Encore un de ces week-ends où je ne mets pas le nez dehors – littéralement – excepté avec ma mère pour faire un saut à la supérette. D’habitude, ça ne me dérange pas, ce genre de week-end. Mais je ne peux pas m’empêcher d’espérer que Tiny Cooper et/ou Jane me passeront un coup de fil histoire d’avoir un bon prétexte pour tester l’efficacité de ma fausse pièce d’identité, laquelle repose actuellement entre les pages de Persuasion sur mon étagère. Mais personne ne m’appelle ; ni Tiny ni Jane ne sont connectés à Internet, et il fait un tel froid dehors que je reste enfermé à m’avancer dans mon boulot. Je fais mon devoir de maths, puis je passe trois heures à lire le manuel pour tâcher de comprendre ce que je viens de faire. C’est dire le week-end passionnant que je suis en train de vivre – quand vous avez tellement de temps à tuer que vous allez au-delà des réponses pour essayer de comprendre les idées.
Puis, le dimanche soir, alors que je suis devant mon ordi pour voir si quelqu’un est en ligne, mon père passe la tête dans l’entrebâillement de la porte.
– Will, me dit-il, aurais-tu une minute pour venir discuter d’une petite chose dans le salon ?
Je pivote sur ma chaise et je me lève. Mon estomac se noue un peu car le salon est sans conteste la pièce la plus éprouvante de cette maison, celle où l’on découvre que le père Noël n’existe pas, où les grands-mères meurent, où les mauvais bulletins scolaires sont épluchés d’un œil mécontent et où l’on apprend que le camion du monsieur entre dans le garage de la dame, puis en ressort, puis entre à nouveau, jusqu’à ce qu’il ait déposé une graine de bébé dans le ventre de la dame, etc., etc.
Mon père est très grand, très mince, très chauve et possède de longs doigts fins avec lesquels il pianote sur l’accoudoir du canapé à motif floral. Je suis assis en face de lui sur un fauteuil trop rembourré et trop vert. Il continue à pianoter pendant à peu près trente-quatre ans sans ouvrir la bouche, jusqu’à ce que je finisse par lui lancer : « Je suis là, p’pa. »
Mon père a une façon très formelle et intense de s’adresser aux gens. Il vous parle toujours comme s’il vous annonçait que vous avez un cancer incurable – ce qui n’est pas si surprenant puisque ça fait partie de son métier. Il pose donc sur moi son regard triste et profond à la vous avez un cancer incurable, et me déclare :
– Ta mère et moi nous demandons ce que tu as l’intention de faire.
– Ha, heu… eh bien, je pensais aller me coucher dans pas longtemps. Sinon, cette semaine, j’ai cours normalement. Je vais à un concert vendredi soir, mais j’ai déjà prévenu maman.
– Oui, mais après.
– Hein, après ? Genre, aller à la fac, trouver un boulot, me marier, vous donner des petits enfants, éviter la drogue et être heureux ?
Il sourit presque. C’est un sacré défi, de réussir à faire sourire mon père.
– Disons qu’un point précis de cette liste nous intéresse particulièrement, à ce stade de ton existence.
– La fac ?
– La fac.
– J’ai encore toute l’année prochaine pour y réfléchir.
– Il n’est jamais trop tôt pour être prévoyant, me rétorque-t-il.
Là-dessus, il se lance dans une longue tirade pour me vanter les mérites d’un cursus proposé par l’université de Northwestern où l’on peut suivre à la fois des études classiques et faire médecine en quelque chose comme six ans, si bien qu’on peut ensuite commencer à travailler dès l’âge de vingt-cinq ans, ce qui me permettrait de rester près de la maison tout en vivant sur le campus si je le souhaite et blablabla, mais je ne l’écoute même plus car dès la onzième seconde de son speech j’ai compris que maman et lui avaient déjà décidé qu’il fallait que je m’inscrive à ce cursus et qu’ils s’y prenaient juste un peu à l’avance histoire que je me fasse à l’idée, qu’ils remettront périodiquement le sujet sur le tapis au cours de l’année prochaine pour faire pression sur moi, encore et encore. Et je réalise aussi que si mon dossier est pris là-bas, il y a de fortes chances pour que j’accepte d’y aller. Il y a de pires moyens de gagner sa vie.
Vous connaissez ce dicton affirmant que les parents ont toujours raison ? « Écoute tes parents, ils savent ce qui est bon pour toi » ? Ce conseil que personne n’écoute jamais car même si c’est vrai, c’est tellement condescendant et horripilant à entendre que ça vous donne juste envie de devenir genre accro au crystal meth ou d’avoir des rapports sexuels non protégés avec quatre-vingtsept mille parfaits inconnus ? Eh bien moi, j’écoute mes parents. Ils savent ce qui est bon pour moi. J’écouterais les conseils de n’importe qui, je crois bien. L’avis de n’importe qui a plus de poids que le mien.
Et donc, bref. Mon père est loin de soupçonner que ses explications ne servent à rien puisque je suis d’avance d’accord avec lui. Non, je ne me dis surtout pas que je me sens tout petit, sur ce fauteuil ridiculement énorme, et je repense à ma fausse carte d’identité en train de réchauffer les pages du Jane Austen sur ma bibliothèque, je repense à Tiny Cooper en me demandant si je le maudis ou si je l’adore, je repense au concert de vendredi où je m’imagine déjà en train d’éviter Tiny dans la fosse pendant qu’il essaiera de danser comme tout le monde, je pense à la chaleur infernale qui régnera dans le club, aux gens en nage, à la musique si intense et si rapide que je ne ferai même pas attention aux paroles.
Alors je dis : « Ouais, ça a l’air super, papa » et il enchaîne en m’expliquant qu’il connaît déjà certaines personnes là-bas et je reste assis là sans rien dire à hocher bêtement la tête.
Le lundi matin, j’arrive au bahut avec vingt minutes d’avance car ma mère est attendue à l’hôpital à 7 heures précises – quelqu’un doit avoir une tumeur extralarge ou je ne sais quoi. Je m’appuie contre le mât du drapeau américain planté sur la pelouse pour attendre Tiny Cooper, frissonnant malgré mes gants, mon bonnet, mon manteau et ma capuche. Le vent souffle avec force au ras du sol et fouette le drapeau hissé à quelques mètres au-dessus de moi, mais plutôt mourir que d’entrer là-dedans ne serait-ce qu’un quart de seconde avant la sonnerie.
Les bus scolaires arrivent et des lycéens de première année commencent à envahir la pelouse. Aucun d’eux ne semble particulièrement impressionné par ma présence. Je vois alors Clint, membre titulaire de mon ancien Groupe d’Amis, sortir du parking pour venir dans ma direction, et je réussis à me convaincre qu’il ne vient pas du tout dans ma direction jusqu’à ce que le souffle blanc de son haleine atteigne mes narines en un petit nuage nauséabond. Et je ne vais pas mentir : j’espère un peu qu’il vient s’excuser pour l’étroitesse d’esprit de certains de ses potes.
– Salut, connard, me lance-til. (Il appelle tout le monde « connard ». Faut-il y voir un compliment, une insulte ? Voire les deux à la fois, d’où le côté fort pratique de cette interjection ?)
Je tressaille légèrement en sentant son haleine fétide, et me contente de lui répondre : « Salut ! » Idéal de neutralité. Chacune des conversations que j’ai pu avoir avec Clint ou avec un quelconque autre membre du Groupe d’Amis se déroule toujours sur le même mode : nous réduisons les mots à leur plus simple essence, si bien que personne ne sait ce que dit vraiment l’autre et que la gentillesse devient de la cruauté, l’égoïsme de la générosité, et la bienveillance de l’insensibilité.
Il poursuit :
– Tiny m’a appelé ce week-end pour me parler de sa comédie musicale. Il veut que le Bureau Des Élèves finance le projet. (Clint est vice-président du BDE.) Il m’a tout raconté, de A à Z. Une comédie musicale à propos d’un gros connard gay et de son meilleur ami qui se branle avec une pince à épiler tellement sa bite est toute petite.
Il me dit tout cela avec un grand sourire. Il n’est pas méchant. Pas vraiment.
Et j’ai envie de lui répondre : Comme c’est original. Où trouves-tu toutes tes vannes, Clint ? Tu t’es acheté une usine de vannes en Indonésie avec des enfants de huit ans qui travaillent quatre-vingt-dix heures par jour pour te pondre ce genre de réplique spirituelle trop drôle ? Je connais des boys bands avec des textes mieux écrits que les tiens. Mais je me tais.
– Bref, poursuit Clint, je crois que je vais plaider sa cause en réunion demain. Sa pièce a l’air géniale. J’ai juste une question : tu comptes chanter toi-même ? Parce que je paierais cher pour voir ça.
Je ris un peu, mais pas trop.
– Je ne suis pas très branché théâtre, dis-je enfin.
Au même moment, je sens une présence gigantesque derrière moi. Clint lève le menton vers Tiny et le salue d’un hochement de tête.
– Cooper. Ça va ? dit-il avant de s’éloigner.
– Il essaie de te récupérer, c’est ça ? me demande Tiny.
Je fais volte-face. Et cette fois, je peux enfin m’exprimer.
– Tu passes tout le week-end sans te connecter sur le Net ou sans me passer le moindre coup de fil, et tu trouves le temps de l’appeler, lui, pour t’obstiner à ruiner ma vie sociale grâce à la magie de tes chansons ?
– Primo, Tiny Dancer ne risque pas de ruiner ta vie sociale, vu que tu n’en as aucune. Secundo, tu ne m’as pas appelé, toi non plus. Et tertio, j’étais overbooké : Nick et moi avons quasiment passé le week-end ensemble !
– Je croyais t’avoir déjà expliqué que tu ne pouvais pas sortir avec Nick.
Tiny s’apprête à répliquer quand j’aperçois Jane, avançant pliée en deux face au vent. Elle porte un sweat à capuche qui n’est visiblement pas assez chaud et vient péniblement jusqu’à nous.
Je lui dis salut, elle me répond pareil et vient se placer juste à côté de moi comme si j’étais un radiateur vivant ou quoi. À la voir comme ça, paupières mi-plissées sous l’effet du blizzard, je finis par lui dire : « Tiens, prends mon manteau » et je l’enlève pour le lui donner. Elle se recroqueville à l’intérieur. J’en suis encore à essayer de trouver une question à lui poser quand la première sonnerie retentit, et nous nous hâtons vers l’entrée du lycée.
Je ne la revois plus de la journée, ce qui est plutôt gênant étant donné qu’il fait un froid polaire, même dans les couloirs, et que je crains fort de mourir gelé le temps de marcher jusqu’à la voiture de Tiny. À la fin de ma dernière heure de cours, je me précipite au rez-de-chaussée pour ouvrir mon casier. Mon manteau se trouve roulé en boule à l’intérieur.
Certes, il est possible de glisser un message dans le casier de quelqu’un à travers les fentes d’aération de la porte – voire un stylo, avec un peu d’effort. Une fois, Tiny Cooper a même réussi à me faire passer un bouquin de Oui-Oui. Mais j’ai beaucoup de mal à imaginer comment Jane, qui, après tout n’est pas non plus Madame Muscles, est parvenue à insérer mon manteau tout entier à travers les fentes de mon casier.
Mais je ne suis pas là pour me poser des questions. J’enfile mon manteau et je rejoins le parking, où Tiny Cooper est présentement en train d’échanger l’une de ses fameuses poignéesdemainconfraternellessuiviesd’unelonguetapeamicaledansledos avec – roulement de tambour – Clint en personne. J’ouvre la portière côté passager de son Acura et m’installe à l’intérieur. Il me rejoint quelques instants plus tard et j’ai beau être furax contre lui, je suis quand même capable d’apprécier la fascinante et complexe expérience de géométrie dans l’espace visant pour Tiny Cooper à s’insérer derrière le volant d’une voiture aussi minuscule.
– J’aimerais te faire une proposition, lui dis-je tandis qu’il procède à cet autre miracle d’ingénierie consistant à boucler sa ceinture.
– Je suis flatté, me répond-il, mais je ne coucherai pas avec toi.
– Très drôle. Écoute-moi. Voilà le marché : si tu laisses tomber cette histoire de comédie musicale, j’accepte de… de quoi, déjà ? Dis-moi, je suis prêt à tout.
– Eh bien ! dit-il, j’aimerais que tu fasses le premier pas avec Jane. Ou que tu l’appelles, au moins. Malgré mes subtiles manœuvres pour vous créer des occasions, seuls tous les deux, elle semble avoir l’impression que tu ne veux pas sortir avec elle.
– En effet.
Ce qui est à la fois parfaitement vrai et parfaitement faux. Saleté de vérité entière et contradictoire.
– Tu te crois où, en l’an 1832 peut-être ? Quand tu flashes sur quelqu’un et que ce quelqu’un flashe sur toi, le concept est de poser ta bouche contre la sienne, d’entrouvrir les lèvres et de sortir le bout de la langue pour pimenter un peu les choses. Enfin quoi, Grayson ! Tout le monde n’arrête pas de répéter que la jeunesse américaine n’est qu’une génération d’obsédés sexuels décadents qui taillent des pipes à droite à gauche comme on s’achète des sucettes, et tu n’es même pas capable d’embrasser une fille qui est attirée par toi ?
– Je ne suis pas attiré par elle, Tiny. Pas comme ça.
– Mais enfin, elle est craquante !
– Qui es-tu pour en juger ?
– Je suis gay, pas aveugle. Elle a les cheveux qui frisottent et un nez fantastique. Fantastique, tu m’entends ! Bon, et quoi d’autre ? Qu’est-ce qu’il vous faut, à vous, les hétéros ? Des nichons ? Elle m’a l’air d’avoir des nichons comme tout le monde. Et de taille normale. Qu’est-ce que tu veux de plus ?
– Je n’ai pas envie d’en discuter.
Il met la clé dans le contact et, à l’aide de l’énorme enclume qui lui sert de tête, martèle en rythme le bouton du Klaxon sur le volant. Tûûût. Tûûût. Tûûût.
– Tu veux nous coller la honte, ou quoi ? je m’exclame par-dessus les déflagrations de l’avertisseur.
– Je m’arrêterai uniquement quand j’aurai un traumatisme crânien ou quand tu m’auras promis d’appeler Jane.
Je me bouche les oreilles, mais Tiny continue à klaxonner avec son front. Les gens nous regardent. Je finis par céder – « C’est bon. C’est bon ! C’EST BON ! » – et les coups de Klaxon s’arrêtent enfin.
– Je vais appeler Jane, dis-je. Je serai sympa avec elle. Mais je n’ai toujours pas l’intention de sortir avec.
– C’est ton choix. Ton choix stupide.
– Et donc, dis-je d’un ton plein d’espoir, en échange, tu renonces à Tiny Dancer ?
Il démarre le moteur.
– Désolé, Grayson, mais je ne peux pas faire ça. Tiny Dancer est un projet planétaire dont l’enjeu dépasse nos petites personnes, la tienne comme la mienne.
– Tu as vraiment une drôle de notion du compromis, tu sais ?
Il s’esclaffe.
– Le compromis, c’est quand tu fais ce que je te dis de faire. Oh, à propos : j’ai besoin de toi dans mon spectacle.
Je me retiens de ne pas pouffer de rire, car cette scène n’aura plus rien de drôle une fois rejouée en public dans un auditorium.
– C’est hors de question. Non. NON ! Et j’exige que tu enlèves mon nom du script.
Il soupire.
– Tu ne piges vraiment rien, hein ? Gil Wrayson n’a rien à voir avec toi. C’est un personnage fictif. Je refuse de m’autocensurer sous prétexte que ma création artistique te met mal à l’aise.
Je tente une autre tactique.
– Tu vas te ridiculiser en direct, Tiny.
– Mon spectacle aura bien lieu, Grayson. J’ai le soutien du BDE pour financer la prod. Alors tais-toi, et assume.
Je me tais et j’assume. Mais ce soir-là je n’appelle pas Jane. Je ne suis pas le caniche de Tiny Cooper.
Le lendemain après-midi, je prends le bus pour rentrer chez moi étant donné que Tiny doit assister à la réunion du BDE. Il m’appelle en sortant.
– Excellente nouvelle, Grayson ! s’exclame-t-il dans le combiné.
– L’excellente nouvelle de quelqu’un est toujours la mauvaise nouvelle de quelqu’un d’autre, dis-je.
Et en effet, le BDE vient d’accorder une subvention de mille dollars pour financer la production et la mise en scène de Tiny Dancer.
Ce soirlà, en attendant que mes parents rentrent du boulot pour qu’on puisse dîner ensemble, j’essaie de bosser ma disserte sur Emily Dickinson mais je passe surtout mon temps à télécharger toute la discographie des Maybe Dead Cats. Je suis devenu trop fan de leur musique. J’ai envie de partager mon enthousiasme avec quelqu’un, et je finis par faire exactement ce que Tiny attend de moi – comme toujours. J’appelle Jane.
– Salut, Will.
– Je suis devenu complètement accro aux Maybe Dead Cats, dis-je.
– Je les trouve pas mal, oui. Un brin pseudo-intellos, peut-être, mais ne le sommes-nous pas tous un peu ?
– Je crois que le nom du groupe s’inspire d’une expérience pratiquée par un scientifique célèbre, dis-je. (Pour être honnête, je sais déjà tout. Je viens de consulter la page Wikipédia du groupe.)
– Oui, dit Jane. Schrödinger. Sauf qu’ils n’ont rien compris en choisissant de s’appeler Maybe Dead Cats, vu que Schrödinger est justement célèbre pour avoir révélé un paradoxe de physique quantique affirmant qu’un chat enfermé dans une boîte pouvait être à la fois vivant et mort. Pas peut-être mort.
– Ah ! (Cette fois, je ne peux même pas faire semblant d’avoir été au courant. Je me sens comme un bel abruti et je préfère changer de sujet.) Alors, il paraît que Tiny Cooper a reçu le feu vert pour son spectacle à la noix ?
– Ouais. C’est quoi, au juste, ton problème avec sa comédie musicale ?
– Attends, tu l’as lue ?
– Oui. C’est une tuerie, s’il réussit à la monter.
– Eh bien, je suis sa costar. Gil Wrayson. C’est moi, ça ne fait aucun doute. Et je trouve ça… super embarrassant.
– Tu ne trouves pas ça formidable d’être la costar de la vie de Tiny ?
– Je n’ai pas envie d’être la costar de la vie de qui que ce soit, dis-je. (Il y a un gros blanc au bout du fil.) Bon, et ça va toi, sinon ?
– Sans plus ?
– Tu as lu le message dans la poche de ton manteau ?
– Le… Non, il y avait un message ?
– Ouais.
– Oh ! Une petite seconde.
Je pose le téléphone sur mon bureau et fouille l’intérieur de mes poches. Le problème, avec les poches de ce manteau, c’est que quand j’y stocke des trucs à jeter – genre emballage de Snickers, par exemple – mais que je ne trouve pas de poubelle, mes poches finissent par faire office de poubelles elles-mêmes. Et je pense rarement à vider mes poches de leurs déchets. Je mets donc un petit moment avant d’exhumer une page de cahier arrachée et pliée en morceaux. Sur l’extérieur, on peut lire :
« Pour Will Grayson, de la part du Houdini des Casiers »
Je reprends mon téléphone.
– Ça y est, je l’ai trouvé.
J’ai comme un nœud à l’estomac, une sensation à la fois très agréable et à la fois pas du tout du tout.
– Et alors, tu l’as lu ?
– Non, dis-je. (Je me demande si lire ce message est une bonne idée. Je n’aurais peut-être pas dû l’appeler, tout compte fait.) Attends.
Je déplie le papier :
Mr. Grayson,
Vous devriez toujours vérifier que personne ne vous observe quand vous ouvrez votre casier. On ne sait jamais (18), quelqu’un (26) pourrait mémoriser (4) votre combinaison. Merci pour le manteau. Il faut croire que la galanterie n’a pas encore totalement disparu.
Salutations,
Jane
PS : Je constate que tu traites les poches de ton manteau comme je traite ma voiture. J’adore.
Arrivé à la fin du message, je le relis encore une fois et mes deux vérités n’en sont que plus vraies. J’ai envie d’elle. Je n’ai pas envie d’elle. Peut-être suis-je un robot, après tout. Ne sachant pas trop quoi dire, je décide de sortir le pire truc possible : « C’est gentil ! » Voilà pourquoi je devrais m’en tenir à ma règle d’or no 2.
Pendant le silence qui s’ensuit, j’ai tout le temps de réfléchir au mot « gentil » – à quel point il dégage un côté réducteur, à quel point dire de quelqu’un qu’il est « gentil » revient à le traiter de simplet, à quel point ce mot a le pouvoir de tout rendre niais et de clignoter comme une enseigne au néon dans la nuit disant : « SOYEZ COMPLEXÉ ».
Jane prend enfin la parole :
– Ce n’est pas vraiment mon adjectif préféré.
– Désolé, je voulais juste…
– Je sais ce que tu veux dire, Will. Excuse-moi. Je… je ne sais plus trop où j’en suis. Je viens de rompre avec quelqu’un, et je crois que je cherche sans le vouloir à… comment dire… combler le vide et… Oh ! là, là, c’est affreux de présenter les choses comme ça ! Je vais raccrocher.
– Pardonne-moi d’avoir dit que c’était gentil. Ce n’était pas gentil. C’était…
– Laisse tomber. Oublie ce message, sérieusement. Je ne suis même pas… Ça n’a pas d’importance, Grayson.
Après avoir raccroché sur ce gros malaise, je comprends soudain comment aurait dû se finir sa phrase. « Je ne suis même pas… attirée par toi, Grayson, car tu n’es pas – comment dire poliment – si intelligent que ça. Genre, il t’a fallu consulter la page de ce scientifique sur Wikipédia. Mon ex me manque et tu ne te décidais pas à m’embrasser, alors j’ai fait le premier pas à ta place mais au fond, tout ça n’est pas bien grave et le seul problème, c’est que je ne sais pas comment te le dire sans te vexer, et comme je suis bien plus psychologue et généreuse que toi avec tes C’est gentil, je préfère laisser ma phrase en suspens et dire Je ne suis même pas… »
Je rappelle Tiny, non pour lui parler des Maybe Dead Cats, et cette fois-ci, il décroche à la moitié de la première sonnerie.
– Bien le bonsoir, Grayson.
Je lui demande d’abord son avis concernant la phrase inachevée de Jane. Puis quel type de bug cérébral a bien pu me pousser à qualifier son message de gentil, comment il est possible de se sentir à la fois attiré et pas attiré par quelqu’un, s’il pense que je suis un robot dénué de sentiments et que mon obsession pour mes deux règles d’or m’a transformé en une sorte de monstre hideux que personne n’aimera jamais ni ne demandera en mariage. Je vide mon sac au téléphone pendant que Tiny garde le silence, ce qui est en soi un événement sans précédent. Quand je me tais enfin, il marmonne hmmm, comme à son habitude, avant de déclarer – et je le cite mot pour mot – : « Grayson, des fois, tu te comportes vraiment comme une nana » et de me raccrocher au nez.
La phrase inachevée de Jane me hante pendant toute la nuit. Jusqu’au moment où mon cœur de robot décide de passer à l’action – le genre d’action susceptible de plaire à une certainefillehypothétiquepourquiilestpossiblequej’aieéventuellementunfaible.
Le vendredi, au bahut, j’avale mon déjeuner à la vitesse de l’éclair, ce qui n’est pas très compliqué étant donné que Tiny et moi sommes assis à une table de théâtreux occupés à parler de la production de Tiny Dancer et prononçant plus de mots à la minute que je n’en sors en une seule journée. Le rythme de leur conversation suit un schéma immuable : les voix s’élèvent, s’accélèrent, bref, montent crescendo jusqu’à ce que Tiny, prenant la parole par-dessus tout le monde, sorte une blague et que la tablée tout entière explose de rire, avant que le calme ne revienne quelques instants puis que le volume sonore monte monte jusqu’à la prochaine intervention du chef. Une fois que j’ai mis le doigt là-dessus, j’ai du mal à ne pas les écouter mais je m’efforce de me concentrer sur l’enfournage à la chaîne de mes enchiladas. J’engloutis un Coca, et je me lève.
D’un geste, Tiny fait taire l’assemblée.
– Et où vas-tu comme ça, Grayson ?
– J’ai un truc à vérifier.
Je situe à peu près l’emplacement du casier de Jane. Il se situe à peu près en face de la fresque murale sur laquelle une piètre reproduction picturale de la mascotte du lycée, Willie le Cougarou, déclare dans une bulle de BD : « LES COUGAROUS RESPECTENT TOUT LE MONDE », ce qui est à mourir de rire d’après au moins quatorze niveaux d’interprétation différents, le quatorzième étant que les cougarous n’existent pas. Willie le Cougarou ressemble vaguement à un puma, cela dit, et bien que n’étant pas moi-même un expert en zoologie, je suis relativement prêt à parier que les pumas ne respectent à peu près personne.
Bref, je me tiens adossé contre Willie le Cougarou, dans une position pouvant laisser croire que je suis la personne en train de prononcer la phrase « Les Cougarous respectent TOUT LE MONDE », et je dois poireauter là une bonne dizaine de minutes en faisant semblant d’être hyper occupé. Et je regrette déjà de ne pas avoir apporté un bouquin car cela m’aurait moins donné l’air d’un harceleur pervers, lorsque enfin la sonnerie retentit et qu’une foule d’élèves envahit les lieux.
Jane arrive devant son casier. Je vais me planter au milieu du couloir, forçant les gens à s’écarter sur mon passage. J’opère un pas sur la gauche pour me positionner exactement dans le bon angle et, voyant Jane lever sa main vers le verrou, je plisse les yeux pour mieux distinguer la combinaison : 25211. Là-dessus, je tourne les talons pour disparaître au milieu de la mêlée et marcher vers mon destin.
Mon septième cours de la journée est une option intitulée « Conception de jeux vidéo ». Il s’avère que concevoir des jeux vidéo est en fait vachement difficile, bien moins drôle que d’y jouer, mais le principal avantage de ce cours est que j’ai accès à Internet et que mon écran est tourné de telle manière que mon prof, la plupart du temps, ne voit rien.
J’en profite donc pour envoyer un e-mail aux Maybe Dead Cats.
De : williamgrayson@eths.il.us
À : thiscatmaybedead@gmail.com
Objet : Un service à vous demander
Chers Maybe Dead Cats,
Si vous jouez Annus miribalis ce soir, pourriez-vous svp faire une petite dédicace spéciale à 25211 (la combinaison de casier d’une fille de ma connaissance) ? Ce serait vraiment génial. Désolé de vous demander ça à la dernière minute,
Will Grayson.
La réponse me parvient avant même la fin du cours.
Will,
Pas de problème. Oui à l’amour.
MDC.
Le soir, après les cours, Jane, Tiny et moi nous rendons au Downtown Dogs, un restaurant de hot dogs situé à quelques rues du club. Je m’assois sur une petite banquette à côté de Jane, sa hanche collée contre la mienne. Nos manteaux sont roulés en boule sur la banquette d’en face, où s’est installé Tiny. Les cheveux de Jane cascadent en boucles folles sur ses épaules. Elle est très maquillée et porte un débardeur à bretelles fines carrément suicidaire en cette saison.
Parce que c’est un restaurant de hot dogs hyper classe, un serveur vient prendre notre commande. Jane et moi prenons chacun un hot dog et un soda. Tiny commande quatre hot dogs avec petit pain, trois hot dogs sans petit pain, une assiette de chili et un Coca light.
– Un Coca light ? s’étonne le serveur. Vous voulez quatre hot dogs avec petit pain, trois hot dogs sans petit pain, une assiette de chili et un Coca light ?
– Tout à fait. Le sucre ne me sert à rien pour m’aider à développer ma masse musculaire, répond Tiny, ce à quoi le serveur se contente d’acquiescer en faisant hmm hmm.
– J’ai mal pour ton système digestif, dis-je. Un jour, tes intestins vont finir par se révolter, se déployer et t’étrangler.
– Tu sais, le coach m’a dit qu’idéalement, je devrais prendre quinze kilos avant la saison prochaine. Si on espère décrocher une bourse pour les universités de division 1, il faut être costaud. Or j’ai tellement de mal à prendre du poids ! J’essaie, encore et toujours, mais c’est une lutte permanente.
– Pauvre malheureux, lance Jane.
Je m’esclaffe. Nous échangeons un regard, et Tiny soupire : « Oh, mais faites-le, qu’on puisse enfin passer à autre chose ! » ce qui entraîne un long silence gêné autour de la table jusqu’à ce que Jane demande :
– Où sont Gary et Nick ?
– Sans doute en train de se remettre ensemble, répond Tiny. J’ai rompu avec Nick hier soir.
– C’était la seule chose à faire. Votre histoire était vouée à l’échec dès le départ.
– Je sais, ok ? Je crois vraiment que je devrais rester célibataire quelque temps.
Je me tourne vers Jane :
– Je te parie cinq dollars qu’il retombe amoureux d’ici quatre heures.
Elle éclate de rire.
– Disons trois heures.
– Pari tenu. Nous échangeons une poignée de main.
Le dîner terminé, nous traînons un peu dans le quartier histoire de tuer le temps avant d’aller faire la queue devant Le Hangar. Il fait un froid de canard mais, debout contre la façade du bâtiment, nous sommes au moins coupés du vent. Pendant que nous attendons, je sors mon portefeuille, déplace mon faux permis de conduire pour l’insérer dans la fenêtre plastifiée, et cache mon vrai permis de conduire entre ma carte de sécurité sociale et la carte professionnelle de mon père.
– Fais voir, me demande Tiny. Pas mal, Grayson ! Pour une fois dans ta vie, une photo sur laquelle tu ne ressembles pas à un chochotteux !
Juste avant l’entrée, Tiny me fait passer devant lui – histoire de mieux me voir utiliser ma fausse carte d’identité pour la première fois, j’imagine. Le videur porte un tee-shirt qui ne recouvre que partiellement la surface de son ventre.
– Pièce d’identité, marmonnetil.
Je ressors mon portefeuille de ma poche arrière et en extrais mon permis de conduire pour le lui tendre. Le type l’observe dans le faisceau de sa lampe torche, qu’il me braque ensuite en pleine figure avant de réexaminer le document, et déclare :
– Tu crois peut-être que j’sais pas compter ?
– Hein ?
– T’as vingt ans, mon pote.
– Pas du tout, j’en ai vingt-deux.
Le type me rend mon permis de conduire en disant :
– Eh bien ! là-dessus, ça dit que t’as vingt ans.
Je relis ma date de naissance et constate qu’il a raison : j’aurai vingt et un ans en janvier prochain.
– Ah oui ? balbutié-je. Bon, ben… désolé.
Cet abruti de gros défoncé S-A-N-S E-S-P-O-I-R et sans cervelle s’est trompé d’année dans ma date de naissance. Je m’éloigne et Tiny me rejoint, plié de rire. Jane se bidonne, elle aussi.
– Ah, Grayson, fait Tiny en me tapant sur l’épaule, il n’y a que toi pour avoir vingt ans sur tes faux papiers. Ça ne sert strictement à rien !
Je me tourne vers Jane.
– Ton pote s’est planté.
– Désolée, Will. (Sauf qu’elle ne doit pas l’être tant que ça, sans quoi elle ne rigolerait pas autant.) On peut quand même essayer de te faire rentrer, ajoute-t-elle.
Mais je fais non de la tête.
– Allez-y sans moi. Prévenez-moi quand ce sera fini. Je crois que je vais retourner au Downtown Dogs en attendant… Appelez-moi juste s’ils jouent Annus miribalis, OK ?
Et devinez ce qu’ils font : ils y vont. Ils repartent faire la queue, et je les vois franchir la porte du club sans qu’aucun d’eux ait protesté genre non, non, pas question, on ne peut pas aller à ce concert sans toi.
Je suis réaliste. Le groupe est génial. Mais se faire planter par ses amis à cause d’un concert, c’est quand même dur à avaler. Debout dans la queue, je n’avais pas froid, mais maintenant je me pèle. Il fait un temps atroce, le genre de froid polaire où le seul fait de respirer par le nez vous glace le cerveau instantanément. Et me voilà seul avec une saleté de faux permis de conduire inutile à cent dollars.
Je retourne au restaurant, me commande un hot dog et le grignote lentement. Mais je ne peux quand même pas bouffer le même hot dog pendant trois heures – un hot dog, ça ne se savoure pas, ça s’avale. Mon téléphone est posé sur la table et je le fixe du regard, dans l’espoir imbécile de recevoir un appel de Jane ou de Tiny. Et là, je sens la colère monter en moi. Il n’y a pas pire circonstance pour se faire planter : seul au resto, sans même un bouquin pour me tenir compagnie. Au fond, je n’en veux pas seulement à Tiny et à Jane. Je suis furieux contre moi-même de m’être laissé embarquer dans cette histoire, de n’avoir pas vérifié ma date de naissance, de n’être pas venu avec ma propre voiture et de ne pas connaître suffisamment le réseau des trains de banlieue.
À bien y réfléchir, je réalise que mon problème, c’est de trop me laisser entraîner par les autres. Résultat, j’ai atterri ici.
J’en ai assez de laisser les gens décider à ma place. C’est une chose que mes parents fassent des choix en mon nom. Mais que Tiny me pousse dans les bras de Jane, qu’il m’incite à me procurer de faux papiers, puis se paye ma tronche à cause du fiasco de ce soir et m’abandonne dans ce resto de hot dogs miteux (alors que je ne suis même pas particulièrement fan de hot dogs, même lorsqu’ils sont bons), ça commence à bien faire.
Je visualise clairement son image, sa grosse figure hilare. Ça ne sert à rien. Ça ne sert à rien. Eh bien, si ! Avec mon faux permis de conduire, je peux m’acheter des clopes, si je veux – sauf que je ne fume pas. Je peux m’inscrire illégalement sur les listes électorales. Je peux même… mais oui, tiens. En voilà une idée.
Car voyez-vous, juste en face du Hangar, il y a une boutique un peu spéciale. Genre enseigne au néon et façade opaque sans la moindre fenêtre. Je ne suis pas du tout branché porno – ou « magazines pour adultes », comme le précise le panneau placé près de la porte – mais plutôt mourir que de passer ma soirée au Downtown Dogs sans utiliser mes faux papiers. Pas question. Je vais aller dans ce sex-shop. Tiny Cooper n’aurait pas le courage de se rendre dans un endroit pareil. Jamais de la vie. Je m’imagine d’avance tout ce que je vais pouvoir leur raconter lorsqu’ils sortiront du concert. Je laisse un billet de cinq dollars sur la table – dont un pourboire de cinquante cents – et refais le chemin inverse le long des quatre pâtés de maisons. À mesure que j’approche du magasin, je me sens un peu nerveux. Mais je me dis aussi que rester dehors en plein hiver au beau milieu de Chicago est sans doute plus dangereux que de franchir l’entrée de n’importe quel type de commerce.
J’ouvre la porte et me retrouve dans une salle brillamment éclairée par des néons fluorescents. Sur ma gauche, derrière le comptoir, un type arborant davantage de piercings qu’un coussin à épingles me fixe du regard.
– C’est pour la boutique ou pour l’arrière-salle ? me demande-t-il.
N’ayant pas la moindre idée de ce qui se trouve dans l’arrière-salle, je lui réponds :
– Euh… la boutique ?
– OK. Vas-y, dit-il.
– Pardon ?
– Vas-y.
– Vous ne voulez pas voir ma pièce d’identité ?
Le type s’esclaffe.
– Pourquoi, t’as seize ans ?
Quel flair. Du premier coup.
– Non, vingt.
– C’est bien ce que je pensais, dit-il. Alors vas-y, entre.
Alors je me dis : Oh non, c’est pas vrai, y a-t-il un seul endroit dans cette ville de merde où mes faux papiers vont enfinme servir à quelque chose ? C’est ridicule. Je refuse de baisser les bras !
– Non, j’insiste. Prenez ma pièce d’identité.
– OK, mon pote. Si c’est ça ton trip… (Il prend un ton grave et obséquieux.) Pourrais-je voir votre pièce d’identité, je vous prie ?
– Mais bien sûr, dis-je en lui tendant mon faux permis.
Il l’examine, me le rend et dit :
– Merci, Ishmael.
– De rien, dis-je, totalement exaspéré.
Et voilà. Je suis dans un sex-shop.
C’est assez nul, je dois dire. On dirait un magasin normal, avec des rayonnages de DVD, de vieilles VHS et un présentoir de magazines, le tout sous la lumière crue des plafonniers. Bon, il y a quand même des différences par rapport à un vidéoclub normal. Petit a) dans un vidéoclub normal, très peu de jaquettes de DVD comportent les mots « orgie » ou « salope ». Petit b) je mettrais ma main au feu qu’un vidéoclub normal ne propose pas d’accessoires spéciaux pour fessée. Et enfin, petit c) un vidéoclub normal vend rarement des articles dont on peut se dire en les voyant : « Je n’ai pas la moindre idée de l’utilité de cette chose ni de la partie du corps à laquelle elle s’applique. »
À l’exception du Señor Muy Piercingos, l’endroit est désert et j’ai soudain envie de prendre la fuite, car il doit s’agir du moment le plus pénible et le plus mortifiant d’une journée qui s’est déjà révélée assez pénible et mortifiante comme ça. Mais mon expédition n’aura servi à rien si je ne ramène pas au moins une preuve de mon passage. Mon objectif est de trouver le truc le plus improbable possible, l’objet qui convaincra Tiny et Jane que j’ai vécu sans eux une grande soirée de rigolade dont ils n’ont pas idée, et c’est précisément la raison pour laquelle je finis par porter mon choix sur un magazine espagnol intitulé Mano a Mano.