventionnelles négligeaient les réalités pratiques : c’est ainsi, par exemple, que le port d’Agoué (Dahomey), amputé de son arrière-pays qui passa sous la tutelle des Allemands du Togo (1897), déclina, car la majorité de la population, lasse des tracasseries douanières au passage de la frontière, préféra s’installer dans la colonie voisine où elle pouvait plus aisément effectuer ses travaux agricoles.

Enfin, par la Convention du 8 avril 1904, la France et la Grande-Bretagne réglèrent leur contentieux afin de sceller l’Entente cordiale : en Afrique, les îles de Los (au large de la Guinée) furent données à la France en échange de sa renonciation à l’exclusivité de ses droits de pêche sur une partie de la côte de Terre-Neuve. Des rectifications de frontière entre le Sénégal et la Guinée, ainsi que dans le Nord du Dahomey y furent également décidées. Enfin, la France reconnaissait le protectorat britannique sur l’Égypte et obtenait l’assurance que les Anglais la soutiendraient dans ses ambitions sur le Maroc.

En l’espace de quelques décennies l’Afrique se trouva donc redécoupée. On a même pu parler « partage sur le papier » [R. Oliver, A. Atmore, 1970] alors que, parallèlement, se poursuivait l’occupation sur le terrain.

Les modalités de la mainmise sur l’Afrique à la fin du XIXe siècle

À l’exception de l’Algérie dont la conquête et la pénétration s’opéraient depuis 1830, les implantations européennes en Afrique étaient ponctuelles et limitées vers 1870 (cf. carte 1). L’intérieur du continent, à la différence des régions littorales, n’était pas entièrement connu des Européens bien que de nombreuses missions d’exploration aient eu lieu dans le courant du XIXe siècle. La progression des connaissances alla de pair avec celle des conquêtes.

Les Européens trouvèrent en face d’eux des entités politiques diverses : empires ou royaumes centralisés, unités politiques de moindre envergure (parfois appelées « chefferies »), cités-État, sociétés sans État. La situation de l’Afrique au XIXe siècle a été analysée diversement. Certains historiens, mettant au premier plan des facteurs endogènes (par exemple, sur le plan politique, les difficultés des pouvoirs centraux à pouvoir contrôler de vastes étendues, ce qui a permis le développement de forces centrifuges) et exogènes (en particulier, la nécessaire reconversion économique de la traite esclavagiste en commerce des produits, plus ou moins réussie par les communautés courtières), ont conclu que le continent était en « crise ». C’est la thèse de Basil Davidson ou encore de Yves Person lorsqu’il écrivait : « L’Afrique se trouvait colonisable au moment où une conjoncture propre à l’Europe allait la précipiter dans l’ère coloniale. » (in Deschamps, 1971.) À l’inverse, d’autres insistent sur les mutations qui se sont traduites par la création d’empires, la volonté de modernisation, la force de résistance. Partant de ce dynamisme, ils concluent au « mythe de la crise » [M’Bokolo, 1992]. Au demeurant, poser la question pour l’ensemble du continent nous paraît quelque peu anachronique. Les nombreuses recherches menées depuis quelques décennies ont, en effet, mis au jour une telle diversité de situations locales qu’il est impossible de trancher de façon globale. En conséquence, la mainmise européenne prit, elle aussi, des formes diverses en fonction des sociétés concernées.

Le processus d’une mise en dépendance à partir de questions financières : la Tunisie et l’Égypte

En Afrique du Nord, des circonstances identiques conduisirent à la perte de l’indépendance de l’Égypte et de la Tunisie. Les souverains respectifs des deux États avaient, en effet, contracté des dettes à l’étranger, dans le but d’effectuer des travaux de modernisation. Le règlement de ces dettes entraîna une crise financière qui se déroula selon les mêmes mécanismes, bien que le khédive Ismaïl et le bey Mohammed es-Sadok eussent des personnalités très différentes et que les ressources de l’Égypte fussent supérieures à celle de la Tunisie, sans minimiser le rôle du canal de Suez [J. Ganiage, 1959]. Dans les deux pays, des rivalités existaient entre des nations européennes désireuses de protéger leurs intérêts et de développer leur présence : la France se heurtait à la Grande-Bretagne en Égypte, et à l’Italie en Tunisie. La situation se dénoua par l’envoi d’expéditions militaires qui aboutirent d’une part au protectorat français sur la Tunisie en 1881-1883, d’autre part, à celui de la Grande-Bretagne sur l’Égypte en 1882. Les concurrents respectifs, placés devant le fait accompli, devaient régler leur contentieux par la suite : en 1900 pour la France et l’Italie, en 1904 pour la France et la Grande-Bretagne.

Des traités de « protectorat » ambigus en Afrique intertropicale

Dans l’Afrique au sud du Sahara, l’expansion à partir de possessions antérieures avait commencé avant la conférence de Berlin et se développa par la suite. Des missions d’exploration et de conquête étaient organisées par les partisans de la colonisation, avec ou sans l’aide de l’État, dans le double but de reconnaître des territoires peu pénétrés jusqu’alors et d’étendre les possessions de leurs pays respectifs. La méthode consistait à faire signer des traités de « protectorat » grâce auxquels les gouvernements colonisateurs justifièrent souvent leurs revendications territoriales, arguant du désir que les Africains avaient manifesté de se placer sous leur protection. Plusieurs centaines d’actes furent signés entre des explorateurs-conquérants et des Africains : rien que pour la France, 226 furent élaborés entre 1880 et 1890. Tous n’avaient pas la même valeur car les voyageurs étrangers ignoraient généralement si celui qu’ils appelaient « roi » ou « chef » avait la compétence et le droit d’engager sa communauté.

Bien plus, les deux parties n’interprétaient pas de façon identique le terme de « protectorat » : pour un Européen, il s’agissait d’une prise de possession au profit de son pays ; pour un Africain, c’était seulement un acte amical, car les fondements de la propriété collective n’admettaient aucune aliénation de la terre héritée des ancêtres. Il considérait donc le drapeau reçu en échange de sa signature comme un cadeau, et le fait de l’arborer, comme un geste d’hospitalité. Une fois le visiteur parti, il s’estimait libre de le remplacer par celui d’un autre pays si l’occasion s’en présentait. Cette différence de conception suscita des contestations lorsque le pays colonisateur voulut imposer sa loi en vertu d’un tel traité et dégénéra parfois en conflit comme ce fut le cas pour la guerre franco-danhoméenne à propos du port de Cotonou (1890).

Des guerres coloniales

Si une partie de la conquête s’est effectuée sans trouble apparent, cela ne signifie pas que les Africains ont accepté sans réagir la perte de leur indépendance. Certains ont même opposé un refus catégorique qui a entraîné la guerre. Contre ces résistances, les pays colonisateurs organisèrent des expéditions militaires composées souvent de soldats recrutés dans d’autres parties de l’Afrique et placés sous le commandement d’officiers métropolitains.

L’armement a joué un grand rôle dans ces guerres coloniales. Les Africains ont été vaincus essentiellement à cause de l’avance technologique de leurs adversaires dans ce domaine. Les gouvernements colonisateurs n’ont pas hésité, en effet, à investir de fortes sommes dans l’envoi de matériel militaire pour vaincre les résistances particulièrement difficiles ; c’est ainsi que les Anglais, en 1879, dépensèrent 5 millions de livres pour vaincre les Zulu qui les avaient battus quelques mois auparavant.

Les Africains n’ont pourtant pas sous-estimé l’importance de ce facteur. Leurs guerriers ont souvent combattu à l’aide de fusils achetés aux Européens. Béhanzin, par exemple, s’est procuré des armes et des munitions auprès de négociants allemands (1891-1892). Toutefois, il s’agissait généralement de modèles anciens que les commerçants européens proposaient à leurs acheteurs africains. Certains provenaient même des prises de guerre entre Européens, comme celles de la guerre franco-prussienne de 1870 que l’on retrouva au Danhomè après la conquête [H. d’Almeida-Topor, 1987]. Le commerce des armes d’occasion était, en effet, prospère et se poursuivait même pendant les hostilités : les commerçants des nations européennes non concernées ne perdaient pas l’occasion de faire des bénéfices fructueux en approvisionnant les Africains. Liège, en Belgique, était alors le centre mondial de la remise en état des fusils dits « de traite » avant qu’ils ne fussent expédiés en Afrique. Quant aux Américains, ils se spécialisèrent un peu plus tard dans la réparation des fusils à répétition.

Les expéditions militaires françaises

À partir des points d’appui du Sénégal et de la côte Atlantique, les gouvernements français successifs organisèrent des expéditions militaires contre les États africains qui entravaient leur progression à la fois vers le Niger, le Tchad et le Haut-Nil, ainsi que contre ceux qui empêchaient la jonction entre ses possessions de part et d’autre du Sahara.

En Afrique de l’Ouest, la poursuite des conquêtes commencées par Faidherbe, sous le Second Empire, suscita deux conflits majeurs et de longue haleine. Ainsi, Ahmadou, successeur d’El Hadj Omar depuis 1864, perdit progressivement ses positions avant de mourir en 1893. Quant à l’almamy Samori, qui avait créé, à partir des années 1860, un vaste empire situé aux confins de la Guinée et de l’actuel Mali, il mena contre les Français une lutte acharnée, entrecoupée de périodes de négociations, mais il fut capturé en 1898 et déporté au Gabon où il mourut en 1900.

Dans le golfe du Bénin, Béhanzin, devenu roi du Danhomè à la mort de son père (décembre 1889), s’opposa aux troupes françaises lors de deux conflits (1890 et 1892-1894). Il exposa dans plusieurs lettres adressées au représentant de la France les raisons de son combat ainsi que sa détermination à conserver l’intégrité de son royaume. En témoignent les extraits de sa correspondance du 10 avril 1892.

« S.M. le roi Béhanzin Ahidjèrè à M. Ballot à Porto-Novo :

« Je viens d’être informé que le Gouvernement Français a déclaré la guerre au Dahomey et que la chose a été décidée par la Chambre de France. […]

« Maintenant je viens vous dire : si vous restez tranquille, moi aussi je resterai tranquille et nous resterons en paix. Si par exemple, vous faites quelque chose, je ruinerai tout en général et le commerce aussi, et je ferai commerce avec d’autres nations. […]

« Je désirerais savoir combien de villages français indépendants […] ont été brisés par moi, roi du Dahomey ? Veuillez rester tranquille, faire votre commerce à Porto-Novo, comme cela nous resterons toujours en paix comme auparavant. Si vous voulez la guerre, je suis prêt. Je ne la finirai pas quand même elle durerait cent ans et me tuerait vingt mille hommes.

« Personne ne saura jamais rien de ce que je viens de vous écrire. J’attends votre réponse ; mais si la France veut me faire la guerre, je ne veux pas que vous m’avertissiez car je suis toujours prêt sur tous les points.

« Je suis informé de tout ; je connais le nombre de millions que la France veut dépenser pour commencer la guerre. Je suis très bien informé. J’ai reçu la lettre que vous m’aviez envoyée par Zodohoncon de Cotonou, à Ouidah, ainsi que celle que vous aviez confiée au chef de Décamè. Je les ai reçues toutes les deux lettres et j’ai pris note,

Signé BÊHANZIN AHIDJËRË, roi du Dahomey. »

cité par Dunglas, 1958.

On peut relever, dans ce texte, d’une part le refus de l’ingérence étrangère, d’autre part la menace de recourir à d’autres partenaires commerciaux, et enfin le fait que Béhanzin était bien informé sur ce qui se passait à l’étranger, en particulier par les journaux anglais de Lagos (colonie britannique). La guerre qui commençait alors se solda par la prise de sa capitale, Abomey, après une lutte acharnée de ses guerriers et de ses « amazones » [H. d’Almeida-Topor, 1984] et s’acheva par sa reddition, en janvier 1894. Il fut déporté en Martinique puis en Algérie où il demeura jusqu’à sa mort en 1906.

Le Soudan central fut soumis à l’aide de trois expéditions parties respectivement d’Algérie (expédition transsaharienne dirigée par le commandant Lamy, en 1898-1899), de Say sur le Niger (mission Voulet-Chanoine, 1899) et du Gabon (mission Gentil). La jonction s’opéra en 1900 dans la région du Tchad. Ils se heurtèrent à Rabah, qui avait créé un État puissant mais dont les troupes disposaient d’un armement inférieur. La bataille de Kousseri (22 avril 1900) où il périt ainsi que son adversaire, le commandant Lamy, constitua la dernière grande action de conquête française en Afrique noire. Il fallait encore, pour dominer le Sahara, vaincre la résistance sénoussi qui se poursuivit jusque dans l’entre-deuxguerres [J.L. Triaud, 1987].

La prise de Madagascar donna lieu, elle aussi, à des interventions militaires. À la fin du XIXe siècle, c’était une monarchie qui avait des relations avec l’Angleterre et la France. Une grande partie de son commerce extérieur était aux mains de Français qui voulurent développer leurs intérêts économiques. Après une première guerre franco-malgache, la France imposa le traité de 1885 qu’elle considérait comme un protectorat. À l’opposé, le gouvernement de la reine Ranavalona III, dirigé par le Premier ministre Rainilaiarivony, estimait avoir conservé son indépendance et œuvrait dans le sens de son maintien. Cette attitude détermina l’envoi d’une expédition militaire française, en 1894. Les Français prirent la capitale, Tananarive, en 1895, et forcèrent le Premier ministre à démissionner. La reine se vit imposer un nouveau traité de protectorat. Cette ingérence étrangère entraîna de nombreuses révoltes. Pour affirmer son autorité, le général Gallieni fut chargé d’organiser la répression et de rétablir l’ordre. Il utilisa des méthodes de force. Il renversa la monarchie, déposa la reine (1895) puis l’exila (1897). Madagascar, annexée, devint une colonie. Toutefois, la population accepta mal la domination française ainsi que les graves abus commis par les militaires. Aussi, pendant les dix années qui suivirent, l’administration dut faire face à de nombreux troubles qui éclatèrent dans la plupart des régions de l’île et procéder à une « pacification » comme nous le verrons par la suite.

Les guerres coloniales furent justifiées non seulement comme étant inhérentes au développement de l’empire, mais encore comme des actes humanitaires menés contre des « despotes ». En témoigne, à titre d’exemple, la teneur de la sentence lue par le général de Trentinian à Samori, devant la population de Kayes, le 29 septembre 1898 :

« Samory,

Tu as été le plus cruel des hommes qui se soient vus au Soudan. Tu n’as pas cessé pendant plus de vingt ans de massacrer les pauvres Noirs. Tu as agi comme une bête féroce. Toi et ceux qui sont les instruments de tous tes crimes, vous devriez périr de la mort la plus terrible. Mais les braves Français qui t’ont fait prisonnier, t’ayant promis la vie, ainsi qu’à tous les tiens, le gouvernement français dans sa parfaite loyauté a décidé que vous auriez la vie sauve et que vous seriez déportés sur une terre d’Afrique si lointaine qu’on y ignorera ton nom et tes forfaits. Ton fils Sarankégny Mory et Morilingdian ton conseiller t’y suivront. Quant aux autres, ils habiteront nos postes du Sahel et du Nord afin qu’ils puissent dire à tous ceux qui songeraient à imiter ton exemple, que personne n’a jamais pu résister aux officiers, aux sous-officiers français et aux braves soldats noirs qui les suivent. »

Extrait de général GOURAUD, Au Soudan, 1939, p. 225.

La présentation de ces chefs d’État africains comme des « roitelets sanguinaires » devait se pérenniser dans la population française habituée à les connaître, dès l’école primaire, à travers des manuels scolaires qui, au fil du temps, reprenaient tous les mêmes images négatives. Le fait qu’ils aient pu combattre pour sauvegarder leur indépendance était occulté, ce qui permettait de considérer la France et les autres pays colonisateurs, non comme des occupants mais comme des libérateurs.

Les expéditions militaires britanniques

La Grande-Bretagne, voulant étendre ses territoires à partir de ses implantations sur le littoral de la Côte de l’Or (Gold Coast), se heurta aux Ashanti qui refusaient sa domination. Les « guerres Ashanti », commencées par l’incorporation des États côtiers (1874), s’achevèrent après deux campagnes importantes, en 1896 et en 1900, à la suite desquelles les Ashanti furent contraints de se soumettre.

Parallèlement, les Anglais poursuivirent leur expansion dans l’arrière-pays du Lagos et à partir des Rivières de l’Huile. Il s’agissait de gagner de vitesse les gouvernements français et allemand dans la course au Niger. Dans cette région s’était installée une compagnie à charte, la Royal Niger Company appartenant à sir George Goldie, qui avait étendu sa domination à la fois en signant des traités avec des souverains locaux et en utilisant sa force armée pour conquérir les États récalcitrants. Elle se heurta également à une expédition française dans le Borgou. Ces opérations étaient à la fois coûteuses et dangereuses pour une compagnie privée [R. Oliver, A. Atmore, 1970], aussi le gouvernement britannique mit-il fin à la charte (1898). Il poursuivit les conquêtes en pays hausa, en direction du Tchad.

La présence française ne lui permit pourtant pas d’opérer la jonction avec les régions du Haut-Nil. Les forces anglo-égyptiennes y avaient, en effet, battu l’État mahdiste et pris Khartoum en 1898, avant de s’installer à Fachoda que le capitaine Marchand fut obligé d’évacuer. Cette « affaire de Fachoda », que nous avons évoquée plus haut, suscita entre Français et Anglais une vague d’antipathie, voire de haine, qui mit plusieurs années à s’amortir.

En Afrique australe, la découverte de mines de diamants (1867) et d’or (1881) fut à l’origine de l’expansion anglaise au détriment des Africains d’une part et des États boers, de l’autre. Tandis qu’ils réduisaient progressivement l’autonomie des différents peuples de la région (par exemple les Basuto ou les Xhosa), ils engagèrent la guerre contre l’Empire zulu, dirigé par Ketshwayo. Les guerriers zulu défirent les Anglais à Isandlwana, en janvier 1879, suscitant une immense émotion en Europe où l’on s’étonnait que des Noirs aient pu battre la première puissance mondiale. Cette dernière prit sa revanche quelques mois plus tard, à l’aide d’un armement particulièrement important. Elle entra dans Ulundi, capitale de Ketshwayo, en juillet 1879, et imposa son protectorat à l’Empire zulu dont elle détruisit les structures sociales et militaires

Cette victoire avait étendu l’autorité britannique sur une vaste région. Toutefois, les États boers, Orange et Transvaal, constituaient des barrières à l’exploitation capitaliste que préconisaient les Anglais et en particulier Cecil Rhodes, président de la British South Africa Company (à l’origine des Rhodésies), dirigeant de la compagnie minière De Beers et, de surcroît, Premier ministre de la colonie du Cap. Il s’employa à réaliser l’union de l’Afrique australe, s’opposant ainsi à Paul Krüger, le président de la République du Transvaal. Le conflit éclata en 1899. Cette guerre contre une population d’origine européenne suscita une flambée d’anglophobie en Europe où le président Krüger multipliait vainement ses appels à l’aide auprès de plusieurs pays dont l’Allemagne. Les hostilités se terminèrent en mai 1902, par la paix de Vereeniging qui consacrait la défaite des Boers et le triomphe du projet britannique.

Les dernières conquêtes au début du xxe siècle

Au début du xxe siècle, la majeure partie de l’Afrique était partagée entre les Européens. Les dernières conquêtes allaient s’opérer dans le Nord de l’Afrique.

Le Maroc

La question du Maroc joua un rôle important dans la marche vers la Première Guerre mondiale parce qu’elle exacerba les rivalités franco-allemandes. Au tournant du xxe siècle, l’Empire chérifien traversait une crise politique et financière à la faveur de laquelle la France avait établi de fortes positions. Les accords territoriaux des 20 avril et 7 mai 1902, concernant les confins algéro-marocains, avaient décidé que la police, la douane et la surveillance des marchés seraient organisées en commun dans les régions frontalières. Dans la pratique, cette disposition permettait au gouvernement français d’organiser et de contrôler l’administration quitte à reverser au sultan les droits de douane qui lui reviendraient. Deux emprunts, en 1902 et en 1904, contractés dans des conditions onéreuses, donnèrent aux banques françaises, et en particulier au groupe Paribas, une place privilégiée au Maroc [P. Guillen, 1972]. Dès lors, étaient mises en place les bases de la domination : contrôle des finances, occupation militaire des régions limitrophes et liberté de manœuvre diplomatique grâce à l’Entente cordiale [J. Thobie, 1991]. Toutefois, l’Espagne avait également des bases au Maroc où elle disposait, depuis le xvie siècle, des Présides. Elle accepta l’éventualité d’une domination française en échange d’une extension de ses implantations et d’un territoire saharien (octobre 1904). Pour sa part, l’Allemagne y avait de faibles intérêts économiques mais elle désirait surtout éprouver la solidité de l’alliance franco-britannique.

Une première période de tension entre la France et l’Allemagne commença au lendemain d’un discours prononcé par Guillaume II à Tanger, le 31 mars 1905. Alors qu’une mission française conduite par Saint-René Tallandier avait proposé au sultan un plan de réformes, le Kaiser prit nettement position contre la France, sans prononcer son nom, en affirmant : « J’espère que sous la souveraineté du Sultan, un Maroc libre restera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations sans monopole et sans annexion, sur le pied de l’égalité absolue […] Je suis décidé à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sauvegarder les intérêts de l’Allemagne au Maroc puisque je considère le Sultan comme un souverain absolument libre. »

Une Conférence internationale, demandée par l’Allemagne et acceptée par le gouvernement français avec beaucoup de réticences, s’ouvrit à Algésiras, le 16 janvier 1906. Y participaient, entre autres, les États-Unis qui, par la voix du président Roosevelt, avaient donné l’assurance que l’ensemble des puissances ne permettrait pas « une injuste attaque de l’Allemagne contre les intérêts français ». Par l’acte final du 7 avril, la France obtint une prépondérance de fait mais sans avoir une totale liberté d’action. La question resta en l’état jusqu’à ce qu’en 1909 soit conclu un accord par lequel l’Allemagne reconnaissait à la France une situation privilégiée au Maroc en échange d’avantages économiques. La question n’était pourtant pas réglée.

Une deuxième crise éclata en juillet 1911 avec le « coup d’Agadir » : l’Allemagne avait envoyé un navire de guerre et débarqué un petit contingent pour « protéger les négociants allemands », mais elle rompait également l’acte d’Algésiras et demandait de nouvelles négociations [J.-C. Allain, 1976]. La tension montant, on put craindre un conflit, mais cette fois encore le différend colonial se solda par des négociations qui aboutirent à l’accord du 4 novembre 1911 : l’Allemagne reconnaissait à la France le droit d’imposer son protectorat au Maroc mais recevait en échange une vaste région située entre le Cameroun et le Congo belge avec un accès à l’océan Atlantique et deux points de contact sur la rive du Congo et de l’Oubangui ; elle cède également au Sud du Tchad un petit territoire, le « bec de canard » (cf. carte 2). La domination allemande était ainsi consolidée en Afrique centrale.

La convention de Fès, le 30 mars 1912, établit le protectorat français sur le Maroc. L’Espagne y conservait ses possessions agrandies du Rif. Tanger devenait une ville internationale dont le statut sera fixé en 1923.

La Libye

La Tripolitaine constituait une province de l’Empire ottoman que l’Italie considérait comme devant lui être réservée pour compenser son échec en Tunisie. Des accords signés avec la France, en 1900 et en 1902, avaient conforté cette opinion sur la base d’un véritable troc : cette dernière renonçait à son influence sur la Tripolitaine, dont le commerce transsaharien était sauvegardé, en échange de sa liberté d’action au Maroc. En 1911, l’Italie attaqua Tripoli et, en 1912, la Cyrénaïque. Elle rencontra la résistance de la Sanûsiyya dont l’influence s’étendait de la Cyrénaïque jusqu’au Kanem-Bornou, à travers le Fezzan et le Ouadaî. Son opposition, à la fois religieuse et politique, prit rapidement les caractéristiques d’un mouvement nationaliste [J.-L. Triaud, 1991].

Dans le même temps qu’ils se partageaient l’Afrique, les États colonisateurs mirent en place, chacun, une organisation politique et administrative lui permettant d’asseoir son contrôle sur les territoires nouvellement conquis.

Les rapports entre les métropoles et leurs possessions coloniales

Le nouveau découpage de l’Afrique fut concrétisé par la formation de gouvernements coloniaux, étroitement liés à la métropole dont ils recevaient les directives.

Les services centraux

Les relations entre les territoires dépendants d’Afrique et leur métropole évoluèrent au sein d’empires coloniaux qui dépassaient souvent le cadre de ce continent. La gestion de cet empire dépendait, dans chaque pays colonisateur, d’une administration spécifique : le Colonial Office en Grande-Bretagne, le ministère des Colonies en Allemagne, qui avait succédé, en 1907, à une section spécialisée du ministère des Affaires étrangères. En Belgique, un ministère des Colonies avait été mis en place pour appliquer la charte de 1908 transformant l’État indépendant en Congo belge. Le cas de la France était plus complexe puisque les territoires relevaient d’organismes différents en fonction de leur nature : ministère des Affaires étrangères pour les protectorats de Tunisie et du Maroc, ministère des Colonies organisé en 1894, et qui succédait à l’ancien sous-secrétariat d’État aux Colonies, afin de gérer les colonies proprement dites, ministère de l’Intérieur pour l’Algérie. Chaque ministère possédait un département ou un service spécialisé dans les affaires africaines. En France, certains directeurs des Affaires africaines eurent un rôle décisif dans la prise de décisions, comme Louis Binger, ancien gouverneur de Côte-d’Ivoire (1893), qui occupa ce poste de 1897 à 1907.

Les rapports entre la métropole et ses territoires étaient régis sur le plan juridique par le titre de droit qui avait établi la domination coloniale, par exemple un traité de protectorat ou un acte d’annexion par voie de conquête. Sur le plan pratique, les régimes concédés à chacun des éléments d’un empire pouvaient varier en fonction de la politique générale de la métropole. En découlait une multiplicité de situations dont on peut dresser une typologie pour le début du xxe siècle.

Les protectorats : un maintien fictif des souverainetés antérieures

Dans le système du protectorat, la métropole avait maintenu en droit la souveraineté antérieure, mais elle s’était assuré l’autorité et, de façon plus ou moins directe, le bénéfice de l’administration. À la base du protectorat se trouvait, en effet, le maintien théorique du pouvoir du souverain autochtone qui régnait mais ne gouvernait pas. L’administration antérieure était conservée ainsi que ses rouages, toutefois la métropole en assurait le contrôle au plus haut niveau par l’intermédiaire d’un haut fonctionnaire (appelé « résident » dans un territoire protégé par la France) qui transmettait également les directives de son pays au souverain local. L’État protecteur assurait de surcroît la représentation diplomatique et la défense de son « protégé ».

Ce régime eut pour prototype le protectorat de la France sur la Tunisie (1881-1883). Par la suite, le système fut volontiers utilisé mais il recouvrit, en fait, des réalités différentes, en fonction du contexte national ou international. Ainsi, contrairement à la Tunisie où les pays tiers avaient dû renoncer à leur puissance capitulaire, le protectorat imposé par la France au Maroc, en 1912, permit à l’Espagne de conserver ses enclaves (Tétouan, par exemple) ; en outre, la Grande-Bretagne puis les États-Unis purent maintenir leurs propres juridictions. Lyautey, nommé résident de France le 28 avril 1912, contraignit le sultan régnant à abdiquer et le remplaça par Moulay Youssef. Dans les années suivantes, le gouvernement français imposa une administration directe en coiffant les fonctionnaires locaux par des Français, ce qui aboutit à vider le protectorat de son contenu [D. Rivet, 1988].

Le régime établi par la Grande-Bretagne sur l’Égypte fut qualifié de « protectorat de fait déguisé » par lord Milner (ministre des Colonies de 1918 à 1920). Il ne lui était pas possible, en effet, d’annexer franchement le pays qui était toujours sous la suzeraineté nominale de l’Empire ottoman, son allié. Le « consul anglais et ministre plénipotentiaire » y avait, en droit, les mêmes prérogatives que les consuls des autres États mais, en fait, il exerçait l’autorité souveraine en donnant au khédive des « conseils » qui devaient être suivis impérativement. Lord Cromer, qui assuma ces fonctions de 1883 à 1907, décrivait ainsi son rôle : « Mes méthodes de gouvernement s’inspirèrent de l’examen de chaque cas en particulier. Tantôt j’éperonnais les Égyptiens récalcitrants pour les pousser sur les sentiers du progrès. En d’autres circonstances il me fallait faire entendre à un jeune Égyptien gallicisé que les doctrines d’un régime ultra-républicain n’étaient pas applicables à la société égyptienne de notre temps […]. Souvent, retiré dans ma coquille diplomatique, je paraissais simplement à l’égal des consuls généraux des autres puissances. Mais quelquefois aussi je passais avant tout le monde comme le représentant du souverain dont les soldats tenaient l’Égypte dans leurs serres. »

La présence de soldats, en tant que « visiteurs », selon l’expression de Milner, garantissait, en effet, l’application des directives britanniques. Le khédive nommait toujours ses ministres, mais des fonctionnaires anglais étaient placés dans chaque ministère qui était dirigé, en réalité, par un « conseiller général » anglais. Une nouvelle Constitution, en 1913, puis le protectorat (1914) n’apportèrent que des changements mineurs dans la composition des organes législatifs dont le rôle était plutôt consultatif. L’ambiguïté des relations entre la Grande-Bretagne et l’Égypte prenait tout son sens dans le condominium que les deux autorités exerçaient sur le Soudan, depuis 1899. La première y exerçait la réalité du pouvoir par l’intermédiaire du gouverneur général ainsi que des administrateurs et des officiers supérieurs britanniques. Les Égyptiens, qui occupaient de hauts grades militaires et administratifs, étaient relégués dans une position intermédiaire par rapport aux Soudanais. En outre, le déficit budgétaire, constant jusqu’à la veille de la guerre, était comblé uniquement par le budget égyptien [R. Oliver, A. Atmore, 1970]. Bien que dénommé « anglo-égyptien », l’organisation du condominium était inégalitaire et consacrait la domination des Britanniques.

En Afrique, au sud du Sahara, les nombreux traités de protectorat évoqués plus haut furent appliqués diversement. Au Nigeria, par exemple, le protectorat des Rivières de l’Huile, administré par le Foreign Office, passa sous la dépendance du Colonial Office, ce qui ne respectait plus sa situation de pays étranger. Au nord, Lugard (qui obtiendra le titre de lord en 1929), premier gouverneur du Nigeria du Nord (1900-1906), appliqua une politique de protectorat où il utilisait l’autorité des souverains locaux et les structures des anciennes communautés, et qu’il continua à pratiquer lorsqu’il fut nommé gouverneur général du Nigeria (1912). Toutefois, ce système, auquel il devait attacher son nom, constituait une méthode de gouvernement interne à la colonie, « le lugardisme », et ne changeait pas ses relations avec la métropole qui conservait le pouvoir de décision.

Dans la plupart des territoires français, on évolua vers une administration directe par l’annexion pure et simple (à Madagascar, par exemple, en 1895-1896). Même lorsque la fiction du protectorat fut maintenue par l’existence d’un résident (titre que portait, par exemple, l’administrateur français de la circonscription de Porto-Novo qui était un royaume intégré dans la colonie du Dahomey et dépendances), ce dernier n’avait de compétences ni de prérogatives différentes de celles des autres fonctionnaires du territoire. Les protectorats étaient donc vidés de leur signification et considérés comme des colonies puis ils furent supprimés en AOF par décret du 23 octobre 1904.

Les colonies : une dépendance affirmée

Les colonies concédées

Au début du xxe siècle, les colonies concédées par les métropoles à des sociétés privées, quelques décennies auparavant, avaient perdu de leur importance. Ce système, qui avait été utilisé par tous les États colonisateurs à des degrés divers, avait abouti à des échecs. La plupart des compagnies concessionnaires avaient, en effet, renoncé à leur monopole, préférant voir les États se charger de la gestion des territoires concernés et de la mise en place d’infrastructures coûteuses [C. Coquery-Vidrovitch, 1972]. Les colonies anciennement concédées étaient donc, pour la plupart, devenues des colonies « ordinaires », sous la dépendance entière de la métropole. Les dernières compagnies concessionnaires, comme celle du Mozambique, devaient disparaître au début de la Seconde Guerre mondiale.

Les colonies à gouvernement direct

L’organisation coloniale variait en fonction des États colonisateurs. Toutefois, les responsables des gouvernements locaux, qui portaient des titres différents selon les territoires, étaient tous de hauts fonctionnaires métropolitains nommés par leur pays qui définissait leurs compétences et dont ils appliquaient les décisions. La Grande-Bretagne avait installé à la tête de chacune de ses colonies africaines un « gouverneur général » qui était en relation directe avec le Colonial Office. Les possessions portugaises, réorganisées en 1907 pour le Mozambique et en 1913 pour l’Angola, étaient dirigées chacune par un « gouverneur » doté de pouvoirs très étendus en matière d’administration locale et de politique « indigène ». Au Congo belge, un « gouverneur général » était chargé d’appliquer les décrets pris en métropole.

Pour sa part, la France avait regroupé ses colonies d’Afrique noire en deux fédérations : l’Afrique occidentale française (AOF), créée en 1895 et réorganisée en 1904, et l’Afrique équatoriale française (AEF) fondée en 1910. Leur structure hiérarchique était analogue : à la tête de chaque fédération, un « gouverneur général » (installé respectivement à Dakar et à Brazzaville) constituait un rouage intermédiaire entre le ministère des Colonies et les différentes composantes du groupe, régies par des arrêtés généraux publiés au Journal Officiel de la fédération, promulguant les lois et décrets pris en métropole. Il était assisté d’un Conseil de gouvernement à compétence consultative, formé des responsables des divisions et services administratifs de la fédération, des gouverneurs de chaque colonie, de représentants des maisons de commerce et de quelques notables locaux nommés par arrêté général (puis élus au suffrage restreint à partir de 1925). Il disposait d’un budget particulier pour l’AOF qui était alimenté, depuis 1905, par les droits de douane ou les taxes de consommation des colonies de son groupe. Dans chacune de ces dernières, un lieutenant-gouverneur (couramment appelé gouverneur avant d’en obtenir officiellement le titre en 1937), était responsable du gouvernement local composé de différents services : « affaires politiques », « affaires économiques », « douanes », « santé », « vétérinaire » etc. Il dirigeait le Conseil d’administration de la colonie au sein duquel devaient être pris les arrêtés locaux publiés au Journal Officiel de la colonie, du moins en théorie, car en pratique ces actes émanaient de sa seule autorité, en conformité avec les directives du gouverneur général. Chaque colonie était divisée en circonscriptions ou « cercles » placés sous la responsabilité d’un administrateur surnommé « commandant de cercle » même lorsqu’il s’agissait d’un civil – ce qui était le cas le plus répandu à cette époque – à cause de ses fonctions de commandement. Il pouvait avoir sous son autorité des adjoints chargés de subdivisions dans des circonscriptions particulièrement étendues. Tous étaient des fonctionnaires français. L’ensemble était contrôlé périodiquement, environ tous les cinq ans, par l’inspection générale des Colonies qui dépendait étroitement du ministre et dont les membres, les inspecteurs généraux, étaient recrutés par cooptation ; ils avaient des prérogatives particulièrement étendues en matière d’investigation.

Le regroupement des possessions françaises d’Afrique noire au sein des deux fédérations eut des conséquences majeures sur l’existence de chacune des colonies. Contraintes de verser au budget fédéral le montant des taxes douanières, elles n’en récupéraient qu’une partie sous forme de subvention, variable d’une année à l’autre, et dont la répartition se faisait en fonction de la politique générale décidée par la métropole sur proposition du gouverneur général, au nom de la nécessaire solidarité entre les colonies du groupe. En outre, des sommes importantes étaient affectées au fonctionnement du gouvernement général et investies pour construire des édifices publics et moderniser les capitales fédérales. Ainsi, à la différence des possessions étrangères dont le budget était alimenté par l’ensemble des recettes provenant de leur propre territoire, les colonies françaises durent augmenter les impôts directs pour pallier le prélèvement de leurs recettes douanières. Chaque fois que les gouvernements généraux diminuaient, voire supprimaient la subvention aux colonies de leur groupe, ces dernières devaient accroître leur fiscalité directe. Or cette organisation devait se maintenir, avec des modifications de détail, jusqu’en 1956.

Le cas particulier de l’Algérie

L’évolution des rapports entre la France et l’Algérie aboutit, au tournant du xxe siècle, à une situation particulière. L’Algérie, qui dépendait du ministère de l’Intérieur, était en effet divisée en trois départements qui envoyaient des députés à la Chambre, mais elle était dotée d’institutions spécifiques qui la différenciaient des départements métropolitains : un gouverneur et des « délégations financières ». Les pouvoirs du premier furent précisés par un décret de 1896. Il était assisté d’un Conseil de gouvernement, composé de hauts fonctionnaires, et d’un Conseil supérieur où entraient les délégués des conseils généraux. Parmi les gouverneurs successifs : Cambon (1891-1897) et Jonnart (1900-1901 et 1903-1911), surnommé le « grand proconsul ».

Par la loi du 19 décembre 1900, l’Algérie cessa d’être considérée comme « un simple prolongement de la France » car elle était désormais dotée de la personnalité civile et de l’autonomie budgétaire à l’exception des dépenses militaires, de certaines pensions civiles et des garanties d’intérêt du chemin de fer (Ch.-R. Ageron, 1990). Les « délégations financières », créées en 1898, qui avaient eu d’abord une compétence consultative en matière d’impôt, votaient le budget spécial pour l’Algérie préparé par le gouvernement. Elles formaient une assemblée unique, divisée en plusieurs sections représentant chacune des « intérêts différents » (24 délégués par les colons soit 8 par département, 24 par les contribuables français qui n’avaient pas la qualité de colons, 21 représentants des « indigènes musulmans », soit 15 Arabes et 6 Kabyles) et qui délibéraient séparément. Les différences avec la métropole étaient sensibles même en ce qui concernait le corps électoral des « délégations françaises » dont étaient exclus plus de la moitié des citoyens jouissant de leurs droits politiques. Le système visait, en effet, à écarter les naturalisés de fraîche date au profit des Français d’origine [J. Ganiage, 1966]. Quant aux représentants musulmans, ils étaient élus au suffrage très restreint ou bien nommés par le gouverneur général selon leur territoire d’origine. Les membres de l’Assemblée, désignés pour six ans, étaient renouvelés par moitié tous les trois ans.

Un Conseil supérieur de gouvernement, réorganisé en 1898 et composé de 59 membres à partir de 1901, comprenait 28 membres administratifs (hautes personnalités civiles et militaires, fonctionnaires indigènes) et 31 élus (15 conseillers généraux et 16 délégués financiers dont 4 musulmans). Bien qu’ayant la compétence d’une chambre haute, elle eut en réalité un rôle très effacé par rapport au gouverneur général et aux Délégations.

Ainsi, malgré l’emploi d’une terminologie administrative analogue, l’organisation de l’Algérie différait de celle de la métropole autant que de celle des autres possessions françaises.

L’union sud-africaine : un dominion de l’empire britannique

Après sa victoire sur les États boers, la Grande-Bretagne favorisa un rapprochement entre les territoires d’Afrique australe. L’union douanière sud-africaine, constituée en 1906, précéda l’union législative effectuée en 1910 avec la création de l’Union sud-africaine, dotée de l’autonomie interne. Cette dernière regroupait la province du Cap, le Natal, le Transvaal et l’Orange qui conservaient leur gouvernement particulier. En revanche, des instances communes agissaient pour l’ensemble de l’Union : un Parlement siégeant au Cap et un gouvernement responsable, dirigé par un Premier ministre, installé à Pretoria. Comme dans les autres dominions de l’Empire britannique, la Grande-Bretagne n’intervenait pas dans la politique intérieure, mais elle se réservait le domaine extérieur, sans concertation avec les « nations sœurs ». Toutefois, la Première Guerre mondiale allait faire évoluer la conception de l’Empire.

Les pays indépendants à la veille de la Première Guerre mondiale

Il ne restait plus, vers 1914, que deux États indépendants en Afrique. Ils purent maintenir leur souveraineté dans des contextes différents mais en utilisant des méthodes analogues à celles des colonisateurs européens à la fois pour délimiter leurs frontières et pour étendre leur influence.

Le Liberia

Fondé en 1816 par une société philanthropique des États-Unis pour promouvoir le rapatriement en Afrique d’anciens esclaves affranchis, l’établissement s’agrandit et devint, en 1847, une république indépendante dotée d’une Constitution analogue à celle des États-Unis ; toutefois, les droits politiques y étaient refusés aux Blancs. Les Américano-Libériens, qui regroupaient environ 20 000 personnes, agrandirent leur territoire au détriment des populations de l’hinterland, évaluées à un million d’habitants. Ils procédèrent, comme les Européens, par des explorations ayant pour but d’imposer des traités de « protectorat », par des interventions dans les guerres locales en échange d’avantages territoriaux, ainsi que par des guerres de conquête à l’aide de troupes dotées d’armes modernes (en particulier contre les Krew en 1915 et en 1930). La délimitation de leur pays avec les colonies voisines, qui fit l’objet de conventions avec la France et avec la Grande-Bretagne, était pratiquement achevée au tournant du siècle.

L’Éthiopie

L’Éthiopie exerçait une véritable fascination sur l’Occident à cause de ses origines légendaires qui remonteraient au fils de la reine de Saba et du roi Salomon. En outre, elle était considérée comme un « bastion » de la chrétienté au milieu de peuples animistes ou musulmans, donc comme un État « civilisé » au regard des Européens du XIXe siècle. Le négus (empereur) Théodoros II (1855-1867) avait consolidé son Empire en s’appuyant sur l’Église chrétienne et sur une armée modernisée. Son œuvre fut poursuivie par ses successeurs, en particulier par Yohannès puis par Ménélik II. Ce dernier accéda au trône en 1889. Il régnait jusqu’alors au Choa et avait renforcé la puissance militaire de son royaume en se procurant des armes modernes contre de l’ivoire auprès des Italiens et des Français qui faisaient un trafic fructueux, auquel participait, par exemple, Arthur Rimbaud. Devenu maître de l’Empire, Ménélik II entreprit de fixer ses frontières avec l’Érythrée italienne et signa le traité d’Ucciali (2 mai 1889) qui, par la suite, servit d’argument à l’Italie pour tenter de lui imposer un protectorat après l’avoir notifié aux puissances européennes, le 11 octobre, conformément à l’Acte de Berlin (1885). La version italienne du traité, à la différence du texte amharique, contenait, en effet, une clause par laquelle la diplomatie italienne devait servir d’intermédiaire dans les relations extérieures de l’Éthiopie. Ménélik II, couronné le 3 novembre, refusa d’accepter ce protectorat que les pays européens considéraient déjà comme un fait accompli. Il se prépara donc à la guerre, intensifiant son armement en même temps qu’il agrandissait son territoire. Puis il dénonça le traité, le 12 février 1893. La guerre était imminente. Elle commença en janvier 1895 et se poursuivit jusqu’à la victoire d’Adoua où les troupes italiennes, qui comprenaient également des Érythréens, furent battues (1er mars 1896), ce qui fit sensation en Europe. La paix d’Addis-Abeba (26 octobre 1896) consacra l’indépendance de l’Éthiopie et fut suivie de négociations diplomatiques pour délimiter son territoire avec celui des autres puissances implantées dans la région : la France, la Grande-Bretagne et l’Égypte. Les relations avec l’Italie furent réglées par les traités de 1897 et de 1908 qui définissaient les frontières entre l’Éthiopie et l’Érythrée ainsi que les limites de la Somalie. Fort de son prestige, le négus poursuivit sa politique expansionniste, contribuant ainsi à la « mêlée » et au redécoupage de l’Afrique.

Bilan : la carte de l’Afrique

À la veille de la Première Guerre mondiale, les frontières de l’Afrique contemporaine étaient fixées, à quelques modifications près (cf. carte 3). La France et la Grande-Bretagne dominaient, à elles deux, près des deux tiers du continent. Leurs possessions n’étaient pourtant pas analogues. La première disposait d’un vaste territoire, d’un seul tenant entre la Méditerranée et l’océan Atlantique, dans lequel les territoires étrangers constituaient comme des enclaves. Toutefois, une grande partie de ce vaste empire africain était improductive, inhabitée. La Grande-Bretagne, en revanche, possédait des colonies plus densément peuplées dont l’intérêt économique était prometteur, ce qui avait incité lord Salisbury, à déclarer devant la Chambre des communes, à l’issue des négociations de 1890 : « Les territoires laissés à la France sont des sols légers, très légers. Le coq gaulois qui aime à gratter la terre pourra y user ses ergots. Quant à nous, la région fertile, elle nous demeure. » [Cité par J. Ganiage, 1964.]

Dans tous les pays colonisateurs, la fierté de posséder un empire était soigneusement entretenue par les milieux dirigeants et inculquée aux habitants dès l’âge scolaire. Était ainsi justifié le partage, au profit des plus forts, des parties « vacantes » du monde en général et du continent africain en particulier.