Mon premier Noël
Tout a commencé à l’approche de Noël au fond d’une jardinerie.
Pas très romantique comme endroit, n’est-ce pas ? Voilà un lieu bien ordinaire, en effet, comme pour beaucoup d’entre nous, où l’on est examiné, tâté puis enfin choisi parce que l’on semble le plus beau, le plus élégant.
Un soir, de manière étonnamment rapide, un couple arriva droit sur moi, se figea, les yeux émerveillés.
— Regarde, Ginou, c’est exactement l’arbre que l’on cherchait.
— Tu as raison, Gilbert, il est parfait ! Tu vois, je l’imagine déjà dans le jardin : sa pointe dressée vers le ciel, ses formes harmonieuses déployées au grand air.
Vous l’avez compris, Ginou et Gilbert n’attendaient que… MOİ !!
Quels compliments ! Je reconnais qu’ils m’ont fait sacrément plaisir, j’en ai eu des frissons, brrrr jusqu’au bout des aiguilles ! Mon adoption s’engageait sous les meilleurs auspices, j’aurais pu tomber plus mal !
— Allez, on te ramène à Mounicot ! lança le grand Gilbert allègrement.
C’est ainsi que, ma motte et moi, nous nous sommes retrouvés embarqués dans leur voiture, en route pour une vie nouvelle.
Oh, le voyage n’a pas été bien long ! Mais faut-il nécessairement partir à l’autre bout de la Terre pour vivre une expérience et des aventures extraordinaires ? Je prétends que non et j’en suis un exemple concret !
Mon domicile se situerait désormais à Mounicot, jeune quartier traversé, dans sa longueur, par une seule rue bordée de maisons plus ou moins achevées.
Au beau milieu, Gilbert ralentit avant de tourner sur sa gauche. Il s’arrêta devant une coquette petite villa. Ginou descendit la première afin d’ouvrir la porte et nous faciliter le passage.
Lorsque Gilbert m’extirpa du véhicule (délicatement je dois dire), je soupirai d’aise en découvrant cet environnement aussi rassurant que spacieux.
À peine dans l’entrée, une jeune blonde, genre brindille, d’environ dix ans, se planta devant nous (décidément, c’était une manie ici !!) et, les mains sur les hanches, gronda :
— Ah quand même vous revenez ? Il vous en a fallu du temps ! J’ai tout préparé, moi !!
C’était Claire, l’enfant de la maison… cette petite avait l’air d’avoir un caractère bien trempé !
— Oh oh, on se calme, on ne fait pas sa « commandante », jeune fille ! lui répliqua sa mère qui ne se laissait pas décontenancer.
Gilbert, lui, souriait comme toujours, débonnaire face à sa fille unique. Tout en avançant, il se justifia :
— Quelle impatience, Claire ! Ne t’inquiète pas, tu vas le faire, le sapin ! Ce n’est pas si simple à choisir, tu sais ! Si tu veux qu’il pousse joliment une fois planté en terre, il ne fallait surtout pas en prendre un tout biscornu !
Nous pénétrâmes dans le foyer ; j’avais tous mes capteurs en éveil, croyez-moi ! Autour de moi, tout était chaleureux et accueillant. Un beau feu dansait et crépitait dans la cheminée du salon et, Noël oblige, meubles et murs affichaient fièrement des créations éphémères et brillaient de couleurs chatoyantes. Visiblement, Claire s’était amusée à préparer cette fête de ses propres mains.
Sans hésitation, Gilbert se dirigea vers la place qu’il m’avait réservée, près du canapé où un grand bac attendait ma motte. Eh oui, il allait falloir hydrater mes racines pour m’empêcher de me déplumer, euh… pardon, de perdre mes aiguilles !
Je fus dressé, déployé, arrangé… Aussitôt installé, la petite fille prit le relais et s’affaira autour de moi pour me faire une BEAUTÉ, me parant de magnifiques atours. Je me sentais… mmm… de mieux en mieux ! C’était important pour elle, mais ça l’était tout autant pour moi ; vous vous imaginez, mon premier Noël ! J’en avais tellement entendu parler depuis que ma première tige avait pointé !
De l’avis de Claire, satisfaite de mon apparence, j’étais fin prêt. Moi, grâce à elle, je me sentais Teeellement bien, un ROİ ! D’ailleurs, ses parents, m’admirant, la félicitèrent chaleureusement.
Voilà, le décor était planté !
Les réjouissances durèrent un mois, oui, oui !
Il y eut la période de l’Avent avec toute l’impatience que l’on devine ; puis l’apothéose du 25 décembre (mes flancs débordaient de cadeaux, c’était l’Extase !), le champagne qui fait pétiller la Nouvelle Année ; enfin, le célèbre jeu de la fève cachée dans la galette d’Épiphanie, merveilleusement parfumée à la fleur d’oranger. J’étais comme un enfant devant ses cadeaux en découvrant cette coutume si généreuse et conviviale.
Quelle effervescence en si peu de temps !